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Nasrallah, la nouvelle icône des Marocains

«Une épopée», c’est en ce terme que les Marocains considèrent la victoire du Hezbollah contre Israël. Nasrallah est devenu le premier chef arabe qui a rendu la dignité aux Arabes et aux Marocains. Un dirigeant qui a tenu toutes ses promesses.

Tout mon respect pour le guide Nasrallah. Il est le héros du Liban et du monde arabe», lance joyeusement Rachid, 24 ans, étudiant à la Faculté de droit à Casablanca. Dans les cafés des jeunes comme dans les bus et autres taxis blancs, chez les islamistes comme chez les activistes d’extrême-gauche, le nom de Hassan Nasrallah revient sur toutes les lèvres. Un consensus jamais atteint par une personnalité arabe, et ce depuis un certain Jamal Abdel Nasser. Et pour cause : tous les deux ont refusé de baisser la tête devant la suprématie israélienne. A une différence près : si le leader panarabe n’a jamais goûté au plaisir de la victoire, le dirigeant du Hezbollah a, quant à lui, réussi le pari d’expulser les troupes du Tsahal hors du Liban à deux reprises. «En 2000, quand l’armée israélienne a dû quitter sans honneur le Sud du pays du cèdre sous les attaques presque quotidiennes des résistants du mouvement de la résistance. Et une seconde fois, tout récemment, en obligeant les Nations Unies à "protéger" Israël en votant pour une cessation des hostilités devant les pertes massives enregistrées par les corps d’élite du Tsahal», précise M. Khalid Sefiani, président du Secrétariat national de soutien aux peuples palestinien et irakien Du jamais vu dans l’histoire du conflit israélo-arabe depuis la création de l’Etat hébreu en 1948.

L’homme de toutes les résistances
A l’annonce des pertes militaires des Israéliens et des bombes qui tombent chaque jour au Nord du Liban et à Haïfa, les Marocains jubilent. Durant cet épisode libanais qui a débuté le 12 juillet dernier par la prise d’otages du Hezbollah, le bombardement du Liban Sud le lendemain et la décision du G8 le 15 juillet de considérer l’attaque d’Israël comme de la légitime défense, les Marocains ont très vite adopté ce jeune dirigeant de 46 ans qui se présente aujourd’hui comme l’icône des masses arabes. Ses sorties médiatiques dans les chaînes satellitaires sont suivies comme les matchs de football de l’équipe nationale. C’est simple, nos concitoyens considèrent l’agression contre le peuple libanais comme une agression contre le Maroc.
Car malgré tous les accords signés entre Arabes et Israéliens (camp David, Oslo, Madrid), l’écrasante majorité des Marocains juge Israël comme un corps étranger à la région, un pays qui s’est établi par la force des armes au détriment des pays arabes de la région. Pour Mohamed El Ghaouti, président du conseil régional des pharmaciens, la victoire du Hezbollah est une preuve que la résistance et la lutte armée sont le seul «médicament» aux agressions israéliennes. Pour ce pharmacien qui était à la tête de la délégation marocaine composée de volontaires qui ont apporté un soutien logistique aux populations libanaises lors de l’agression par l’Etat hébreu, les images passées en boucle dans les chaînes satellitaires sont loin de refléter l’atroce réalité du terrain. «Lors de nos tournées dans le sud du pays dans le cadre de la caravane des médecins et pharmaciens marocains, nous avons été témoins de destruction massive, de bombardements de résidences où habitaient des populations civiles. A Beït Jbeil où le gros du travail était à faire, il n’y avait pas une bâtisse intacte», soupire le Dr. El Ghaouti. Et Nasrallah dans cette histoire ? «Il jouit d’une immense popularité au Liban. Ses discours optimistes au milieu de la guerre ont contribué à remonter le moral de ses citoyens. Il bénéficie de l’appui de Libanais de toutes confessions, chiites, mais aussi sunnites et chrétiens», explique-t-il. Des discours qui sont suivis partout ailleurs dans le monde arabe.
Le dernier en date, celui du 22 septembre, est entré dans les annales… de la maîtrise de la chose politique. Les Marocains se sont enthousiasmés pour cette première apparition en public du chef du Hezbollah après la guerre, à l’image de ces centaines de milliers de supporters venus l’applaudir dans la banlieue sud de la capitale. Ils ont jubilé quand il a déclaré haut et fort que «la résistance est plus forte aujourd’hui que jamais». Ils se sont abreuvés de ses paroles quand il a promis à ses concitoyens que «même si tout le monde venait, ils ne seraient pas capables de récupérer les deux soldats autrement que par des négociations indirectes et le retour des prisonniers libanais détenus dans les geôles israéliennes». Une sorte de dignité retrouvée. «Les peuples arabes opèrent une sorte de transfert collectif. Ils considèrent la victoire du mouvement chiite comme la leur. Nasrallah représente actuellement le symbole de l’opposition contre la puissance insolente israélienne et le Pax Americana avec son projet du grand Moyen-Orient», analyse ce membre du comité de soutien à l’Irak et à la Palestine. C’est ce même groupe d’action ainsi que l’Association marocaine de soutien à la lutte palestinienne qui ont défilé, le dimanche 3 septembre, sur les grandes artères casablancaises pour exprimer leur soutien au peuple libanais et au Hezbollah. Des drapeaux jaunes du mouvement chiite ont été pour la première fois brandis, non pas par des militants islamistes mais par des activistes d’ONG de gauche, manifestant ainsi leur soutien à la résistance. Lors du 5ème forum de la jeunesse du PJD organisé fin août à Meknès, des slogans pro-Hezbollah ont été prononcés à plusieurs reprises. Des drapeaux de la résistance islamique libanaise ont été également hissés.

