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Un an après. Alors, l’INDH ?

Ce 18 mai, l'INDH aura un an. Les ambitions de départ sont confrontées à un micmac sur le terrain. Les ONG sont mal formées et mal informées. Certains agents du ministère de l'Intérieur n'utilisent pas leur pouvoir à bon escient et les élus se bousculent pour bénéficier d'un financement. Bilan.

Cela fait un an que l'INDH (Initiative nationale de développement humain) a été annoncée et la fièvre du départ n'est toujours pas retombée. Le sujet excite encore les milieux officiels qui se bousculent au micro des télés lorsqu'il s'agit de louer l'initiative royale ou d'étaler
leurs réalisations en la matière. Ministres et hauts fonctionnaires se sont réunis en milieu de semaine dernière pour un bilan d'étape. Un an est passé. Et les langues sont toujours déliées. Tout le monde semble être pris dans un engrenage impitoyable, une machine boulimique qui grossit démesurément et commence à dévorer tout sur son passage. Jusque-là, plus de 244 millions de dirhams ont été alloués aux projets prioritaires dans les communes nécessitant une intervention d'urgence. En 2006, on parle de 2,5 milliards de crédits. Et ça ira crescendo puisqu'en 2010, il faut rassembler plus de 10 milliards de dirhams.

Partout, une seule question, une seule crainte: comment rassembler tout cet argent ? L'argentier du pays annonce une opération marketing à l'international pour attirer les fonds. La Banque mondiale, sous le charme de cette initiative, veut la rééditer dans d'autres pays. Plusieurs ministres somment le secteur privé de mettre la main à la poche. Bref, la machine, plus vorace que jamais, réclame plus d'argent, plus de mobilisation, plus de bailleurs de fonds. “C'est de la folie !”, témoigne un cadre associatif de Casablanca. “L'INDH est devenu un véritable monstre dont on ne connaît pas la queue. Il n'y a aucune stratégie, aucune visibilité…”. Abdelali Mabsout du réseau de la citoyenneté regrette, pour sa part, que “l'INDH soit perçue uniquement comme un simple outil de financement de projets alors même qu'elle englobe les bases de la culture participative et de bonne gouvernance”.

Les craintes de départ ont-elles disparu ?
Déprimant ? Non, pas tout à fait. Si l'INDH demeure un concept encore vague dans les esprits, elle se traduit quand même sur le terrain. L'année 2005 a connu des interventions urgentes, absorbées à 64% par les besoins en infrastructures. Le travail de développement humain vient donc à peine de commencer. Une véritable armée mobilisant tous les fonctionnaires du ministère de l'Intérieur s'est constituée autour de l'INDH. Ces vaillants soldats accomplissent “un travail remarquable”, de l'avis de tout le monde. Même les communes qui n'hésitent pas à sortir leurs griffes lorsqu'elles sentent une menace sur leurs chasses gardées électorales, n'y trouvent rien à redire. “Il faut avouer que les agents de l'Intérieur sont plus enclins au dialogue et à la concertation”, concède ce président d'arrondissement à Salé. Pour autant, leur pouvoir discrétionnaire n'a pas fini de susciter des critiques. Normal, ce sont eux qui détiennent la caisse. Cet élu d'une commune rurale d'Errachidia insiste sur le contrôle a posteriori des projets réalisés pour vérifier si l'argent consenti a été dépensé là où il faut. “Je redoute une reproduction du scénario du programme anti-sécheresse où la flexibilité financière accordée à certains gouverneurs les avait poussés à faire des marchés de gré à gré”, explique-t-il. Il faut dire que les élus ne sont pas irréprochables non plus puisque, selon des témoignages, “beaucoup ont intégré des associations pour bénéficier des crédits INDH”. Il est vrai qu'ils peuvent les obtenir dans le cadre de leurs arrondissements et leurs communes mais ils préfèrent avoir plusieurs casquettes pour multiplier leurs chances de financement.

Le ministère de l'Intérieur utilise-t-il son pouvoir à bon escient ?
Cela dit, il faut redouter le pouvoir accordé à l'Intérieur. Car il y a eu des déviations. Personne ne remet en cause la volonté de changement. Mais, encore une fois, tout dépend du sérieux des hommes du système. Même si les ONG et les services extérieurs des ministères ont été associés à l'examen des projets soumissionnés, le ministère de l'Intérieur reste le seul maître à bord, ce qui parfois aboutit à des agissements “peu intègres” entraînant des clashs avec le monde associatif. Le réseau associatif de Mohammédia déclare être en conflit ouvert avec la Direction des affaires sociales (DAS) de la préfecture à cause de la monopolisation de l'information par ce service et de la ségrégation exercée sur certains acteurs associatifs. “Au lieu de jouer un rôle fédérateur, la DAS, pour des intérêts personnels, a nourri le conflit entre les associations”, indiquent deux responsables de ce réseau. Pourquoi parle-t-on de ségrégation ? Il existe tout de même des critères d'éligibilité au financement ! “Oui, répondent les deux cadres, mais dans certains comités locaux, l'autorité a choisi des ONG dociles qui ferment les yeux sur beaucoup de dérives”. Ce problème est soulevé aussi à Tétouan, où “des ONG ne défendent que leurs intérêts et privent le reste des associations de toute information sur l'INDH”, proteste Abdelmalek Afrih, membre d'une association de handicapés à Tétouan.

