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D'Agen au Maroc, Narjissi est d'ailleurs

Talonneur en France, Jalil Narjissi est le capitaine du XV marocain qui tente, samedi, face au Portugal, de se repêcher pour la Coupe du monde.

Sur le terrain, il se retrouve souvent au milieu, son mètre soixante-dix-huit et ses 95 kg s'étirent entre l'alignement agenais et celui de l'équipe adverse. Dans la vie, il se partage entre le Maroc qui l'a vu naître et la France qui l'a fait grandir. Il est capitaine de l'équipe nationale du Maroc depuis six ans ­ et affronte ce week-end le Portugal en repêchage pour la Coupe du monde. Il est talonneur au SU Agen depuis trois ans. Il a la double nationalité, franco-marocaine.

Au début des années 80, Jalil Narjissi arrive en France, il a à peine 3 ans. Papa et maman, travailleurs immigrés de la deuxième vague, vivent à Saint-Denis, 93. «Mon père est venu en France pour bosser à Boulogne-Billancourt, chez Renault.» La mère, qui «s'est mariée jeune et a arrêté ses études juste avant le bac», est femme de ménage. En 1992, l'usine de l'île Seguin ferme, le père de Jalil monte sa petite affaire, un garage de mécanique. Madame Narjissi reprend des cours pendant cinq-six ans, «elle a grimpé les échelons petit à petit, aujourd'hui elle est gardienne d'école», explique son fils, rempli de fierté. Jalil, lui, n'a été que jusqu'en troisième au collège. Aujourd'hui qu'il prépare un brevet d'Etat rugby, il regrette de ne pas avoir forcé davantage sur les maths et la grammaire. «Mes parents étaient derrière moi, dans la culture marocaine c'est très important d'obéir à ses parents», au père surtout, «on le respecte, on le craint, si on ne marche pas droit, il nous remet dans l'axe». Sauf que, à l'école comme dans la rue, Jalil fait le «jeune de banlieue à la française.» «Dans une classe de trente-cinq, il y a toujours des éléments perturbateurs.» Jalil faisait partie de la bande. «L'atmosphère dans laquelle je me situais était difficile, c'étaient des incitations à faire autre chose, à ne pas suivre le droit chemin.»

Repéré. Jalil découvre le rugby à 7 ans, à Saint-Denis. Au milieu des tours, certains ont eu la riche idée de planter des perches. «Ça m'a appris le respect, le rugby m'a canalisé.» Il change d'équipe, y trouve sa place, au milieu des avants. Junior à Bobigny, il est repéré par Abdelaziz Bougja, président de la Fédération royale marocaine de rugby. «C'était un gamin de banlieue à peine formé, se rappelle le dirigeant éducateur. A l'époque, pour constituer une équipe, on prenait des jeunes de La Courneuve. Il fallait leur donner une âme, on les emmenait au Maroc, on leur apprenait leur langue, ils retrouvaient leurs racines et apprenaient surtout à relativiser leur situation en France.» Jalil passait jusque-là un mois et demi d'été au bled, un long séjour touristique, une immersion culturelle plus proche du snorking que de la plongée sous-marine.

Pour son premier match international junior, Narjissi affronte le Pays de Galles. «Il était venu avec sa bande de copains voyous, explique Abdelaziz Bougja, mais c'est un garçon loyal, avec une volonté de fer, celle de se battre et de progresser. Il s'est remis en question continuellement.» Pour arriver en Pro D2 à Strasbourg, puis goûter au Top 14, à Castres et enfin à Agen, où il perpétue la tradition des Ageno-Marocains fondée par Abdelatif Benazzi : «Abdel est un grand frère pour moi, c'est notre guide à tous au Maroc, il a surmonté toutes les étapes pour faire vivre le rugby.» Capitaine de la sélection du Maroc, Narjissi se voit bien lui aussi participer au développement de son sport dans son pays. «Il y a un gros potentiel, explique le talonneur d'Agen, mais il manque encore des infrastructures, les gamins sont obligés de prendre le bus pour aller jusqu'à un stade, on ne leur facilite pas la tâche.»

Choix. Ce week-end, Jalil joue à l'extérieur ou à domicile, tout dépend de quel passeport on parle. Tandis que le SUA se déplace à Edimbourg pour la Coupe d'Europe, lui a fait le choix logique de partir à Casablanca, pour aider l'équipe de sa terre natale à se qualifier pour le Mondial. Même si, là-bas, il passe toujours pour un «immigré». Et que certains l'appellent l' «Européen». Il n'y a guère qu'au rugby qu'il se sente vraiment intégré.

Stéphanie Platat
Source: Libération(France)

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