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Jeune Afrique riposte contre le Journal Hebdo

Leur « journalisme » et le nôtre

Le numéro 223 du Journal hebdomadaire édité à Casablanca, au Maroc, a publié, sous le titre « Mauvaise pub pour le roi. Monarchie-Jeune Afrique : les liens occultes », une longue « enquête » de huit pages dans laquelle les imputations diffamatoires coexistent avec les erreurs de faits et les approximations malveillantes.
Tout en nous réservant bien évidemment la possibilité de donner à cette « enquête » les suites judiciaires qu'elle mériterait, nous avons le 4 octobre fait parvenir au directeur de la publication du Journal un droit de réponse que ce dernier n'avait pas jugé utile de publier dans son n° 225.
Nous vous le donnons donc à lire ci-dessous.

Contrairement à ce qui est universellement admis dans notre profession (et enseigné dans toutes les écoles de journalisme), ni vos collaborateurs ni votre rédaction en chef – si elle existe – n’ont pris la peine de vérifier leurs « informations », en l’occurrence de contacter la rédaction et la direction de Jeune Afrique/l’intelligent avant d’écrire et de publier leur « enquête ». Ce manquement grave à l’une des règles déontologiques élémentaires du journalisme est en soi suffisant pour décrédibiliser a priori votre « cover story ». Faisons-nous réellement le même métier ? La question se pose. À l’évidence, nous ne pratiquons pas le même journalisme.
Plutôt que d’avoir recours à des sources aussi invérifiables qu’anonymes, à des documents obtenus par des moyens manifestement délictueux et à tout le moins illicites, dont la teneur a été de surcroît dénaturée, à des rumeurs de salons ou à la technique grotesque et manipulatrice des extraits d’articles montés sous la forme de copiés-collés, un minimum d’intérêt pour la vérité et d’honnêteté professionnelle, bref un minimum de travail, vous aurait ainsi permis d’éviter les affirmations et informations diffamatoires et sans aucun fondement qui sous-tendent ces articles.

En voici un florilège.


- « Ben Yahmed accueille, les bras ouverts, le général Ahmed Dlimi, un de ses contacts marocains les plus privilégiés, à chacun de ses passages à Paris.

« Avec Dlimi, Ben Yahmed finissait toujours par avoir ce qu’il voulait au Maroc », nous explique-t-on. Totalement faux. Béchir Ben Yahmed n’a jamais rencontré le général Dlimi, ni à Paris, ni ailleurs. Que Le Journal ait donc l’élémentaire courage – et l’élémentaire honnêteté – de citer la source anonyme de cette « information ». À moins qu’elle ne soit le produit de l’imagination de vos « enquêteurs ».


- « Hamid Barrada […] a joué un rôle important entre le Maroc et J.A., notamment entre 1965 et 1975 et après l’alternance. » Faux. Notre collaborateur n’a intégré Jeune Afrique qu’en 1972, soit sept ans après le début de la période que vous mentionnez ! Il aurait suffi de lui téléphoner pour le savoir. Sous quelque signature que ce soit, Barrada n’a donc couvert pour Jeune Afrique ni l’enlèvement de Ben Barka, ni le putsch avorté de 1971. Là encore, nos archives existent. Il vous aurait suffi de les consulter : leur accès est gratuit.


- « Grâce aux bons offices d’Houphouët-Boigny, ancien président de la Côte d’Ivoire, et un lobby pro-marocain mené par Serge Guetta, un financier parisien ami de Ben Yahmed, et André Azoulay […] les relations entre Rabat et Jeune Afrique reprennent de plus belle. » Ridicule. Là encore, et Serge Guetta et André Azoulay (que Le Journal qualifie, sans rire, d’ « architecte et théoricien » des relations entre le Maroc et J.A. !) auraient pu être contactés, histoire de vérifier si cette histoire « abracadabrantesque » tenait la route. Tout cela est évidemment faux, mais il est vrai que la recherche de la vérité n’est manifestement pas votre affaire. Quant à ce pauvre Houphouët, il serait, s’il revenait sur terre, le premier à sourire du rôle que Le Journal lui prête.


- « Profitant d’un incident avec l’Algérie, Ben Yahmed ferme, sans hésiter, son bureau à Alger en février 1975. […] C’était Mohamed Cherkaoui, alors ambassadeur du roi dans l’Hexagone et son beau-frère, qui était l’émissaire de Hassan II auprès de Jeune Afrique. » Consternant. Un minimum de connaissance de votre propre histoire vous aurait appris que Mohamed Cherkaoui a été ambassadeur du Maroc en France de 1961 à 1964, soit… onze ans auparavant ! En 1975, l’ambassadeur s’appelait Youssef Ben Abbes, en poste depuis 1974.


