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France : L’islamophobie, ou la banalité de l’intolérance dans le quotidien des musulmans

Jawad Bachar, directeur exécutif du Collectif contre l’islamophobie en France, déplore une islamophobie décomplexée, à l’origine d’une pression psychologique que disent subir de nombreux musulmans, aussi bien dans l’espace public qu’en milieu professionnel.

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Rassemblement contre l'islamophobie à Paris, le 27 octobre 2019. / Ph. Lilaafa Amouzou – Russia Today France
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C’est une quadragénaire qui se fait arracher son voile dans le métro «d’un coup sec, par derrière», et qui, quelques mois plus tard, est copieusement insultée, puis agressée, par un agent municipal chargé de faire traverser les écoliers ; une aide-soignante qui a cessé de travailler, fatiguée de voir les portes se refermer lors de ses visites à domicile ; une major de promotion dans une école de commerce réputée, restée deux ans au chômage en raison du refus des employeurs face à son voile avant, finalement, de trouver un emploi – contrainte de troquer son voile traditionnel contre un turban.

Pression psychologique

Ces témoignages, recueillis par Le Monde, traduisent une islamophobie décomplexée et palpable au sein de la société française, légitimée, voire encouragée, par certains responsables politiques et figures médiatiques, dont la plus acerbe est certainement celle d’Éric Zemmour, d’ailleurs condamné pour provocation à la haine raciale. «La parole islamophobe est aujourd’hui complètement libérée, décomplexée, assumée et revendiquée», réagit auprès de notre rédaction Jawad Bachar, directeur exécutif du Collectif contre l’islamophobie en France (CCIF). «Les amalgames qui sont faits entre voile et croix gammée ; voile et terrorisme, renvoient à une stigmatisation et une exclusion de ces femmes, alors qu’elles choisissent librement de se voiler», ajoute-t-il.  

Au CCIF, Jawad Bachar dit recueillir les témoignages de «salariés qui font l’objet de discriminations ou de chantage, de femmes voilées à qui on fait comprendre que leur voile n’est pas le bienvenu».

«Il y a une réelle pression psychologique qui s’exercent sur les musulmans spécifiquement parce qu’ils sont musulmans. On oublie les compétences, on oublie qu’ils sont français et on les essentialise par rapport à leur religion.»

Jawad Bachar, directeur exécutif du CCIF 

Un récent sondage de l’Ifop a de nouveau confirmé les discriminations dont sont victimes les musulmans, que ce soit en matière de recherche d’emploi ou de logement. Réalisée à la demande de la Délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah) et la fondation Jean-Jaurès au début du mois de septembre, l’enquête révèle que 42% des musulmans vivant en France affirment avoir fait l’objet d’au moins une forme de discrimination liée à leur religion, et ce au moins une fois au cours de leur vie. 60% des femmes portant souvent le voile ont été discriminées au moins une fois au cours de leur vie, et 37% d’entre elles ont été exposées à des insultes ou des injures à caractère diffamatoire. 44% des femmes qui ne portent jamais le voile l’ont aussi été.

De plus, les discriminations vécues par les musulmans de France sont vécues lors d’un contrôle de police (13%), lors de la recherche d’un emploi (17%) ou encore d’un logement (14%). Par tranche d’âge, l’étude relève également que les discriminations touchent davantage les personnes de 30 à 40 ans et les femmes (46%, contre 38% chez les hommes).

Des mesures fortes pour lutter contre l’islamophobie

«Il faut voir l’islamophobie comme une forme de discrimination violente qui vise les personnes morales ou physiques en raison de leur appartenance réelle ou supposée à la religion musulmane», explique Jawad Bachar. Le CCIF dit avoir recensé une forte hausse des actes et propos islamophobes depuis la rentrée scolaire, après les déclarations du ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, sur les accompagnatrices voilées, puis le discours du président Emmanuel Macron en hommage aux quatre policiers tués dans l’attaque à la préfecture de police de Paris, le 3 octobre, appelant à «bâtir une société de vigilance» et, de ce fait, invitant implicitement à la dénonciation.

«Tous ces propos ont ouvert la voie à une parole décomplexée. On a ainsi assisté, par la suite, à l’agression d’une femme voilée au conseil régional de Bourgogne-Franche-Comté, puis à l’attentat de la mosquée de Bayonne», poursuit Jawad Bachar.

Il faut dire aussi que le front de lutte face à ces discours libérant la parole islamophobe se montre parfois timide. Une bonne partie de la gauche a en effet choisi de tourner le dos à la marche contre l’islamophobie prévue ce dimanche à Paris, alors même que certains en ont signé l’appel. Yannick Jadot, dirigeant d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV), François Ruffin, député La France insoumise (LFI) et Adrien Quatennens, numéro 2 de LFI et député du Nord, ont en effet annoncé qu’ils n’y participeraient pas, à l’instar du Parti socialiste, ce dernier disant «[ne pas se reconnaître] dans les mots d’ordre qui présentent les lois laïques en vigueur comme ''liberticides''».

«Les têtes de réseaux ne se manifestent pas, effectivement, mais beaucoup d’élus seront présents. Ce qui m’intéresse, ce sont eux : ceux qui iront jusqu’au bout du combat contre ce racisme, à savoir les associations locales, les élus, les militants et militantes, citoyens et citoyennes ; eux qui seront là massivement ce dimanche pour utiliser le canal démocratique que représente la manifestation pour dire stop à l'islamophobie», soutient Jawad Bachar.

Et de conclure : «C’est un message envoyé à l’ensemble de la classe politique, qui est censée écouter l’expression démocratique. Il revient aux responsables politiques de prendre leurs responsabilités et de mettre en place des mesures fortes pour lutter efficacement contre l'islamophobie.»