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2009 : Année noire pour la presse au Maroc

Le quotidien espagnol El Pais a annoncé lundi que sa distribution avait été bloquée dimanche au Maroc pour avoir repris les caricatures de Plantu parues dans Le Monde et de Khalid Gueddar dans Akhbar Al Youm. Quelques jours auparavant, ce sont les éditions des 22 et 23 octobre du Monde qui ont été interdites de vente sur le territoire marocain. Depuis quelques mois, la presse vit un sale temps au Maroc. Retour sur plusieurs mois de confrontation presse / pouvoir.

El Pais a été accusé par les autorités marocaines d'avoir porté « atteinte à l'institution monarchique » au Maroc. Appartenant au conglomérat médiatique espagnol, Grupo PRISA (Promotion de l'information Société en castillan), El Pais a été censuré à l’aéroport, a confirmé à l'AFP, une source officielle marocaine sous anonymat. Pour rappel, PRISA est actionnaire à 15% du groupe Le Monde, lui-même interdit pour les même faits quelques jours auparavant.

La presse au Maroc a déjà un grand problème de lectorat, hormis les embrouilles de ces derniers mois avec la justice. Al Massae, le plus diffusé dans le Royaume, a un tirage moyen d'environ 150 000 exemplaires. En général, le secteur de la presse souffre d’une insuffisance de moyens financiers plus une faible diffusion. Dans cette situation, les démêlées avec la justice, entraînant des amendes excessives ne font que causer la disparition des organes de presse.

Pour revenir à la justice, la « spirale infernale » a débuté au mois de juin. Le 29 juin, le tribunal de première instance de Casablanca a condamné Al Jarida Al Oula, Al Ahdat Al Maghribia et Al Massae à payer chacun, une amende d’un million de dirhams (270.000 euros au total) pour dommages et intérêts dans l’affaire qui les opposaient à Mouammar Kadhafi. Le lendemain, un autre verdict a exigé du mensuel « Economie & Entreprises », le payement de 5,9 millions de dirhams (environ 550.000 euros) à l’entreprise de fabrication de meubles, Primarios, pour diffamation.

La Fédération marocaine des éditeurs de journaux (FMEJ), s’était alors soulevée contre ce qu’elle a qualifié d’« escalade judiciaire aveugle » contre la presse. La FMEJ a aussi indiqué « une vraie radicalisation de la politique judiciaire, se traduisant chaque fois par une augmentation des amendes, qui ne vise pas une réparation morale, mais la fermeture de journaux ».

S’en est suivi l’affaire du sondage sur la décennie de règne de Mohammed VI. Il n’y a certes pas eu d’actions en justice mais seulement une saisie et une interdiction de diffusion. Les hebdomadaires TelQuel et Nichane ont effectué un sondage en partenariat avec Le Monde sur le bilan des 10 premières années du règne du roi Mohammed VI. La publication du sondage leur a valu la saisie des numéros, suivie d’une interdiction de distribution du quotidien français Le Monde.
Au Maroc, « la monarchie ne peut faire l'objet d'un débat même par voie de sondage », a rétorqué le ministère de la Communication.

Quelques semaines après, en fin août, Mohammed VI a été placé en convalescence pour cinq jours en raison d'une « infection » ne présentant « aucune inquiétude sur sa santé », d’après un communiqué de maison du protocole. Certains journaux (Al Jarida Al Oula, Al Ayam et Al Michaâl) ont commenté cette « retraite » du monarque à leur façon. Ils ont alors été poursuivis pour avoir publiés une « fausse information ».
Résultat : le 15 octobre, Driss Chahtane, directeur de publication du journal Al-Michaâl, a été condamné à un an de prison ferme par le tribunal de première instance de Rabat. Ses co-accusés, deux journalistes de sa rédaction, Rachid Mahamid et Mustapha Hayrane ont écopé de trois mois de prison ferme.

Le 26 octobre, c’était au tour d’Al Jarida Al Oula. Ali Anouzla, directeur du quotidien, a été condamné par le même tribunal à un an de prison avec sursis plus une amende de 10.000 dirhams (environ 885 euros). La journaliste Bouchra Eddou, poursuivie pour complicité dans la même affaire, a écopé de trois mois d’emprisonnement avec sursis et de 5.000 dirhams (455 euros).

La famille royale est encore concernée par la dernière affaire en date. En fin septembre, à la suite du mariage du prince Moulay Ismaïl, le quotidien Akhbar Al Youm a publié une caricature qui portait « atteinte au respect dû à un membre de la famille royale » selon le ministère de l’Intérieur. L’édition incriminée a été saisie, le journal poursuivi en justice et ses locaux ont été fermés. Le verdict du procès intenté contre Taoufik Bouachrine et Khalid Gueddar, respectivement directeur et caricaturiste d’Akhbar Al Youm, est attendu le 30 octobre.

Ces événements ont sans doute beaucoup contribué à la chute (127e sur 175 pays) du Maroc dans le classement 2009 de la liberté de la presse dans le monde de Reporters Sans Frontières (RSF). Le 27 octobre, lors d’une conférence de presse improvisée à Casablanca, le secrétaire général de RSF, Jean-François Julliard, a estimé d’après l’AFP, qu'il y avait une « vraie dégradation de la liberté de la presse » au Maroc. Il y a annoncé son intention de saisir la secrétaire d'Etat américaine, Hillary Clinton, pour qu’elle évoque la question lors de son futur passage au Maroc. L’ex-first lady américaine sera à Marrakech la semaine pour participer au Forum de l’Avenir, les 2 et 3 novembre.

Ibrahima Koné
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