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Le cadeau empoisonné de la France aux chibanis

Une loi va bientôt permettre à nos vieux MRE de France de rentrer jusqu'à neuf mois par an au pays, tout en gardant certains acquis sociaux. Mes nos chibanis auraient plus à y perdre qu'à gagner.

Cette loi, ils l'attendaient depuis tellement longtemps ! Bientôt, nos vieux MRE installés en France pourront rentrer plus longtemps au pays, tout en continuant de bénéficier de certaines aides sociales accordées par le pays hôte. Cette mesure, qui s'inscrit dans le cadre du projet de loi de droit opposable, a été présentée en Conseil des ministres le 17 janvier dernier. Et le projet de loi a entrepris sa navette vers le Parlement.

Le même jour, le ministre de la Cohésion sociale, Jean-Louis Borloo, est allé présenter la mesure avec tambour et trompettes dans un foyer d'Asnières, devant de vieux migrants ébahis. A priori, la nouvelle a de quoi réjouir les 71 000 immigrés âgés. Ces étrangers sont venus en France, dans les années 60-70, pour travailler et envoyer une partie de leurs salaires à la famille restée au pays. Seuls, sans leurs proches, ils croupissaient dans les foyers de la Sonacotra ou de l'Aftam, dans des chambres de 9m2, avec pour seuls meubles leurs souvenirs. Ils pensaient partir, mais ont fini par rester en France, dans le but de garder leurs acquis sociaux. Au mieux, ils ne pouvaient rentrer que six mois dans l'année. D'après le ministère, 85 % de ces immigrés sont mariés dans leur pays d'origine et 72 % ont des enfants. Epaulés par des associations, ils demandent depuis des années la possibilité de rentrer plus longtemps chez eux, tout en gardant leurs aides sociales, notamment la protection sociale et le minimum vieillesse.

Loi comptable
Sauf qu'au lieu de se féliciter de cette mesure, des associations y sentent le coup fourré. Sous des aspects louables, le projet est bien moins rose qu'il n'y paraît. Sur les 71 000 migrants, seuls 42 444 sont concernés par la loi, dont 37 143 sont en France depuis plus de quinze ans. Et c'est bien connu, le diable est dans les détails.

Que dit le projet ? La mesure prévoit la signature d'un contrat qui donne droit à une “aide financière” à ces vieux travailleurs, qui s'engagent à vivre jusqu'à neuf mois dans le pays d'origine et le reste de l’année en France. Mais cette aide mensuelle ne tombe pas du ciel. Elle remplacera l'Aide personnelle au logement (APL), dont ils bénéficient en France et qu'ils perdraient en signant le document. “Si bien que, globalement, aucune charge nouvelle ne sera créée pour l'Etat”, dit le projet de loi. “La France se débarrasse de ces vieux migrants sans que cela ne lui coûte un sou, s'indigne Antoine Math, du Groupe d'information et de soutien des immigrés (Gisti). Encore mieux, l'Etat va même gagner de l'argent sur leur dos”. Car en paraphant le document, le migrant renonce aussi à son minimum vieillesse, le complément de sa retraite contributive. “C'est une loi drapée d'humain mais aux visées mesquines, déplore Ali Habchi, militant de l'Association des travailleurs maghrébins en France (ATMF). Sous prétexte de vouloir rendre service à nos vieux migrants, on leur ôte des droits. Nos vieux sont d'ici et de là-bas. Ils ont des droits en tant que personnes et doivent les garder”. D'après ces militants, cette loi relève plus de la logique comptable que de la grandeur d'âme d'un gouvernement.

Dans un contexte de crise aigüe du logement en France, le gouvernement répond surtout aux pressions des dirigeants des foyers Sonacotra, qui aimeraient bien libérer des chambres. Le texte de la loi a le mérite de le reconnaître sans détours. Elle ajoute même : “La demande de logement en foyers de travailleurs migrants et en résidences sociales est, surtout dans certaines régions, forte et difficile à satisfaire. Plusieurs gestionnaires de ces foyers expérimentent aujourd'hui un système de location alternée, permettant de loger quatre personnes alternativement dans la même chambre, à raison de trois mois en moyenne par an chacune”. Une convention-type serait signée entre le vieux migrant et le gestionnaire, pour instituer un turnover qui soulagerait les foyers.