Le référentiel de la résistance
«Le référentiel islamique se noie dans un autre, celui du militantisme et de la résistance. Pour l’avoir personnellement côtoyé, l’homme est simple mais aussi doté d’un grand savoir politique, économique et social. Nasrallah a une grille d’analyse claire par rapport aux différentes situations auxquelles le mouvement fait face. C’est aussi un homme de principe, ouvert à toutes les cultures et idéologies. C’est cette sagesse qui lui a permis d’unifier chiites, sunnites et chrétiens pour la même cause, celle de la résistance», explique M. Sefiani.
Nasrallah, modèle d’un monde arabe majoritairement sunnite ? Son appartenance à la communauté chiite ne semble pas gêner les Marocains. «Il nous faut plusieurs années de réflexion pour comprendre la teneur de ses discours. Fini le temps de Saddam ou de Ben Laden, vive Hassan Nasrallah». Ce discours est celui d’un chauffeur de taxi de la métropole casablancaise. Et il résume bien ce que pense le commun des Marocains du chef du Hezbollah. Le contenu des témoignages diffère mais le message est le même : «Cet homme a su remettre cette armée tueuse de femmes et d’enfants à sa place» ou encore «l’honneur des Arabes a été sauvé» ou bien «grâce à Nasrallah, le temps des gouvernants arabes qui s’occupent à défendre plus leurs trônes que défendre les intérêts de leurs peuples est désormais compté».
Ils sont plusieurs à ne pas savoir que le personnage est chiite. Mais cela ne semble pas les offusquer. «Chiite ou sunnite, il reste musulman et un grand guerrier», répondent-ils en substance. C’est qu’ils voient en lui, le Salaheddine des temps moderne qui, un jour, libèrera à son tour Jérusalem. Puis ses discours n’ont pas une connotation particulièrement religieuse. Il a pu, au cours de son parcours à la tête de Hezbollah, intégrer des courants idéologiques universels. Ce qui lui confère une plus grande popularité. «Les drapeaux du Hezbollah ont été brandis au cœur de la mosquée Al Azhar, le plus grand référentiel du monde sunnite», argumente cet étudiant islamiste. Des frères musulmans égyptiens et jordaniens aux sunnites de l’Indonésie, en passant par les populations du Golfe, également sunnites, Nasrallah s’est installé dans les cœurs des populations arabes et musulmanes. Il a transcendé le gap du référentiel religieux séparant chiites et sunnites pour des raisons autres que métaphysiques.
C’est que, grâce à sa victoire, il a réussi à ressusciter l’espoir cher à toute la nation arabe de reconquérir Jérusalem. En fustigeant l’attitude défaitiste des pouvoirs arabes vis-à-vis du conflit au Proche-Orient, Nasrallah a ouvert une brèche. Pas à la manière d’un certain Ben Laden qui prêche, lui, une politique de la terre brûlée, mais en stratège qui livre un discours qui repose à la fois sur la foi et la raison. Sur le réalisable. «Au cours de ces dernières années, aucun chef d’Etat arabe n’évoque dans son agenda politique la récupération d’Al Qods Al Charif ou des territoires palestiniens occupés. Nasrallah, lui, a montré à tous ces esclaves de Bush que l’armée israélienne peut être battue par la foi et la préparation militaire», s’enflamme Rachid d’Al Adl Wal Ihssane.
Nasrallah trouve ses supporters également chez des militants de la «gauche radicale». Chez ces adeptes de la dialectique, la victoire du Hezbollah sur Israël fera date. «La guerre d'août est une véritable guerre entre deux armées alors que l’on s’attendait de la part du Hezbollah à une tactique de la guérilla basée sur les embuscades et les guet-a-pens. Nasrallah a réussi le pari fou de gagner cette guerre. En fait, les peuples arabes ont plus que jamais horreur de la langue de bois que leur assènent leurs propres dirigeants. Nasrallah leur a apporté du concret», analyse cet activiste de gauche qui préfère garder l’anonymat.

