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Un an après la fin de l’IER, les chèques se font attendre

Plus de 13 mois après la fin des travaux de l’Instance équité et réconciliation (IER) couronnés par la remise, le 30 novembre 2005, d’un rapport entre les mains du Souverain, les victimes des années de plomb auxquelles on avait promis une indemnisation attendent leurs chèques.

En tout, 9 280 personnes, dont les dossiers ont munitieusement été étudiés par l’instance, sont concernées par cette indemnisation. Plusieurs centaines croyaient cette dernière imminente. Aujourd’hui, elles déchantent. Plus d’un an après la fin de la mission de l’IER, le flou est total et les supputations vont bon train dans les rangs des associations des droits de l’homme, des victimes ou de leurs ayants droit, quant à la date de la remise de ces chèques, mais aussi à leurs montants. «Une année d’attente, c’est trop. Après la remise du rapport de l’IER au Souverain, je croyais que j’allais toucher mon chèque le lendemain», se plaint un ex-détenu politique qui a passé 5 ans dans les geôles entre 1987 et 1992.

L’impatience gagne les esprits en ce mois de janvier, si bien qu’une centaine d’ex-prisonniers politiques, de familles de disparus et de militants des droits humains, répondant à l’appel du Forum vérité et justice (FVJ) présidé par Ahmed Sebbar, se sont rassemblés dans un sit-in le 12 janvier devant le siège du Conseil consultatif des droits de l’homme (CCDH). Le choix du lieu n’est pas fortuit : c’est au Conseil consultatif présidé par Driss Benzekri (l’ex-président de l’IER, et auparavant du FVJ avant la création de cette dernière) qu’est confiée la tâche du suivi des recommandations de l’IER dissoute après la fin de son mandat.

Dans cette affaire, c’est toute la crédibilité du processsus qui est en jeu. Et l’appréhension est perceptible aussi bien chez les concernés par ces indemnisations que les militants des droits de l’homme, qui, bien que ne voulant pas jeter de l’huile sur le feu, craignent que le travail titanesque entrepris durant 23 mois par l’IER et visant à tourner définitivement la page des années noires du Maroc ne soit qu’un show au niveau national et international.

On craint pour la crédibilité de tout le processus
Pire, accusent certains, «le CCDH censé suivre l’application des recommandations de l’IER s’est mué en un rouage administratif qui n’a rien à envier aux pratiques bureaucratiques des autres appareils de l’Etat.» Enfin, renchérissent d’autres, «le Conseil ne communique guère sur l’avancement des travaux concernant l’application des recommandations de l’IER.»

Accusations au demeurant sévères : selon nos sources, les membres du comité de suivi des recommandations au sein du CCDH qui s’occupent du dossier ne ménagent aucun effort, mais veulent inscrire leur action dans une vision globale qui tient compte de l’ensemble des recommandations. Mahjoub El Hiba, le secrétaire général du CCDH (et ex-membre de l’IER), semble serein et ne s’offusque guère de telles accusations. Selon lui, «l’excès de communication tue la communication. Nous sommes en train de travailler suivant un programme et selon un plan d’action global qui tient compte de la dignité des victimes des années de plomb. Le détail de ce plan avec les résultats de nos travaux seront divulgués à la presse à la fin de ce mois de janvier.»

Le plan d’action sera dévoilé d’ici fin janvier
Depuis janvier de l’année dernière, explique le secrétaire général, trois structures ont été créées pour faire aboutir les recommandations de l’IER. D’abord un comité de coordination et de suivi qui planche sur l’étude des dossiers cas par cas, et qui demande aux concernés, si besoin est, un complément d’informations. Ensuite, une commission mixte composée des membres du CCDH et du gouvernement qui se penche sur les modalités de la réparation communautaire, de l’insertion sociale et professionnelle et des indemnisations matérielles à allouer. Enfin, un groupe de travail ouvert à la société civile a été créé et qui se penche, lui, sur les modalités de la réparation communautaire aussi bien dans les quartiers de certaines villes (tel que Derb Moulay Cherif qui abritait le sinistre commissariat) que dans quelques régions marocaines qui ont pâti de la répression des années de plomb, (Figuig, Khénifra, Kalaât Mgouna...). «Les réunions avec la Primature n’ont pas cessé depuis la remise du rapport au Roi en novembre 2005, l’annonce des résultats est maintenant une affaire de quelques semaines», déclare le secrétaire général du CCDH.

