Le 16 mai 2003, la monarchie était clairement défiée. Elle a relevé le gant. Depuis, un an est passé. Il est temps de dresser un premier bilan. Sur le plan sécuritaire. Plus de 5000 personnes ont été arrêtées, et 2000 ont été "inculpées dans des affaires de terrorisme depuis mai 2003" – c'est le ministre de la Justice qui le dit. 17 condamnations à mort ont été prononcées et plusieurs siècles de prison distribués. Sur ces 2000 inculpés, combien étaient en relation avec les attentats du 16 mai ? Environ la moitié, répond sérieusement M. Bouzoubaâ. Près de 1000 personnes dans la confidence d'un attentat terroriste ? C'est énorme, gigantesque, incroyable, bref, pas crédible une seconde… et c'est exactement l'effet recherché. Les barbus marocains en rupture de ban, quel que soit leur degré de fanatisme, se le tiennent désormais pour dit : oui, l'État est arbitraire, oui, il est violent. Le centre secret de Témara ? On ne fait même plus semblant de nier son existence, ni le fait qu'on y pratique la torture à large échelle. Certains ont pu croire que, étant très mal renseigné sur les méandres nébuleux du radicalisme islamiste, l'État aurait abandonné faute de preuves. Ils ont eu tort. En affirmant tranquillement au Figaro que le 16 mai était l'œuvre conjointe des 3 plus puissants chefs terroristes de la planète (Ben Laden, Zawahiri et Zarqaoui), sans oublier de mystérieux Libyens, invités de dernière minute à la fête, le général Laânigri démontre le peu d'intérêt qu'il accorde à la notion même de preuve. Mieux, il nous rit au nez plutôt franchement : "Je dis ce que je veux et vous n'y pouvez rien. J'ai une carte blanche et je m'en sers. Quelque chose à ajouter ?" Du pur jus de Makhzen. Faut-il s'en plaindre ? Pour la posture intellectuelle, sans doute. En attendant, le système policier a fait place nette. C'est l'essentiel. Pour les droits humains, on verra plus tard. Sur le plan politico-religieux. Place nette, là aussi. Le PJD s'est intelligemment auto-purgé. Ses trublions sont au placard, mais pas au ban (il faut bien garder une marge de négociation avec le Palais) et son nouveau secrétaire général est un psychiatre quinquagénaire propre sur lui, cravaté de près à défaut d'être rasé de frais. Prêt pour être le joker politique de la monarchie quand elle en ressentira le besoin. Les gens d'Al Adl Wal Ihsane, eux, se tiennent étonnamment cois. Depuis le 16 mai, c'est comme si les ennemis publics d'hier étaient entrés en hibernation. De loin en loin, tout de même, quelques frémissements : les lieutenants de Yassine font discrètement savoir qu'ils aimeraient bien marcher dans les traces du PJD (curieux retournement de situation, en passant). Ça viendra… Le Makhzen use vite ses alliés, il aura toujours besoin d'une réserve. À part ça, les mosquées sont sous contrôle, les ouléma perturbateurs sous les verrous et plus personne, désormais, ne peut émettre de fatwa sans risquer sérieusement sa liberté et son intégrité physique. Sous les turbans, plus une oreille ne bouge. Le bilan, un an plus tard, est donc clair, net et sans appel : victoire sur toute la ligne pour la monarchie, qui a montré qu'il y avait un temps pour les ouvertures démocratiques et un temps pour l'autoritarisme. Prenons acte. Mais n'allons pas jusqu'à applaudir, car tout cela sent le court terme à plein nez. Tant qu'un ennemi est vivant, même derrière les barreaux, il faut le craindre. Surtout quand il n'est pas spécialement porté, comme c'est le cas des intégristes, sur le compromis. Ces gens sortiront bien un jour et il ne faudra pas s'attendre, vu ce qu'ils auront subi, à ce qu'ils se montrent conciliants. Contrairement à ce que pensent les tenants de la ligne dure, ils n'ont pas réglé le problème ; ils l'ont juste reporté à plus tard. Le spécialiste du Maroc John Waterbury avait écrit un jour : "La seule stratégie à long terme de Hassan II, c'est d'espérer que ses tactiques à court terme continueront d'être payantes". En ce qui concerne sa lutte contre les islamistes, on peut dire exactement la même chose de Mohammed VI.
par Ahmed Benchemsi ----------------------------------
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