Nasrallah remplacera-t-il Ben Laden ?
Le chef de la résistance libanaise est crédible sur plusieurs tableaux. Comme homme politique, il multiplie les pactes au gré des situations, en témoigne sa dernière alliance avec Michel Aoun, le chef de la communauté maronite et leader du CPL (Courant patriotique libre). «Il est concret dans ses choix comme dans ses décisions. Ses discours le sont également. Comme récemment dans son analyse des motivations du Conseil de sécurité quant à l’arrêt de la guerre», s’enflamme cet étudiant assis au parc de la Ligue arabe. Dans son dernier discours, Nasrallah a effectivement été clair là-dessus : «Croyez-vous que les Américains ont arrêté la guerre pour le peuple libanais, pour les enfants de Qana ? non ! Ils l’ont fait pour Israël car Tsahal était en péril et il fallait coûte que coûte sauver l’armée sioniste». Pragmatique, lucide et charismatique, Nasrallah est en passe de remplacer le chef d’Al Qaïda, Oussama Ben Laden, dans le cœur des Marocains. On se souvient des premières études, aussi bien nationales qu’étrangères, sur l’avis des Marocains sur la personne de Ben Laden après les événements du 11 septembre 2001. Un sondage effectué par l’Economiste quelques semaines après les attentats de New York démontrait la sympathie des Marocains envers Ben Laden : deux personnes sur cinq percevaient positivement le chef d’Al Qaïda. Début 2003, un autre sondage réalisé par l’organisme américain the Pew Research Center for the People & the Press confirme cette tendance : 50% des sondés nationaux trouvent que Ben Laden fait partie des trois plus grandes figures mondiales auxquelles ils accordent leur confiance pour «prendre les bonnes décisions». Début 2006, lors d’une enquête de l’Economiste visant cette fois-ci la jeunesse, ils sont encore près de 44% de jeunes, «à ne pas considérer Al Qaïda comme une organisation terroriste, quatre jeunes sur dix préférant ne pas se prononcer» ! Si aucune étude nationale n’a encore été réalisée sur le degré de popularité de Hassan Nasrallah au Maroc, un récent sondage effectué en ligne dans 33 pays par le quotidien israélien Maariv arrive à la conclusion suivante : le Maroc trône à la tête des sympathisants du Hezbollah avec 92 % de Marocains pro-Nasrallah ! Un score qui en dit long sur le succès du «sayyed» Hassan, au Maroc comme partout dans le monde arabe.

Hicham Houdaïfa
Source: Le Journal Hebdomadaire

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