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Mustapha Terrab : "L'entrée en bourse de l'OCP n'est pas programmé"

La Nouvelle Tribune : Dans la conjoncture actuelle et au vu des récents développements qu’a connus le Groupe OCP, la question qui se pose en premier, M. Terrab, a trait à la santé financière de l’Office. Pouvez-vous faire la genèse de son redressement, notamment l’externalisation des caisses de retraite avant d’en arriver au partenariat stratégique que vous venez de signer avec la Banque Centrale Populaire ?

- M. Mustapha Terrab : Je pense qu’il est effectivement important de revenir sur cette genèse, car si l’entrée de la BCP dans le capital de l’OCP constitue effectivement un renforcement des fonds propres de l’OCP SA, ce n’est pas là l’objectif principal de cette opération.
En effet, il y a plus d’un an, nous avions envisagé l’entrée de la Caisse de Dépôt et de Gestion dans le capital de l’OCP pour renforcer le capital de notre société parce qu’à ce moment-là il était question d’externaliser la caisse de retraite et cette opération était difficile à envisager dans les conditions financières de l’OCP de l’époque. L’apport en fonds propres que devait faire la CDG visait principalement à nous permettre de financer la sortie de cette caisse de retraite. Dans les faits, cette opération qui s’est concrétisée par un versement de près de 30 milliards de dirhams au RCAR, a pu se faire sans le concours de la CDG, grâce à une année commerciale exceptionnelle qu’a connue l’OCP en 2008.
Donc, l’opération qui a été réalisée avec la BCP n’ayant plus pour objectif l’externalisation des retraites, s’est faite dans un contexte différent et vise le développement de synergies stratégiques entre les deux organismes. Ceci explique d’ailleurs pourquoi l’OCP a également pris une participation dans la BCP pour s’assurer que nous avons, chacun, l’outil nécessaire pour réaliser les synergies en question.

- Quelles sont ces synergies ?
- En premier, l’OCP compte accueillir des investisseurs étrangers pour produire des engrais à partir des phosphates marocains sur la place industrielle de Jorf Lasfar notamment. Dans cette perspective, il est clair que l’accompagnement d’un groupe financier est un facteur attractif très important pour ces investisseurs directs étrangers.
Comme vous le savez, sur le marché international des engrais, la part de l’OCP est de 12% alors que sur le marché de la roche phosphatière, nous avons des parts de marché qui avoisinent les 50%. L’idée est donc pour certains de nos clients, qui importent aujourd’hui la roche du Maroc, mais qui pourraient arrêter de le faire pour des capacités additionnelles du fait que leurs perspectives d’investissements s’orientent vers des projets intégrés, est de les inviter à venir sur place réaliser ces derniers sur le territoire marocain, en partenariat avec l’OCP. L’OCP deviendrait ainsi un acteur majeur dans le développement du marché mondial des engrais.
Concrètement, ce partenariat permettrait de financer les investissements dans des usines d’engrais réalisés par des opérateurs étrangers. On pourrait dire que ce sont nos clients aujourd’hui qui, pour l’extension de leurs capacités, s’adosseront à nos mines de phosphates et y intégreront leurs activités industrielles en montant des usines au Maroc au lieu d’importer simplement de la roche.

- Quelles sont les nationalités de ces opérateurs-investisseurs étrangers qui souhaiteraient investir au Maroc ?
- L’OCP travaille avec cinquante pays répartis sur les cinq continents, mais actuellement ce sont seize candidats qui se sont fait connaître et qui viennent pratiquement de tous les continents. Nous ne pourrons pas accueillir les candidats dans leur ensemble, mais nous prévoyons de réaliser dix opérations de partenariat de ce type d’ici 2020, ce qui est cohérent avec la croissance attendue du marché des engrais. Nous allons donc attribuer ces lots industriels par des procédures de consultation et par vagues, probablement une première pour un à trois opérateurs dans les prochains mois, une seconde vague dans trois ou quatre ans et une troisième plus tard.