Les ONG locales sont-elles toutes sensibilisées ?
En fait, le non-accès à l'information est un problème presque général au niveau des ONG locales. Déjà handicapées par le manque de compétence et de moyens, celles-ci ne supportent pas que l'information “soit détenue par un groupe de privilégiés”. “Il faut des dépliants, des campagnes de communication”, propose Mustapha Mabsout, qui pilote un réseau d'associations à Sidi Moumen. Généraliser l'information sur les 38 000 associations que compte le pays, cela semble difficilement réalisable. Mais l'INDH n'est-elle pas destinée d'abord aux ONG locales ? C'est cette donnée fondamentale qui fait que des négligences, volontaires ou non, peuvent remettre en question la viabilité de tout le projet de développement. Une des failles soulevées par les ONG est la précipitation qui caractérise l'application de l'INDH. Soumis à une obligation de résultats et à des délais très stricts, le ministère de l'Intérieur a nourri une course contre la montre qui s'est négativement répercutée sur la qualité des projets soumis.

Ainsi dans le feu de l'action, certaines associations ont dû bâcler leurs projets pour pouvoir les présenter avant la fin de l'appel d'offres en avril. Le rythme rapide de l'INDH a poussé plusieurs autres à faire du copier-coller de projets anciens. Un acteur associatif de Mohammédia signale même des cas de plagiat de projets déposés auprès du comité local. Le pire est que leurs vrais initiateurs n'ont aucun document justifiant du dépôt de leur dossier pour envisager un recours contre l'autorité qui les a réceptionnés.

Bref, le montage des projets connaît de sérieuses lacunes. Sur les 4 000 projets soumissionnés au niveau national, seuls 100 ont été retenus. Faut-il comprendre que tout le reste n'était pas valable et qu'il va être jeté à la poubelle? “Non, précise Aziz Dadès, du comité de pilotage présidé par le Premier ministre, ce n'est qu'un bilan indicatif. Nous continuons à valider les projets”.

Mais derrière le peu de projets acceptés, il y a un problème latent : le manque de formation. “Au lieu de réunir quelques acteurs associatifs et de leur débiter des cours théoriques, pourquoi ne pas organiser des ateliers et travailler sur des cas concrets”, propose Idir Ouguindi, qui dirige une association de handicapés à Ouarazazte.

Les projets traduisent-ils les besoins réels de la population ?
Faute de temps, le dirigisme a donc pris le dessus. Le ministère de l'Intérieur s'est rabattu sur des programmes en souffrance alors même que toute action devrait être enclenchée sur la base d'un diagnostic participatif. Traduisez : c'est la population qui doit définir ses besoins dans le cadre d'un brainstorming pour éviter de reproduire la cacophonie sociale des années précédentes où chaque département ministériel agissait tout seul dans son coin sans concertation avec ses homologues. “Les ONG reprochent aux autorités d'avoir repris des projets dont la réalisation incombe normalement aux ministères de la santé et de l'enseignement”, fait remarquer Ouguindi. Dans un mini-sondage effectué sur 130 bénéficiaires, le ministère de l'Intérieur a d'ailleurs soulevé l'existence d'une réelle confusion de la perception des rôles des sectoriels et de l'INDH. Or, cette dernière agit uniquement à titre complémentaire. Mais ne rêvons pas ! Qui de nos ministres n'aimerait pas que ces projets soient estampillés INDH ?

Ce décalage entre les ambitions ministérielles et les réels besoins de la population explique pourquoi certaines régions plongent dans la pauvreté malgré les énormes chantiers qui y ont été édifiés. “Comment expliquer qu'une ville comme Zagora soit si mal notée en terme de pauvreté alors qu'elle est bien équipée en infrastructures ?”, se demande Kacem, membre du réseau des associations d'Agdz. Pour lui, il faut s'en prendre aux communes car leurs méthodes de travail n'ont pas évolué. “Les communes veulent construire des routes, des barrages… alors que la population veut du travail et des activités génératrices de revenus”, s'indigne-t-il.

Les communes incompétentes ? C'est peut-être hasardeux de généraliser. Mais il existe globalement une différence notoire entre les villes, où la restructuration urbaine et les chantiers structurants ont entraîné un certain professionnalisme, et les campagnes, qui traînent dans l'analphabétisme et l'exclusion. La technicité des élus est pour beaucoup dans la compréhension des enjeux de développement humain. L'enjeu est d'autant plus important qu'ils président les comités locaux de l'INDH. Mais toute la pyramide de l'Initiative doit comprendre que les besoins de la population ne se résument pas à des équipements. L'ONG qui gère l'orphelinat Sidi Bernoussi à Casablanca, en déficit financier, affirme qu'elle aurait bien aimé que l'INDH finance des charges fixes comme les salaires, l'eau ou l'électricité au lieu des équipements qui peuvent être facilement financés par des bienfaiteurs.

L'INDH va t-elle éradiquer la pauvreté au Maroc ?
A voir l'excitation qui entoure ce projet, on aurait tendance à dire oui. Mais cela reviendrait à mettre les maux du Maroc dans le même panier. Pourtant, il n'y pas de solution miracle. L'INDH permet d'équiper les régions enclavées et aide la population à sortir de la misère, mais elle ne permettra jamais de stopper la pauvreté. “L'INDH est une démarche marketing. Dire que c'est la réponse à nos déficits sociaux est un leurre”, tranche Fouad Abdelmoumni, peut-être le seul expert qui se démarque de la masse des supporters et remette en question tout le dispositif. “C'est un vernis, poursuit-il. On a pris les anciens programmes sociaux et on les a estampillés INDH. Rien n'a changé. Et rien ne changera tant que le Maroc ne règlera pas ses problèmes de croissance économique”. En attendant, la machine avance et risque de broyer le véritable objectif : lutter contre la pauvreté...

Nadia Lamlili
Source : Telquel

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