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Les parents immigrés pris « au piège » de la cité
M
21 avril 2008 17:02
S’il est vrai que l’immigration transforme en profondeur les normes, valeurs et pratiques des familles immigrées, que les modèles éducatifs importés sont « travaillés par le temps passé en France », peut-on pour autant en conclure que les « problèmes des jeunes » observables dans « les quartiers » (délinquance, toxicomanie, trafic, etc.) trouvent leur origine dans la « crise du modèle parental maghrébin » pour parler comme Michèle Tribalat[1] ou dans « la faillite des pères maghrébins » pour reprendre l’expression de Pascal Duret[2] ? Pour la première, « le décalage entre le modèle d’autorité traditionnelle et la loi française » expliquerait la « crise d’autorité » des familles maghrébines : privés de leur « toute puissance traditionnelle », les pères, occupant des positions professionnelles dévalorisées, se réfugient dans le silence, abdiquent leur « pouvoir » à leur épouse et à leurs enfants. Pour le second, « les grands frères » doivent leurs prérogatives à la « négation symbolique » de leurs pères déchus de leur statut, « humiliés sur leur lieu de travail », socialement disqualifiés et donc démunis du droit à la parole. Ces analyses illustrent assez bien l’espèce de doxaqui s’est peu à peu imposée dans les champs de la recherche et du travail social sur les familles immigrées. Les explications de type ethno-culturaliste s’imposent d’autant plus facilement qu’elles ont pour objet des populations qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour répliquer aux discours tenus à leur propos. Attribuer la délinquance à « la crise d’autorité des familles maghrébines » et celle-ci au décalage entre les normes de la société française et des sociétés d’origine, n’est-ce pas considérer que ces familles sont en France « d’éternelles étrangères » ? Dire que les pères maghrébins sont des pères « humiliés », n’est-ce pas porter sur eux un regard réducteur, voire misérabiliste ? Car un certain nombre d’entre eux ont fait leur « place » à l’usine, ont été syndiqués, ont contribué aux luttes contre les licenciements, la dureté des conditions de travail, pour l’amélioration des salaires, etc. Leur émigration a obéi à un espoir de survie – quitter le pays pour trouver du travail et fonder une famille – et ils l’ont conçue comme un moyen d’améliorer leur condition. D’ailleurs, leur projet de mobilité sociale force le respect de leurs enfants. Contre la vision des immigrés en termes de handicaps ethno-culturels, il faut aussi rappeler l’hétérogénéité des destins scolaires et sociaux des fils et filles d’une même famille. Toutes les familles maghrébines n’ont pas des enfants « livrés à eux-mêmes », mais y compris au sein de celles où l’un des membres est devenu délinquant, les différences sont parfois très nettes entre les enfants[3].
M
21 avril 2008 17:03
Cependant, pour rompre avec cette forme d’étiologie sociale qui impute la délinquance des « jeunes » aux propriétés culturelles des familles immigrées ou à « la dévalorisation de l’image du père », il ne suffit pas d’opposer aux familles placées dans les situations les plus difficiles celles dont l’existence est moins problématique. D’une part, ce serait laisser dans l’ombre l’explication sociologique des difficultés bien réelles auxquelles nombre de familles immigrées vivant en cité sont aujourd’hui confrontées. D’autre part, ce serait occulter la démoralisation collective des parents immigrés – avec ou sans enfants devenus délinquants – relogés dans les grands ensembles. Réalisé à partir d’entretiens menés entre 1990 et 1995 avec des parents algériens et marocains habitant dans un quartier HLM de la banlieue parisienne[4], cet article se propose de rendre compte des tensions que ces parents vivent, dont les causes ne sont pas « ethniques » mais sociales et économiques[5]. La réduction et la précarisation des emplois peu ou pas qualifiés, la mise en question de l’insertion professionnelle des jeunes à la sortie de l’école, la dévalorisation symbolique des emplois ouvriers, la discrimination à l’embauche et face au logement – qui détermine pour partie la « ghettoïsation » du quartier –, sont des facteurs de fragilisation. Les fils d’immigrés sans diplôme sont des « jeunes sans avenir »[6], qui n’ont d’autre affectation que le domicile familial ou la rue et la culture de rue[7].Ainsi peut-on comprendre l’angoisse de ces parents conduits à se protéger contre le quartier[8]. Comment préserver les jeunes désargentés des tentations de « l’argent facile » ? Comment inciter les enfants à poursuivre des études quand tout autour de soi il est visible que la réussite scolaire n’évite pas le chômage ? Comment accepter le décalage souvent important entre les espoirs placés dans l’immigration et la réalité vécue ? Questions douloureuses auxquelles ces parents répondent différemment en fonction de la situation objective de leurs fils et filles mais aussi de leur statut de père ou de mère.

