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Commerce intra-régional : L’Afrique du Nord perd du temps

Le commerce intra-régional des pays d’Afrique du Nord pourrait être dix fois plus élevé que son niveau actuel compte tenu des caractéristiques économiques, géographiques, historiques et culturelles des pays de la région et par rapport à un benchmark international.

La taille de ce potentiel commercial peut paraître exorbitante. Toutefois, elle reste raisonnable par référence aux indices de complémentarité. Ces derniers reflètent le degré de différenciation des structures d’importations et d’exportations des pays de la communauté régionale de l’Afrique du Nord.

Même si la mesure de la complémentarité entre les économies n’est pas aisée et dépend étroitement du niveau de détail des données utilisées, il y a globalement une relation étroite entre l’indice de complémentarité et le niveau du commerce intra-régional. C’est une relation qui se vérifie partout dans le monde.

Au sein de l’UE et de l’Alena, les proportions de commerce intra-régional sont légèrement supérieures par rapport aux indices de complémentarité économique correspondants. Ceci est également le cas de l’Afrique sub-saharienne (ASS) avec un indice de complémentarité de 9% et un commerce intra-régional de 12%. Pour le Mercosur, le commerce intra-régional est relativement faible comparé à l’indice de complémentarité, mais le rapport entre les deux reste proche de l’unité.

En revanche, l’Afrique du Nord émerge comme un cas assez paradoxal. Son indice de complémentarité est estimé à 21,3%, alors que son commerce intra-régional ne dépasse pas 2,7%.

Cet argument corrobore le résultat du benchmarking selon lequel le potentiel de commerce à l’intérieur de la sous-région de l’Afrique du Nord reste très largement inexploré.

Au-delà des facteurs politiques, qui sont déterminants, la première raison de ce gap réside dans les coûts de transport.
Mais la distance ou son corollaire, le coût de transport n’est que l’aspect le plus visible des handicaps au commerce entre les pays de la région.

D’autres facteurs, tels que les barrières administratives, techniques ou informationnelles, entravent davantage les flux de commerce entre les pays partenaires. Une étude récente, réalisée par la Ligue arabe (2004), révèle l’effet très restreignant des barrières non tarifaires sur le commerce entre les pays arabes. Il s’agit à la fois de barrières administratives, de restrictions quantitatives, du coût exorbitant de certaines procédures, des restrictions de change et enfin de barrières techniques. La plupart de ces barrières n’ont pas de fondement légal et sont imposées de façon arbitraire en fonction des circonstances. L’information sur le potentiel des échanges entre les pays de la sous-région fait également défaut. Il est beaucoup plus facile d’accéder à des informations sur le marché européen ou américain, via Internet ou par le biais des Chambres de commerce, que sur le marché des pays de l’Afrique du Nord. L’absence d’informations sur les opportunités d’affaires dans la sous-région handicape les flux des échanges.

Dans le benchmark international, une frontière commune peut favoriser le commerce des pays voisins. Mais uniquement dans la mesure où celle-ci est ouverte et que l’infrastructure existante facilite la circulation des marchandises des deux côtés de la frontière. Dans le même sens, un accord commercial préférentiel permet d’intensifier les échanges entre les pays signataires à condition que les dispositions d’un tel accord soient réellement appliquées.

Aujourd’hui, l’intégration commerciale et économique des pays de l’Afrique du Nord s’impose pour de multiples raisons. Il ne s’agit pas uniquement de s’inscrire dans la vague internationale de l’intégration régionale, mais de concevoir un projet d’intégration. Tout en étant doté d’une vision politique, ce projet doit obéir à une rationalité économique en prenant en compte des mécanismes d’incitation des agents privés. Cette vision politique permet d’intégrer les objectifs stratégiques de long terme et justifie la mise en place dans le court terme, par les Etats de la région, d’une approche volontariste et des conditions susceptibles de stimuler la propension à commercer entre les opérateurs économiques des pays de la région.

Pour qu’il soit efficace, le projet d’intégration régionale des pays de l’Afrique du Nord a besoin aujourd’hui d’être recentré et crédibilisé. Un recentrage qui permet de focaliser les efforts d’information, de promotion et d’administration sur un nombre «réduit» et cohérent d’initiatives d’intégration entre les pays de la région. Une «crédibilisation» du processus par la mise en œuvre de mécanismes transparents de suivi, d’évaluation et de résolution des différends commerciaux entre les opérateurs de la région.

L’adhésion des pays de la sous-région à l’OMC est un atout fondamental dans leur processus d’intégration régionale. Le respect des règles de l’OMC offre un cadre de référence commun à l’ensemble des pays. Il assure une visibilité pour les partenaires et l’assurance que les obstacles au commerce ne seraient pas appliqués de façon discrétionnaire et arbitraire. Les engagements consolidés par les pays de la sous-région dans le cadre multilatéral en matière d’ouverture des marchés, mais également dans les autres domaines, vont représenter une base minimale crédible pour une coopération régionale approfondie.
Forts de leur apprentissage tout au long du processus d’accession ou de leur expérience dans le cadre de l’OMC, il est très vraisemblable que les pays de la sous-région aient «mûri» et leur façon d’aborder l’intégration régionale modifiée. Celle-ci devrait être conçue comme une composante habilement taillée qui complète l’édifice des relations multilatérales, euro-méditerranéennes et transatlantiques et non un substitut qui vise à les évincer.

Des coûts de transport pénalisants

Même pour une distance donnée, ce coût varie largement en fonction de la qualité des infrastructures, de la nature des produits échangés, du mode de transport utilisé (vrac maritime, container, transport routier, fret aérien), des économies d’échelle, du niveau d’équilibre des échanges (coût des retours vides), et enfin du degré d’efficacité du secteur du transport.

Or, dans les pays d’Afrique, les coûts de transport sont 63% plus élevés par rapport à la moyenne des pays développés. Ils s’élèvent à 14% de la valeur exportée dans le premier groupe de pays contre 8,6% seulement dans le second. Selon un rapport de la Cnuced, publié en 2002, le coût du fret dans les pays de l’Afrique du Nord est 111% plus cher que dans les pays industrialisés et 25% de plus par rapport à la moyenne des pays en développement. De plus, il n’y a pas de dessertes directes entre les pays partenaires de l’Afrique du Nord. Il est fréquent que le commerce bilatéral transite par des ports européens avant d’arriver à sa destination finale.

Par conséquent, la distance effective entre les pays est supérieure à la distance physique. Les coûts de transport plus élevés entre les pays de la région constituent un handicap majeur au développement de leur commerce. Plusieurs études montrent qu’une réduction du coût de transport conduirait à une hausse deux fois plus importante du volume des échanges. Ce résultat signifie que si le coût du fret en Afrique du Nord se réduisait de façon à atteindre le même niveau que la moyenne des pays en développement, cela accroîtrait le volume des échanges de 50% par rapport à leur niveau actuel.

Lahcen ACHY, professeur d’économie
Institut national de statistique et d’économie appliquée
Source : L'Economiste

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