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Nichane mort de rire

Nichane n’y est pas allé par quatre chemins, le premier ministre non plus. On l’aura compris, rapporter des blagues qui ne font pas rire grand monde peut coûter beaucoup. «Comment les Marocains rient de la religion, du sexe et de la politique», Nichane l’a bien compris après la parution de son dossier, à ses dépens. Plus on est de fous, plus on rit.

Si Pierre Desproges affirme qu’on peut rire de tout mais pas avec n’importe qui, le plus juste ici serait d’ajouter pas n’importe où, n’importe quand et surtout n’importe comment. Retour sur les faits.
Le 9 décembre, Nichane n°91 atterrit dans les kiosques. Un numéro censé être «à la fois ludique et informatif» précise le grand frère Telquel, mais accueilli avec des grimaces de dégoût. La masse des Marocains aime bien jouer, mais pas avec la religion. Si les blagues en question ne font pas rire grand monde, il y en a même que ça enrage au point d’appeler au lynchage de ses auteurs, ou plutôt de ses rapporteurs. Le site khourafa.org, désormais introuvable sur la toile, a vite fait de dénoncer les responsables et d’appeler à leur poursuite en justice. Cependant les commentaires des internautes manifestaient beaucoup plus qu’une simple colère, le rédacteur en chef Ksikes et la journaliste El Aji étaient traités d’apostats et de mécréants. La tension allait en augmentant et laissait présager que la situation pouvait très vite tourner au vinaigre, d’autant plus que le site en question a pris le soin de recopier certaines de ces blagues (!), ce qui finissait de mettre le feu au poudre.

Les voix furieuses commencent à s’élever. La plus forte est celle du Koweit, où les parlementaires manifestent devant l’ambassade marocaine. L’effet des caricatures danoises, de la maladresse du Pape Benoît XVI s’est estompé, mais la pression est toujours là. Le monde musulman est à l’affût de la prochaine affaire. Des blagues, des caricatures, c’est du pareil au même. Désormais c’est Nichane contre l’Islam.

«Atteinte aux valeurs sacrées», la sentence tombe comme un couperet. Le Premier Ministre interdit la diffusion de Nichane sur la voie publique. Nichane s’excuse par communiqué. Trop tard, la machine est déjà en marche. Le procès a été fixé au 8 janvier.


Prises de position

La position de principe partagée par tous veut que la notification et l’interdiction de Nichane sur la base de l’article 66 soit illégale. Le Premier Ministre ne peut interdire que le numéro incriminé. Plus encore, la suspension du journal par décision administrative, et donc par voie extra-judiciaire, ne peut être que rejeté par l’ensemble du domaine, compte tenu du respect dû au principe de la liberté d’expression.

La Fédération Marocaine des Editeurs de Journaux (FMEJ) et le Syndicat National de la Presse Marocaine (SNPM) tiennent une position nuancée. Tout en condamnant le fait que l’interdiction ressorte du gouvernement et non de la justice, les deux organismes mettent l’accent sur le devoir de respect des journalistes envers la déontologie de la profession.

C’est également le cas pour la plupart des journaux marocains, qui mettent les blagues de Nichane sur le dos de la bonne foi et des mauvais calculs. D’autant plus que ses journalistes ont présenté des excuses et se sont engagés à poursuivre leur travail dans le respect des croyances des lecteurs.

Mais tout le monde ne l’entend pas de cette oreille. La Nouvelle Tribune se pose des questions sur le sens des responsabilités de Nichane (et de Telquel), qui ont «la curieuse propension de s’excuser platement chaque fois qu’ils sont en position inconfortable». L’hebdomadaire se demande s’il s’agit d’une «attitude infantile ou (d’une) position délibérée qui donne aux autres l’impression qu’on les prend pour des idiots ? (…) Quel est le sens du combat des journalistes de Nichane pour l’extension du champ des libertés, s’ils ne sont pas sûrs d’eux-mêmes et du bien fondé de leur démarche ?». La question est posée.

Salma Daki
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