4 . Entretiens réalisés dans le cadre de ma thèse qui porte plus généralement sur les (...)
5 . Dans son bilan des recherches sur le contrôle parental, Laurent Mucchielli montre que ce (...)
6 . Cf. Michel Pialoux, « Jeunes sans avenir et travail intérimaire », Actes de la (...)
7 . Sur le rapport à l’avenir des jeunes des classes populaires et les conduites juvéniles (...)
8 . Et à s’en protéger d’autant plus que le rassemblement dans les mêmes bâtiments (...)
Les effets sociaux et moraux des désordres
Les parents rencontrés sont rarement ceux dont les enfants ont « pris la mauvaise pente ». Ceux-là se taisent, évitent le sociologue – plus ou moins assimilé à un représentant des autorités – comme les situations susceptibles de réactiver la honte qu’ils éprouvent d’avoir un fils délinquant. Ceux qui parlent ont souvent de « bonnes raisons » de se plaindre, notamment d’être exposés au trafic, et condamnent des « jeunes » qui les menacent dans l’image qu’ils ont d’eux-mêmes. Logés dans les bâtiments les plus dégradés – faute d’un entretien suffisant – ils disent d’abord subir leur environnement. Les immeubles où ces parents vivent ne sont pas surveillés comme le sont les bâtiments gérés par la municipalité : les gardiens y sont moins nombreux, ils ne sont pas reliés à tout un dispositif de contrôle qui permet de limiter l’occupation des halls par les jeunes autant que le trafic. Des adolescents « squattent » leur hall, laissent les détritus de leur consommation nocturne (boites de coca et de bières, cartons de pizzas, mégots de cigarettes) et, de plus en plus, des dealers ont pris place dans leur cage d’escalier. A certains moments, la vie y devient un enfer : les toxicomanes laissent traîner les seringues, certains se « shootent » dans les recoins des escaliers, des tirs de pistolet se font entendre. Seule la mort par overdose ramène le trafic à des proportions moins visibles. Les familles n’osent pas ou plus intervenir pour défendre la tranquillité de leur cage d’escalier : elles ont peur des vengeances. Parce que le trafic se déroule tout près de leur domicile et qu’il est dirigé par des individus qui connaissent leurs enfants, de près ou de loin, elles sont tout particulièrement soumises à la « loi du silence ». Pendant notre enquête, la sœur d’un toxicomane mort par overdose a dénoncé des trafiquants à la police : quelques jours plus tard, sa voiture a été incendiée en signe de représailles.
M
21 avril 2008 17:07
Ils perçoivent la dégradation du quartier comme un retour en arrière et cherchent désormais à le fuir : la concentration des familles immigrées dans les mêmes immeubles et l’accélération consécutive des déménagements des familles françaises annulant en quelque sorte les profits symboliques associés à l’inscription au sein d’un voisinage initialement mieux réputé. Le seul rassemblement des familles immigrées dans les mêmes secteurs de la cité les prive de leur capital d’ancienneté : « Avant, dans notre cage d’escalier, on était les seuls », disent-ils, pour signaler qu’ils sont arrivés parmi les premiers et qu’ils n’ont donc pas choisi d’habiter un « quartier immigré ». C’est malgré eux qu’ils ont vu s’installer les autres familles avec lesquelles ils disent entretenir peu de contacts. Les procédures d’attribution de logement font que les familles ne se connaissent pas vraiment, y compris celles originaires des mêmes pays : leur regroupement n’obéit pas à la solidarité familiale ou régionale qui unissait les familles dans les bidonvilles[10] et, de fait, il est pour elles une assignation à « rester entre Arabes ». Ainsi les parents qui s’étaient battus pour quitter les bidonvilles éprouvent le sentiment d’un retour au « ghetto », mais à un « ghetto » où désormais domine le sentiment d’une promiscuité.

