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Ce jour-là, j'avais... (1)
A
14 mars 2010 21:08
Ghassan Kanafani est écrivain et journaliste palestinien, né à Acre en 1936. Il vécut à Jaffa jusqu'à la guerre israélo arabe de1948 où il dut partir, lui et ses parents en exil, d'abord au Liban puis en Syrie. A l’âge de 36ans, en juillet 1972, il a été assassiné, lui et sa nièce de 17ans, à Beyrouth, au Liban, par le Mossad israélien qui a placé une bombe dans sa voiture. Pourtant Gassane Kanafani ne tirait pas de roquettes, il écrivait des pièces de théâtre, des romans et des nouvelles. L’assassinat de Kanafani est l’un des premiers à dévoiler le plan d’Israël visant l’élimination des intellectuels palestiniens et par conséquent l’effacement, toujours voulu depuis l’usurpation de la Palestine par les sionistes depuis 1948, de l’identité palestinienne. Remarque : après une série de mensonges cousus de fil blanc, l’assassinat de Kanafani a été reconnue par la suite par les israéliens.

LA NOUVELLE SUIVANTE EST A LUI; TRADUCTION : Abderahmane Laghzali
On nous aligna en deux rangs aux bords de l’avenue reliant ERRAMLA à AL Qods, et on nous commanda de lever les bras et de les garder en air.
L’un des soldats Israéliens, ayant remarqué que ma mère tenait à me mettre devant elle de façon à m’abriter du soleil de Juillet, me tira très violemment de ma main et m’ordonna de rester debout sur un seul pied, les mains sur la tête, au milieu de l’avenue poussiéreuse…J’avais neuf ans ce jour-là.
Quatre heures auparavant, j’avais vu comment les Israéliens étaient entrés à ERRAMLA. Au milieu de l’avenue grise, debout là-bas, je vis comment des Israéliennes brunes en service militaire, s’occupaient avec beaucoup d’enthousiasme, des vieillards et des fillettes, les fouillant et leur arrachant leurs bijoux. Je vis aussi ma mère me regardant et pleurant en silence. Je souhaitais pouvoir lui dire que j’allais bien et que le soleil ne me dérangeait pas comme elle l’imaginait…
J’étais le seul qui lui restait. Mon père était mort un an avant les événements et mon grand frère, ils l’avaient pris aussitôt qu’ils étaient entrés à ERRAMLA. Je ne savais pas exactement ce que je représentais pour ma mère. Mais maintenant, je ne peux imaginer comment les choses se seraient passées si je n’avais pas été avec elle dès mon arrivée à Damas afin de vendre pour elle les journaux du matin, criant leurs titres, grelottant près des arrêts des autobus…
La résistance des femmes et des vieillards commençait à fondre sous le soleil … Quelques faibles protestations désespérées s’élevaient par-ci, par-là. Des visages auxquels j’étais habitué dans les rues étroites d’ERRAMLA et que je vis ce jour-là, suscitent en moi, maintenant, de la tristesse. Mais, le sentiment qui s’empara de moi lorsque je vis une militaire Israélienne qui riait en jouant avec la barbe de l’oncle Abou Ottmane, je ne saurai jamais l’expliquer…
Abou Ottmane n’est pas tout à fait mon oncle. C’est le coiffeur d’ERRAMLA et son modeste médecin. Nous l’avons aimé depuis que nous l’avons connu. Et par respect et estime, nous l’appelions « oncle Abou Ottmane ».
Il était debout. Très près de lui, sa fille Fatima, petite, brune, regardait de ses grands yeux noirs l’Israélienne brune… « Ta fille ?! »
Abou Ottmane hocha sa tête, inquiet. Dans ses yeux, un pressentiment sombre brillait. L’Israélienne leva, tout simplement, son petit canon et visa la tête de Fatima, la petite brune aux yeux noirs toujours étonnés…A cet instant-là, arriva un gardien Israélien et se mit devant moi de façon à me cacher la scène. Mais j’entendis quand même trois coups espacés, et je réussis à voir le visage de Abou Ottmane terriblement affligé. Je pus voir également Fatima, la tête penchée en avant. A travers ses cheveux noirs, le sang dégoulinait en gouttes successives et tombait sur le sol marron et chaud.
Un petit moment après, Abou Ottmane passa près de moi, prenant dans ses vieux bras, le corps de Fatima, la petite brune. Il était silencieux et regardait devant lui. Terriblement calme. De nouveau, il repassa devant moi mais sans me regarder du tout. Je le suivis de mes yeux pendant qu’il marchait entre les deux rangs, jusqu’au premier détour, toujours calme et le dos courbé. Ensuite, je regardai sa femme assise par terre, la tête entre les mains, pleurant en gémissant, chagrine. Un soldat Israélien se dirigea vers elle et lui fit signe de se lever. Mais la vieille ne se leva pas. Elle était au comble du désespoir.
Cette fois-ci, je pus voir nettement ce qui arriva. De mes yeux, je vis comment le soldat la frappa de son pied, et comment la vieille tomba sur son dos, son visage saignant. Puis, je vis encore plus clairement, le soldat posant la gueule de son fusil sur la poitrine de la vieille, et tirant une seule balle. Juste après, ce même soldat vint vers moi et avec toute tranquillité, il m’ordonna de relever mon pied que je reposai par terre, sans m’en rendre compte. Mais, lorsque je le relevai, il me gifla deux fois, et,...( A suivre)
A
14 mars 2010 19:28
...et, avec ma chemise il essuya le sang de ma bouche qui tacha le dos de sa main. Je me sentais démoli de fatigue. Je regardai ma mère là-bas parmi les femmes, ses bras levés en air. Elle pleurait en silence. Mais, à cet instant-là, à travers ses pleurs, elle rit : un petit rire mêlé de larmes. Moi aussi je ris en dépit de ma jambe qui se tordait sous mon poids et d’une douleur qui déchirait ma cuisse. J’aurais aimé pouvoir courir jusqu’à ma mère pour lui dire que les gifles ne m’avaient pas fait trop mal et la prier, en pleurant, de ne pas pleurer, et de se comporter comme Abou Ottmane.