- Mais, l’accord de participations croisées que vous venez de signer avec la BCP, renforce aussi la santé financière de l’Office ?
- Absolument, ce renforcement est un des objectifs de cette opération, mais il n’en est ni le seul, ni le premier. Comme vous l’avez constaté, les apports en capital de ce partenariat sont déséquilibrés puisque nous injectons un milliard de dirhams dans la BCP pour une participation de 7% du capital quand celle-ci nous en donne 5 milliards pour 5,8% uniquement du nôtre. Cela est dû à la valorisation de chaque entreprise qui a été faite par des banques d’affaires expérimentées. En conséquence, bien sûr, les fonds propres de l’OCP en sortent renforcés de 4 milliards de dirhams. Mais, la santé financière de l’OCP a connu un renversement et s’est trouvée renforcée entre 2007 et 2008 comme peut le montrer l’examen du ratio rapportant la dette aux fonds propres. C’est ainsi qu’en 2006-2007, nous avions un ratio dettes/fonds propres, négatif de - 250% à fin 2007, induit par des fonds propres eux-mêmes négatifs après absorption des pertes cumulées de l’activité de l’office. En 2008, nous sommes arrivés, grâce à cette année exceptionnelle, à un ratio de 120%, c’est-à-dire des fonds propres équivalents à la dette et aujourd’hui, grâce à la transaction avec la BCP, la dette ne représentera plus que 70% des fonds propres. Nous avons deux types de dettes, celles financières qui correspondent aux engagements bancaires souscrits pour externaliser la caisse de retraite, mais aussi des dettes sociales qui demeurent dans notre bilan et qui correspondent à la retraite complémentaire et la caisse maladie encore gérées en interne au niveau de l’OCP.

- Ce ratio d’endettement n’est-il pas encore élevé ? Ne prévoyez-vous pas de l’améliorer par une ouverture du capital à d’autres actionnaires ou, comme cela a pu se dire, par une introduction en bourse ?
- Je pense qu’au contraire, le ratio évoqué est un ratio de dettes sur fonds propres très fort en comparaison à nombre d’entreprises de notre secteur d’activité qui ont une dette plus importante que leurs fonds propres. Nous sommes dans des ratios optimaux de l’industrie du phosphate et de l’industrie minière et nous sommes arrivés beaucoup plus rapidement à un objectif que nous nous étions fixés à plus long terme et ce grâce à un résultat net de l’année 2008 de 25 milliards de dirhams, tout à fait exceptionnel.

- Et l’introduction en bourse de l’OCP ?
- Le ministère des Finances a annoncé lors de la dernière conférence de presse cette possibilité. Mais je voudrais insister sur deux points essentiels. Premièrement, une introduction en bourse n’est pas une privatisation. On pourrait même dire que c’est le contraire, soit une nationalisation puisque c’est le petit porteur, le citoyen marocain qui pourrait ainsi placer son épargne dans notre entreprise. Une telle procédure permettrait sans doute d’incarner la sentence historique énonçant que l’OCP appartenait à tous les Marocains.
Deuxio, si une telle opération devait se faire, alors je me dois d’insister sur le fait qu’elle n’est nullement programmée dans le temps, aujourd’hui.
La stratégie de l’OCP ayant comme finalité de valoriser les ressources de l’entreprise qui, au-delà des phosphates, sont son capital humain, à savoir les hommes et femmes qui y travaillent, l’introduction en bourse profitera en priorité aux salariés de l’OCP. Ce ne serait alors que justice puisque avant l’externalisation de la caisse de retraite, l’OCP appartenait indirectement à ses agents et à ses retraités.

- Par ailleurs, l’OCP est-il obligé comme par le passé, de rétrocéder au Trésor des fonds à la demande de ce dernier ?
- Non, le Trésor est un actionnaire comme les autres et il peut recevoir des dividendes quand les conditions bilancielles le permettent et je me dois de saluer aujourd’hui la manière dont le Trésor et le ministère des Finances en général approchent l’OCP en tant qu’actionnaires totalement rationnels par rapport à la nature de l’OCP, son activité, ses objectifs et la conjoncture internationale dans laquelle nous évoluons.
Par contre, il faudrait également évoquer les contributions de l’Office aux impôts, comme l’a d’ailleurs fait récemment le ministre des finances. Avec des résultats comme ceux que nous avons obtenus en 2008, vous imaginez bien que la contribution de l’OCP à l’IS a été des plus conséquentes… Nous sommes désormais dans un cercle vertueux avec nos actionnaires qui respectent les règles en la matière.