La date de remise des chèques ? M. El Hiba reste prudent. Pour lui, les indemnisations matérielles ne sont qu’un volet d’un plan d’action global qui est indissociable de la réintégration sociale et professionnelle, de la réparation communautaire et de la couverture médicale. «Cette dernière, on veut l’inscrire dans la durabilité, et créer les structures pour cela ne se fait pas du jour au lendemain.» Une chose est sûre : les chèques seront remis à leurs bénéficiaires là où ils résident, par le truchement d’une structure spécialement créée à cet effet, et «dans le respect de la dignité de ces victimes», assure M. El Hiba.

Le retard dans la distribution des indemnités se comprend selon une autre source proche du CCDH : on est devant plus de 9 200 dossiers, et il faut les étudier avec précision. Il ne s’agit pas uniquement de donner de l’argent aux gens, ce qui est facile, encore faut-il accompagner les chèques des attendus pour expliquer le pourquoi du montant. «Mine de rien, c’est un travail colossal qui mobilise depuis des mois toute une équipe qui travaille sans relâche. A titre d’exemple, le versement des indemnités par la Commission de vérité sud-africaine a pris plusieurs années. Nous comprenons fort bien les inquiétudes des personnes, ou de leurs ayants droit, qui attendent leurs indemnités, mais il y a un travail au préalable à faire et que nous sommes en train de mener.»

L’IER moins généreuse que l’ex-commission d’arbitrage ?
Reste à savoir quel est le montant fixé pour ces indemnisations matérielles. Le Premier ministre, Driss Jettou, lors d’une réunion avec des journalistes de La Vie éco tenue le 5 janvier courant, a parlé de 750 MDH, c’est d’ailleurs la somme fixée par la Loi de finances 2007. Mais l’on ne sait pas si cette affectation budgétaire sera entièrement consacrée à l’indemnisation matérielle des victimes, ou englobera aussi la réparation communautaire et les soins médicaux. Cela dit, selon des sources proches du dossier, les indemnités vont de 15 000 DH à 1 400 000 DH : ce sont deux Sahraouis, ex-disparus qui bénéficieraient, chacun, de cette dernière somme.

Une chose est sûre : les 75 milliards de centimes dont on parle sont comparativement inférieurs au montant alloué aux 3 700 victimes par la commission d’arbitrage du CCDH entre 1999 et 2003 (un milliard de dirhams). Les chèques dont avaient bénéficié ces dernières étaient beaucoup plus consistants que ceux que s’apprête à verser le comité de suivi des recommandations de l’IER. A titre de comparaison, les rescapés du bagne de Tazmamart avaient bénéficié, chacun, d’un montant allant de 2 à 3 millions de DH ; les indemnités du groupe Banouhachim (bagne de Kalaât Mgouna) variait selon les cas entre 700 000 à un million de dirhams. «Ça laissera sûrement un goût amer, un sentiment de frustration et d’injustice parmi les bénéficiaires de ces indemnités accordés par l’IER, sans parler de ceux qui ne bénéficieront d’aucun sou», avertit Amine Abdelhamid, président de l’AMDH. C’est peut-être là l’une des raisons, ajoute t-il, qui fait que l’Etat «temporise avant de procéder à la distribution des chèques.» Ahmed Sebbar, président du FVJ, va plus loin : l’Etat tergiverse encore, selon lui, dans l’application des recommandations de l’IER. La preuve : «Certaines de ces dernières ne nécessitent aucune dépense d’argent, mains uniquement de la bonne volonté et du courage politique, comme le fait de présenter des excuses officielles aux victimes des années de plomb et à leurs familles, or rien de cela n’a été fait.» Pour la distribution des chèques au moins, tout indique qu’elle se fera à partir de février.

Zoom sur les émeutes de juin 1981 : 88 dossiers restent en suspens
Créée en mars 2006, «l’Association 20 juin» se veut porte-parole des intérêts des victimes des émeutes des 20 et 21 juin 1981 à Casablanca consécutives à la hausse des prix de première nécessité (on avait dénombré 5 000 arrestations et 200 morts...). Plusieurs parmi ces victimes avaient déposé leurs dossiers auprès de la première instance d’arbitrage créée en 1999 et ont eu gain de cause. Saïd Masrour, président de l’association, lui-même condamné à 20 ans après ces événements (il en a purgé 13 ans avant d’être gracié par le Roi en 1994), a pu obtenir de cette instance 190 000 DH. D’autres, une trentaine en tout, ont touché entre 100 000 et 160 000 DH, selon les années passées en prison. Maintenant, l’association relance le CCDH pour le règlement de 88 dossiers relatifs aux ayants droit de jeunes incarcérés à un âge variant entre 17 et 20 ans, décédés lors des émeutes.

Jaouad Mdidech
Source: La Vie Eco

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