Après avoir enterré Fatima, Abou Ottmane retourna à sa place. En passant devant moi, sans me regarder du tout, il interrompit mes pensées et je me souvins qu’ils avaient tué sa femme et qu’il devait affronter un nouveau malheur.

Apitoyé, inquiet un peu, je suivis Abou Ottmane de mon regard jusqu’à ce qu’il arrivât et s’arrêtât à sa place. Son dos trempé de sueur et courbé, étant tourné, m’empêchait de voir son visage. Mais je le devinais impassible, parsemé de gouttelettes de sueur brillantes. Il se pencha sur sa femme pour prendre son corps dans ses vieux bras. Souvent, je l’avais vue assise en tailleur devant la boutique de son mari attendant qu’il ait fini son déjeuner pour rapporter les assiettes à la maison... Abou Ottmane ne tarda pas à repasser devant moi, pour la troisième fois, haletant, des gouttelettes de sueur parsemant son visage flétri. En me côtoyant, il ne me regarda pas du tout. Il marchait très lentement entre les deux rangs.

Les gens cessèrent de pleurer.
Un silence désolant régna sur les femmes et les vieillards. Les souvenirs que Abou Ottmane avait racontés à tous les hommes d’ERRAMLA lorsqu’ils étaient sur sa chaise pour se faire couper les cheveux ou se faire raser, ces souvenirs qui avaient bâti dans leur cœur un monde particulier, semblaient éroder leurs os avec insistance. Toute sa vie, Abou Ottmane avait été un homme pacifique, aimable. Il avait cru à tout et avait bâti sa vie de rien. Mais, quand la révolution du « Mont du Feu » le jeta à ERRAMLA, il avait tout perdu et il recommença de nouveau comme toute plante verte de la bonne terre d’ERRAMLA. Il gagna l’amour des gens et leur sympathie. Et lorsque la guerre de Palestine commença, il vendit tout ce qu’il possédait et acheta des armes qu’il distribua à ses proches pour accomplir leur devoir au combat. Sa boutique se transforma en dépôt d’explosifs et d’armes. Il ne demandait aucun prix pour ce sacrifice. Tout ce qu’il souhaitait c’était qu’il fût enterré, à sa mort, dans le beau cimetière d’ERRAMLA planté de grands arbres. Ce vœu, tous les gens d’ERRAMLA le connaissaient. Accablés sous le poids de la mémoire, les visages submergés de sueur, les gens se turent. C’était ces petites choses qu’ils connaissaient qui les firent taire...

Ma mère, là-bas, debout, suivait du regard Abou Ottmane, silencieuse tel un amas de plomb. Au loin, je vis Abou Ottmane debout, parlant à un gardien Israélien. Il lui indiquait sa boutique vers laquelle il se dirigea seul, et en revint avec une serviette blanche où il enveloppa le corps de sa femme...Et il continua son chemin au cimetière. Je l’aperçus, ensuite, revenant de loin, les pas très lents, le dos voûté, les bras brisés de fatigue, couvert de poussière et son halètement était long et fort. Il paraissait plus vieux qu’il ne l’était. Sur sa blouse, il y avait beaucoup de taches de sang mélangé avec de la terre...

En me côtoyant, il me regarda comme s’il me voyait pour la première fois, debout, au milieu de l’avenue sous le soleil brûlant de juillet, plein de poussière, trempé de sueur, avec ma lèvre blessée, pendante, sur laquelle le sang s’était coagulé.

Il me contempla en haletant.
Ses regards étaient chargés de signification que je ne pus comprendre mais que je sentis.

A bout de souffle, plein de poussière, il reprit lentement sa marche, puis il s’arrêta, tourna son visage à l’avenue et leva ses bras en air.

Abou Ottmane n’eut pas la chance d’être enterré comme il le souhaitait, car, lorsqu’il se rendit chez le général pour avouer ce qu’il savait, les gens entendirent une explosion extraordinaire qui démolit la résidence. Et, sous les décombres, se perdirent les membres de son corps. Abou Ottmane, quand il était allé à sa boutique avant d’enterrer sa femme, il n’en était pas revenu uniquement avec la serviette blanche. C’est ce qu’on dit à ma mère pendant qu’elle m’emmenait en Jordanie par les montagnes.

Nouvelle de Ghassan Kanafani
Traduction : ABDERRAHMANE LAGHZALI


o
15 mars 2010 09:30
Bonjour Abderrahmane,
Merci pour la traduction de cette nouvelle que je ne connais pas. J'avais lu 'Le retour à Haïfa' il y a plus de 20 ans ainsi que son unique roman 'Un monde qui n'est pas à nous'; 'Les hommes dans le soleil' je l'ai lu il y a 4 ou 5 ans.
A
15 mars 2010 20:09
Merci oryct d'ê^tre passé apprécier cette nouvelle du martyr Kanafani
AU fait, son titre c'est ''WARAQA MIN ARRAMLA'' mais comme ce n'est pas un titre qui excite forcément la curiosité du lecteur, et pour donner plus de chance de lecture au texte, j'ai pris comme titre, du texte, la phrase du narrateur
 
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