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De quoi vivent les partis

50 millions de dirhams seront distribués par l’Etat pour 2006.
Aides et dons des particuliers sont les principales sources de financement. L’apport des militants est négligeable.

Ça y est, le projet de décret relatif au soutien annuel de l’Etat aux partis politiques est sur le point d’être publié au Bulletin officiel. Adopté lors de la réunion du conseil du gouvernement du 30 mars dernier, il lève le voile sur le montant qui sera attribué aux partis politiques au titre de l’année 2006. Cette fois, le jackpot s’élève à 50 millions de dirhams, qui seront distribués d’ici fin juin. Le partage sera déterminé à 50% par le nombre de sièges et à 50% par le nombre de voix récoltées par les partis ou alliances de partis aux élections de 2002, explique Mohamed Saâd El Alami, ministre - istiqlalien - des Relations avec le Parlement. En cas de changements, les élections partielles seront, bien sûr, prises en compte, en attendant que celles de 2007 prennent le relais comme point de référence. C’est au ministère de l’Intérieur qu’il reviendra bientôt de procéder au virement des sommes revenant à chaque parti, à leurs comptes bancaires respectifs.

«Notre capital, c’est notre président !»
Les partis marocains se disent très pauvres, ils se plaignent de l’insuffisance des sommes qui leur sont allouées. On les dit pourtant riches. Comment feront-ils s’ils ne parviennent pas à récolter les 5% de voix nécessaires pour prétendre à l’aide de l’Etat ? Comment font-ils pour survivre sans cette aide, officiellement accordée par le gouvernement depuis quelques années - et autrefois accordée par le Palais ?

Premier élément qui vient à l’esprit : les cotisations des militants. Sur le terrain, ces dernières ne jouent pourtant qu’un rôle secondaire dans les finances des partis. Gratuites pour les uns, d’une valeur symbolique chez beaucoup d’autres : 10 DH dans la plupart des cas, avec des pics au PJD (jusqu’à 200 DH par an) et l’USFP (10 à 50 DH par mois), elles ne représentent qu’une portion très réduite des revenus des partis - environ 10% du budget dans le cas du parti islamiste, pourtant sévère quand il s’agit de les collecter.

Elles sont d’ailleurs souvent réservées au seul financement du fonctionnement des bureaux régionaux, et encore, elles s’avèrent souvent insuffisantes à ce dessein. Il faut dire que les montants demandés sont modestes pour ne pas décourager les militants les moins aisés d’intégrer les partis. Les autres, ceux qui ont les moyens, sont cordialement invités à faire appel à leur « instinct militant», via des dons. «Les cotisations des militants ne comptent pas. Ils peuvent intégrer le parti gratuitement comme ils peuvent payer 100 000 DH. Certains considèrent cela comme une “hiba” au parti», explique ce militant de l’Istiqlal. Ces dons viennent sous des formes diverses, comme le prêt, voire le don d’un local, mais de tels cadeaux sont devenus rares.

Les fonds ainsi récoltés varient selon les partis. Le Mouvement populaire d’avant la fusion, lui, ne recevait rien. De petites formations, qui auront tenté d’appliquer cette méthode, en auront également fait les frais, à l’instar du Parti de la Choura et de l’Istiqlal, qui dépend de l’aide d’un groupe de militants. Parfois, indépendamment de la taille du parti, ce dernier se retrouve à dépendre du secrétaire général lui-même, comme dans le cas du Parti de l’Action, où Mohamed Idrissi reconnaît financer son parti à 90%. On retrouvera des tendances similaires dans d’autres formations très en vue. «Notre capital, c’est notre président», résumera malicieusement ce militant du RNI.