- Sachant que les phosphates sont une matière première stratégique, pensez-vous que la crise mondiale actuelle pourra impacter pour longtemps votre activité, mais surtout l’effort de restructuration que vous avez entrepris ?
- Il est certain que la crise n’épargne pas aujourd’hui l’OCP puisque nous sommes pleinement exposés à l’économie internationale. Elle a affecté les prix comme les volumes parce qu’il y a un impact sur la demande. Mais, cet impact ne saurait se prolonger trop longtemps parce qu’il s’agit d’engrais. C’est pourquoi, nous réagissons de manière anticyclique et volontariste, ce qui me semble être la seule manière d’appréhender vraiment une telle dépression internationale. La crise actuelle nous détermine dans l’accélération de notre stratégie. Le premier objectif de notre partenariat avec la BCP réside dans l’accélération de la stratégie de l’OCP. Sur 2009-2010 par exemple, nous accélérons nos cadences de réalisation de nos propres projets de développement et d’investissements. Et ceux qui ont besoin d’investir dans ce secteur, du fait même de la crise, iront vers les investissements qui leur paraitront les plus intéressants en termes de perspectives de coûts, de compétitivité, etc.
L’excellente année 2008 nous a permis d’absorber les chocs actuels de volumes et de prix. Si ces derniers ont baissé, ces derniers mois, sur le marché international de 20% au moins, il faut rappeler que nous venons d’un pic exceptionnel. Mais, la meilleure manière de voir les choses est de les appréhender à l’envers. Si les prix du phosphate aujourd’hui en période de crise se situent entre 120 et 200 US $ la tonne, il ne faut pas oublier qu’un an et demi auparavant, ils étaient à 40 US $ la tonne ! Peu de produits peuvent actuellement se négocier à trois fois leur valeur antérieure en pleine période de crise… . Quant à la baisse de la demande, elle est sérieuse, plus de 70%, pour la simple raison que l’agriculteur ne trouve pas de crédits auprès des banques. Mais, nous voyons déjà les prémisses de la limite de la contraction de la demande des engrais qui sont une matière vitale. On peut retarder l’achat d’un bien, mais l’agriculture, elle, a structurellement besoin d’engrais pour satisfaire ses rendements.

- M. Terrab, pouvez-vous nous dire si la consommation d’engrais a pris au Maroc avec le Plan Vert mis en œuvre par le département de M. Akhannouch?
- L’OCP a fortement contribué à ce Plan Vert, d’abord en évitant à l’agriculteur marocain de subir le choc de la hausse vertigineuse des prix des engrais en 2008, grâce à notre très forte action de régulation. En effet, quand les prix ont quadruplé sur le marché international, ils sont restés quasiment identiques au plan interne.
De plus, nous avons essayé de rééquilibrer les types d’engrais utilisés par notre agriculture en allant vers des produits mieux adaptés aux sols et aux cultures de notre pays. Et donc aujourd’hui, nous assistons à des « success stories » incroyables. Certains exploitants ont vu leur productivité augmenter de deux, voire trois fois.

- Considérez-vous que la consommation d’engrais au plan national soit susceptible de constituer une bonne part de marché pour l’OCP ?
- Absolument. Nous en sommes tellement persuadés que l’OCP compte bien revenir au niveau de la distribution d’engrais, secteur qui avait été dévolu à Fertima, il y a quelques années. Dorénavant, nous serons présents sur ce segment et fortement. Mais vous devez comprendre que les engrais, ce n’est pas seulement le phosphate, c’est l’ammoniaque, le souffre, des denrées que nous importons, à prix très forts d’ailleurs, et donc il faut savoir que le Maroc ne maîtrise pas toute la filière engrais. Sachez, par exemple, que l’an passé, la tonne de souffre est passée de 50 dollars à près de 800 dollars. Et l’OCP importe le souffre, comme l’ammoniaque qui, lui aussi a triplé de prix courant 2008.

- Enfin, on pourrait peut-être évoquer le business plan de l’OCP, à la lumière de toutes les considérations et les projets que vous avez évoqués lors de cet entretien ?
- Bien évidemment, nous avons un business plan qui traduit notre stratégie et qui a constitué la base sur laquelle la valorisation de l’OCP a été réalisée. Ainsi, sur les deux à quatre prochaines années, nous allons réaliser des investissements énormes, avec des montants de 20 à 30 milliards de dirhams, notamment à Jorf, à Safi, à Ben Guérir, à Khouribga. Pour ce dernier site, nos capacités d’extraction minière passeront de 18 millions à 20 millions de tonnes actuellement, à plus de 30, voire 35 millions de tonnes dans quelques années. Cela représentera un saut qualitatif énorme pour Khouribga, de même que vous avez pu constater l’inauguration par Sa Majesté le Roi, de nouvelles capacités minières à Ben Guérir, du même ordre en termes d’importance, et nous projetons d’accomplir le même travail à Boukrâa, en améliorant les infrastructures.
L’autre gros investissement qui va s’étaler sur deux ou trois ans, sera l’adoption du nouveau mode de transport du minerai, par pipe line et non plus par voie ferrée. Cela représentera une nouvelle manière de gérer l’interface entre la mine et la chimie et cela constitue une véritable restructuration industrielle.

Entretien réalisé par Afifa Dassouli
Source : La Nouvelle Tribune

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