10 . Cf. Abdelmalek Sayad, (avec Eliane Dupuy), Un Nanterre algérien, terre de bidonvilles, Paris, (...)
Cherchant à déménager, leurs demandes restent sans réponses. Ils savent plus ou moins consciemment que leurs chances d’accéder à un quartier mieux réputé et plus tranquille sont en réalité très faibles. Assignés aux secteurs les plus dévalorisés du marché du logement, certains manifestent alors une nostalgie à l’égard des cités de transit où ils avaient été relogés dans les années 1960-70 – autre ghetto qu’ils avaient voulu fuir. Ils disent que leur situation y était meilleure : outre que leurs espoirs étaient plus grands d’accéder à un « vrai » logement, on parlait moins de leurs enfants, les Arabes ne polarisaient pas autant l’attention, il existait des solidarités avec les Français qui ont peu à peu disparu. Il semble qu’ils se sentaient moins exposés au racisme : plus jeunes, récemment installés en France, entretenant le projet d’une amélioration de leur position résidentielle, voire professionnelle, et d’un « retour au pays », ils pouvaient sans doute plus facilement refouler les blessures qu’il inflige. A présent, ils en ressentent toute la violence. Parce qu’ils habitent en France depuis de nombreuses années et qu’ils sont devenus les grands-parents de « petits français », ils ressentent d’une manière particulièrement vive le rejet de leur groupe : « on nous met tous dans le même sac ».
l
21 avril 2008 17:25
Article très intéressant !thumbs up
j
21 avril 2008 17:55
Tres interresant comme sujet c'est vrai quand nos parents sont venus en france, là plupart d'entres eux etaient que des ouvriers ne sachant pas lire,pas tous, prennent des logements qu'on leur donnent,font venir leur famille, font grandir leurs enfants dans cette cité meme.

J'ai vecu dans une cité, c'est un endroit genial, nos meres ne sont pas depaysées, la voisine vient du meme pays, elle peuvent garder les traditions, tout en nous les inculquant, j'ai de la nostalgie pour ces moments d'enfances.

Nous enfants d'immigrés, avons eu une scolarité, avons passé notre bac, avons un travail, nous nous marions et nous quittons cette cité car ne la voyant plus de la meme façon,pourquoi?

les gens ont en eu marre se sont revoltes, on nous a colle des etiquettes alors qu'on avait deja un nom et un prenom.


Les medias et la population (celle qui n'a jamais habité dans une cite) ont donne une mauvaise image de ces quartiers, ils nous ont montre du doigt .
Ne le voyons nous pas maintenant lorsque la pluspart font un entretien d'embauche, rien que le nom a consonnance magrhebinne fait peur.Pourtant on est normal, est ce que j'ai un 3eme oeil au milieu du front, ben non?

Ce n'est pas la cité qui fait les gens mais les gens qui font la cité.
s
21 avril 2008 19:10
Quand on poste un article on doit indiquer la source SVP, merci !
t
22 avril 2008 10:27
Citation
salmone a écrit:
Quand on poste un article on doit indiquer la source SVP, merci !

J'ajouterais même qu'il faut faire des paragraphes pour une lecture plus rapide et claire.
[b] Tilalilalouuuuuuuuuuuuuuum[/b]
t
22 avril 2008 10:34
Je viens de le lire et je trouve que cet article n'apporte rien de plus que ce qu'on connait déjà.

Cependant, j'ai relevé un point avec lequel je ne suis pas d'accord : "...privés de leur « toute puissance traditionnelle », les pères, occupant des positions professionnelles dévalorisées, se réfugient dans le silence, abdiquent leur « pouvoir » à leur épouse et à leurs enfants..."
[b] Tilalilalouuuuuuuuuuuuuuum[/b]
 
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