Mais cette situation est désormais limitée par la loi qui prévoit de plafonner ce type de financement à 100 000 DH par personne et par an sous peine d’une amende de 20 000 à 100 000DH. La patience et le porte-monnaie des donateurs ont aussi leurs limites. «Il y a cinq ou six ans, lorsque nous avions une crise financière ou un événement quelconque, le président prenait l’initiative d’organiser un petit-déjeuner chez lui et de solliciter l’aide des hommes d’affaires qui sont au parti», explique Haj Ahmed Krafess, responsable administratif du RNI. «C’est vrai qu’ils n’hésitaient pas à mettre la main à la poche mais ce ne sont pas toujours les mêmes qui doivent payer». Le système a fait ses preuves dans plusieurs autres partis.

A part le PJD, aucun parti n’impose des versements réguliers à ses députés
Dans le cercle des donateurs privilégiés, on retrouve souvent les membres-clés des partis, d’anciens ministres, quelques sympathisants mais aussi et surtout des parlementaires, même si tous les partis n’ont pas de règlement intérieur les obligeant à effectuer des versements réguliers au parti. Seule exception: le PJD, dont les représentants doivent reverser 3 000 DH chacun au siège, et un minimum de 3 000 autres DH à leurs bureaux régionaux, tous les mois. Au-delà de ces versements, le parti islamiste ne reçoit pratiquement pas de dons, affirme Abdelkader Amara, membre du bureau politique du parti. «90% de notre budget est alimenté par les apports ordinaires», dit-il.

Côté activités, ces dernières sont souvent financées par des collectes auprès des militants, qui paient parfois en nature, par des services comme le transport. Un système efficace y compris pour les petites formations, dont le FFD.

Face à ces rentrées d’argent assez disparates et pas du tout pérennes, l’aide de l’Etat joue donc un rôle crucial. Versée aux partis tous les ans via un décret, cette dernière s’élève aujourd’hui à 30 000 DH par an et par député. À cette somme vient s’ajouter une aide supplémentaire à l’occasion des campagnes électorales, qui a atteint la coquette somme de 121,8 millions de dirhams pour les communales de septembre 2002, et 150 millions de dirhams au moment des législatives du 27 septembre, selon le rapport de la Cour des comptes pour les années 2003-2004. Ces sommes ont été distribuées en fonction du nombre de candidats présentés, des voix recueillies et des sièges remportés. Elles étaient essentiellement destinées à couvrir les frais occasionnés par les campagnes électorales (presse, impression, affichage, frais d’organisation de réunions, etc.). Aujourd’hui, elles rentrent déjà dans les prévisions financières : selon Abdelkader Amara, le budget du PJD, qui s’élève à 5 millions de dirhams pour 2006, sera relevé à 7 millions pour 2007, avec un déficit de 2 millions qui devra être compensé par le financement de l’Etat.

Des patrimoines inconnus à ce jour !
Ainsi, désormais la nouvelle loi vient remettre de l’ordre dans les rentrées d’argent des partis qui pourront en bénéficier, en leur donnant une somme peut-être insuffisante à leurs yeux mais assez régulière puisqu’elle leur sera versée tous les ans, et selon leurs performances aux élections. Il reste cependant un domaine dans lequel cette loi ne pourra peut-être pas compenser les dommages engendrés par le système précédent: l’immobilier. Certes, des partis comme le Parti de l’Istiqlal peuvent s’enorgueillir de participations dans des entreprises comme l’imprimerie Arrissala, ou encore du capital représenté par leurs organes de presse, même si ces derniers peinent à garder un équilibre, de l’aveu du trésorier de l’Istiqlal. Mais, ils constituent une minorité.