Triés sur le volet
Ce n'est pas tout. Cette mesure paraît également être sélective. Elle ne s'adresserait qu'à certaines personnes : les célibataires, les bénéficiaires de l'APL et ceux qui résident en France de façon continue depuis 15 ans. En revanche, “elle ne prend pas en compte ceux qui vivent dans un hôtel meublé, ceux qui sont hébérgés par des tiers ou ceux qui sont devenus propriétaires. Et il y en a beaucoup”, regrette Ali Habchi. Sont aussi exclus les ressortissants de l'Union européenne (UE) et les vieux migrants naturalisés. Dans un communiqué cinglant, intitulé “Derrière les belles promesses, un mauvais coup contre les vieux migrants”, le Gisti dénonce toutes les inconséquences de cet article 7. “Ce projet passe sous silence la question des soins”, alerte le communiqué. Et c'est la question la plus préoccupante.

En l'état actuel, en restant jusqu'à neuf mois en France, les chibanis bénéficient de l'assurance sociale. Ils sont affiliés à la caisse française et peuvent se faire rembourser leurs soins. Si le plan Borloo change la donne, il masque une réalité moins avouable. Dans les faits, il faut rester au moins six mois par an en France pour bénéficier de l'assurance maladie (conformément au Code de sécurité sociale). Ainsi, nos vieux chibanis qui voudront rentrer plus longtemps près de leur famille ne seront plus considérés comme des résidents et n'auront plus droit à la “Sécu”. Sauf dans le cas de “maladies inopinées” (comme une fracture de jambe…), alors que beaucoup de ces travailleurs sont atteints de maladies chroniques, comme le diabète, et pour certains de cancers. “C'est un scandale, s'insurge Antoine Math. Ils ont cotisé toute leur vie pour l'assurance maladie. On a prélevé une part de leur salaire pour ça. Et au moment où ils en auraient le plus besoin, ils ne trouvent rien”. S'ils tombent gravement malades au Maroc, ces personnes âgées n'auront ainsi plus que leurs yeux pour pleurer. Ce militant rappelle qu'un collectif d'associations a soulevé le problème devant les autorités en septembre et octobre 2006. En vain. De fait, le Gisti et l'ATMF sont circonspects quant à cette annonce, rappelant le triste souvenir de la décristallisation des pensions d'anciens combattants : “Tout le monde a cru à une avancée. En réalité, seules ont été revalorisées les pensions d'invalidité et la retraite de combattant, mais pas la pension militaire qui est la plus importante et qui touche la plupart des anciens combattants”, souligne Antoine Math. Nos vieux immigrés connaîtront-ils pareille désillusion ?



Vieux migrants. Et l'aspect psychologique ?
“Les chibanis sont très heureux quand ils apprennent qu'on veut faire quelque chose pour eux. Mais quand on leur explique dans le détail le plan Borloo, c'est la grande désillusion”, confie Ali Habchi. De plus, les situations sont aussi diverses qu'uniques. Au fond d'eux, ils veulent rentrer. Mais le pourront-ils réellement ? Certains pensent s'y retrouver financièrement. Ils veulent franchir le pas, vieillir et mourir près de leur famille. D'autres ont peur de ne plus pouvoir être en harmonie avec eux-mêmes. Ils craignent de signer ce contrat à caractère irréversible. Si, une fois rentrés, ces hommes sont rejetés, s'ils sont en perte de repères, si la greffe ne prend pas, ils ne pourront plus faire marche arrière… “L'aspect psychologique, fondamental, n'a pas été pris en compte”, regrette le directeur d'un foyer au Mans. “Ce projet a été présenté comme une avancée, mais en définitive, c'est une attaque de leurs droits, voire une régression, surtout sur la question des soins et de la sélectivité. Faute de répondre au problème, on bricole”, constate Ali Habchi. Même son de cloche chez Antoine Math : “Le gouvernement vend cela comme un superbe cadeau. Mais l'emballage est trompeur par rapport à la marchandise”. Pour lui, c'est clair : “On veut se débarrasser au moindre coût de ces vieux qui dépareillent dans le paysage français, alors qu'ils ont tant fait pour ce pays”. Le projet de loi passera au Sénat dans les prochains jours. Mais les associations ne comptent pas désarmer.

Abdeslam Kadir
Source: TelQuel

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