Sheikh al-‘Alâwî, poète de l’Essence Texte de Eric Geoffroy.
Le maitre soufi, sheikh al-‘Alâwî (m. 1934) a été et est encore qualifié de nos jours de « revivificateur de la Voie soufie ». Son envergure spirituelle, depuis la zâwiya de Mostaganem, donna à sa voie, la Shâdhiliyya-Darqâwiyya-‘Alâwiyya, une expansion rapide et étendue. Ses poèmes sont abondamment chantés lors des séances de samâ, dans divers milieux soufis. Ses poèmes accueillent l’irruption de la Présence divine, dans le cœur et jusque dans le corps du soufi. Le mode d’expression y est radical, vertical, habité par la fulgurance.
Les regards furent éblouis Le jour où Il se manifesta. Il me suffit pour excuse L’irrésistible force du Bien-Aimé, Chose troublante, Qui éblouit les intelligences ! Je l’ai connu, Lui, Lorsque de moi-même, Il apparut !
Pour le sheikh al-‘Alâwî, ceux qui goûtent véritablement l’Unicité sont les dhâtiyyûn, les êtres établis, comme en surplomb, dans l’Essence Divine. Leur conscience unitive ne les distrait pas de la multiplicité de la création.
J’ai toujours été Elle, et Elle toujours moi, sans distinction, En vérité, mon essence s’est éprise de mon essence
Laylâ al Dhat al Illahiyya, et la Nuit
Chez les soufis et en Islam en général, l’Essence divine nous est voilée, car la créature ne peut supporter sa pure Lumière. Mais, comme en témoigne le sheikh al-‘Alâwî par son expérience mystique, elle peut se dévoiler à l’Amoureux, homme ou femme. Pour cette raison, le prénom Laylâ est privilégié pour y faire allusion car, parmi ses significations, émerge la Nuit, insondable dans le mystère du firmament. Tout procède d’Elle, le jour et la lumière sont ses enfants !
Si ma Laylâ ne s'était, lors d'une Nuit (layla), dévoilée, Les soleils du jour n’auraient irradié !
Ou déjà chez Hallâj : Je leur dis : mes amis, Elle, c'est le soleil ! Sa lumière est proche, mais pour L'atteindre, qu'il y a loin !
Laylâ, et le Féminin Absolu
Les soufis voient dans la femme le support de contemplation de Dieu le plus accompli. C'est pourquoi ils « remontent » vers Dieu, vers son Essence la plus subtile (al-dhât), en donnant à celle-ci, sur le mode allusif, divers prénoms féminins. Puisés dans le registre de l’amour courtois, ces prénoms cèdent parfois la précellence au pronom « Elle » (hiyâ), qui signe, dans son extrême nudité, le Féminin Absolu.
Chez le sheikh al-‘Alâwî, l'approche de l’amant vers Laylâ est plus que suggestive, « Elle » s'impose telle une jeune mariée, semblable à une apparition :
Telle une mariée, la Présence est apparue Dans sa splendeur, lors de Sa descente ! Telle ‘Adhrâ, Elle s’est égayée Par le vin et le chant. Sa main a cherché la mienne Auparavant, elle avait fait montre de douceur. Puis, tel le caravanier, Elle a entonné Un chant doux et nostalgique […] Sa belle silhouette m’a subjugué. Elle s’est penchée telle la branche du saule M’offrant une coupe dont je me délecte […]
En définitive, le soufi doit chercher son identité en brisant l'illusion de la dualité, comme s’exclame le cheikh Muhammad al-Harrâq :
Cherches-tu Laylâ alors qu’en toi Elle paraît ? Tu La tiens pour autre, et pourtant Elle n’est autre que toi !
Magnifique! Merci, les musulmans devraient explorer plus la dimension spirituelle de notre religion au lieu d’accorder trop d’importance au paraître. Si on se regardait à travers le souffle divin alors toute l’existence trouve une autre signification et nous réalisons l’Unicite de l’Etre.