- « Le grand blond normand, comme l’appellent familièrement ses amis, est royalement accueilli. Logé dans les meilleurs palaces, François Soudan dispose pendant tout son séjour au Maroc d’une voiture et d’un chauffeur 24 heures sur 24. » Faux et diffamatoire. Passons sur l’affabulation grotesque du surnom, fabriqué de toutes pièces pour l’occasion (tant qu’à inventer, autant le faire avec un minimum de talent et ne pas se tromper aussi grossièrement sur les origines du concerné !). Si vos « enquêteurs » avaient pris quelques heures de leur précieux temps pour faire le tour des prétendus palaces de Rabat et d’ailleurs où Soudan aurait eu l’habitude de se rendre, afin de vérifier qui réglait la note de ses séjours, ils auraient découvert le pot-aux-roses : personne d’autre que le journal auquel il appartient n’a jamais payé ses factures – cela s’appelle des frais de mission. Pour le reste, mieux vaut en rire et être charitables : vos journalistes ont apparemment confondu des taxis avec des véhicules officiels ou officieux.


Cette liste n’est évidemment pas exhaustive, tant les erreurs de noms, de dates et de faits qui parsèment cette « enquête » sont légion. Mais le plus inquiétant – pour vous bien sûr – est sans doute cette vision, ce climat à la fois paranoïaque et policier, qui imprègne ces huit pages. Tout n’est qu’argent, chantage, gros complots et petites manips. Cette incapacité à concevoir autrement les rapports entre la presse et un pouvoir, quel qu’il soit, est significative d’un vécu et d’une pratique qui vous sont apparemment familiers mais qui nous sont totalement étrangers. Comment expliquez-vous qu’une entreprise de presse qui fonctionne de la façon dont vous la décrivez existe depuis bientôt un demi-siècle ? Le souci qu’ont tous les journaux débutants de ne pas aller rejoindre le cimetière, hélas bien rempli, des illusions perdues, devrait vous conduire à plus de circonspection. Et surtout à plus de modestie.

L’unique « oseille » qui nous alimente depuis quarante-cinq ans – et que nous revendiquons – est celle que nous procurent les ventes au numéro de J.A.I., ainsi que les recettes de nos filiales (régie publicitaire et édition). Oui, nous réalisons avec le Maroc, comme avec la plupart des pays où J.A.I. est diffusé et considéré comme un support crédible et influent, un chiffre d’affaires publicitaire annuel. Et alors ? Ces prestations, payées en fonction de tarifs publics et transparents, apparaissent dûment et sont aisément repérables et marquées comme telles à l’intérieur du support où elles sont publiées. Elles figurent au sommaire de la publicité et bénéficient d’une maquette spéciale, ponctuée d’un avertissement spécifique. À cet égard, rien ne nous différencie de la plupart de nos confrères, si ce n’est, sans doute, une précaution encore plus grande pour distinguer la rédaction de la publicité. À titre de piqûre de rappel pour ceux qui l’ignoreraient encore, le Groupe Jeune Afrique est un groupe indépendant dont la majorité du capital est détenue par son président-fondateur Béchir Ben Yahmed, le reste étant réparti entre un millier de petits actionnaires dont aucun ne possède plus de 1 %. Depuis sa fondation en 1961, le Groupe n’a versé aucun centime de dividende à aucun de ses actionnaires, son président

y compris. Il n’a donc pas d’actionnaire de référence extérieur à la profession et ajoutons qu’il paie évidemment ses impôts, ses salaires et ses charges sociales.

Le Journal hebdomadaire peut-il en dire autant ?

Pour le reste, la longue histoire de nos relations avec le Royaume du Maroc, ponctuée d’interdictions, de saisies et de mises sous quotas, parle d’elle-même depuis quarante-cinq ans. Nous nous voulons informés. Nous avons, c’est vrai, des contacts de tous niveaux – mais les contacts et ce qu’on appelle un bon carnet d’adresses, cela se mérite par le travail et par le respect professionnel que l’on inspire, non parce qu’on se dit et se croit journaliste. Nous faisons de l’information, pas de la politique. Est-ce tout cela qui nous différencie du Journal hebdomadaire ? Sans doute.


Mais il y a autre chose : à l’évidence et pour des raisons qui ne nous intéressent pas, votre hebdo a des comptes à régler avec un régime qui, pourtant, l’a porté sur les fonts baptismaux. Dans le contexte de cette obsession, toutes les munitions sont bonnes à prendre pour viser, par ricochet, Mohammed VI et ses collaborateurs. Quitte à fabriquer de toutes pièces ces balles à fragmentation sans se soucier des dommages collatéraux. Quelle photo figure ainsi en une de votre n° 223, pour illustrer votre petite frappe anti-J.A.I. ? Celle de M6, évidemment ! Continuez votre guéguerre, persistez, si vous ne pouvez faire autrement, dans votre « journalisme » qui a définitivement cessé d’être sympathique au point de désespérer tous ceux qui ont à cœur la liberté de la presse, alimentez tant que vous le voulez la gazette du Makhzen, mais de grâce ôtez le mot Journal à votre titre – c’est une si noble appellation !

Par FRANÇOIS SOUDAN DIRECTEUR DE LA RÉDACTION
Source: JAI

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