Comment se fait-il que des partis parfois cinquantenaires n’aient pas leur propre patrimoine ?
Pour comprendre, il faut remonter au dahir du 15 novembre 1958. Ce dernier aura eu un impact négatif puisque les partis ont été empêchés, pendant de longues années, d’avoir des biens immeubles à leur nom. Ils étaient donc souvent obligés, pour acquérir des locaux ou des propriétés immobilières sur leurs propres fonds, de recourir à des prête-noms. Résultat, quand ces derniers venaient à décéder, les partis avaient affaire aux héritiers. Ceci explique les fortes pressions qui ont été exercées sur le président du RNI, Ahmed Osmane, pour qu’il transfère la propriété du siège du parti au nom du RNI. La situation avait fini par être régularisée, mais il ne s’agit que de la partie visible de l’iceberg car il est difficile aujourd’hui d’estimer l’importance réelle des patrimoines immobiliers des partis, ou du moins ce qui en reste. Une situation aggravée par les modes de gestion à l’ancienne, comme dans le cas caricatural du Parti de la Choura et de l’Istiqlal, dont le comptable aura emporté, à sa mort, non seulement les comptes du parti mais aussi la connaissance exacte de l’état du patrimoine. Du coup, si le parti utilise encore quelques locaux aujourd’hui, il ne sait pas s’il en possède d’autres, au point qu’il lui aura fallu attendre treize ans avant de s’installer dans l’un d’entre eux, histoire d’être sûr que le local était bien à lui. Le PJD qui, malgré son organisation financière, loue toujours son local, a eu encore moins de chance : il en avait hérité un du défunt MPDC, mais le titre de propriété a été perdu...

Au fond, nos partis connaissent-ils vraiment l’importance de leur propre patrimoine? Les conditions qui accompagnent les versements de l’Etat, et qui impliquent souvent la suspension des sommes allouées en cas d’irrégularités dans la gestion des partis ou leur gouvernance interne, suffiront-t-elles à mettre un peu d’ordre dans la tambouille financière des petits et des grands ? Quoi qu’il arrive, les zones d’ombre ne sont pas près de disparaître.

L’aide de l’Etat s’élève aujourd’hui à 30 000 DH par an et par député, avec des aides supplémentaires à l’occasion des campagnes électorales (121,8 MDH pour les communales de 2002).

Patrimoine immobilier : les plus vieux sont les plus riches
A quoi juge-t-on l’état financier d’un parti ? Premier signe : l’immobilier. En 2005, l’USFP inaugurait un siège flambant neuf à Rabat. L’immeuble en verre se dresse dans le nouveau quartier des ministères de la capitale, Hay Riad. Il aura coûté plus de 20 MDH, selon Mohamed Seddikki, responsable financier du parti. L’ancien local, une villa de l’Agdal, est désormais réservé aux sections jeunesse et femmes.

Malgré les apparences, l’USFP n’est pas le plus riche des partis. La palme revient au Parti de l’Istiqlal, son rival. Si ce dernier ne possède plus autant d’écoles qu’à l’époque de l’Indépendance, une bonne partie ayant été nationalisée, le parti a des quantités de bâtiments à travers le pays, affirme Mohamed Saâd El Alami, qui en gère les finances, avant de tempérer ses propos. «Le parti possède des bureaux dans de nombreuses régions, tout comme il loue des bureaux dans de nombreuses régions, mais il existe des partis où tous les bureaux sont loués. C’est pourquoi on dit qu’il est plus riche», explique-t-il. Contrairement à la majorité des partis, l’Istiqlal fait partie des rares chanceux à posséder leur siège. Parmi ces derniers également le Mouvement populaire, désormais doté de deux sièges depuis la fusion - celui de l’Union démocratique est revenu à son propriétaire, Bouazza Ikken. L’ancien local du MNP est ainsi devenu celui de la présidence du parti, restant sous l’autorité de Mahjoubi Aherdane. Autre nanti, le RNI qui, après avoir acheté son siège dans les années 80, a vu sa valeur grimper au fil du temps. Ce n’est toutefois que depuis peu qu’il est placé, au nom du parti, même s’il a été financé par ses membres. Le PPS, lui, est sur la voie, même s’il lui reste encore à finir de payer le sien. Etrangement, malgré sa stratégie financière digne d’une entreprise, le PJD se contente de louer son local, contrairement au Parti de la Choura et de l’Istiqal qui survit depuis 1946. Possédant une petite dizaine de bureaux à travers le Maroc, ce dernier connaît mal l’étendue de son patrimoine, depuis que son trésorier, décédé, n’a pas laissé de traces écrites des comptes et des biens.

Source : La Vie Eco

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