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Peine de mort: Le débat gagne le Maroc

Officiellement, il n’y a eu que deux exécutions depuis 1981. Pourtant, cette peine est présente en force dans le code pénal. Etes-vous pour ou contre la peine de mort? Que l’on se rassure, la question n’est plus aussi taboue qu’elle ne l’était il y a quelques années.

Même si la dernière loi antiterrorisme(1) renforce la présence de cette peine dans notre législation, le débat gagne de plus en plus le Maroc. Pour preuve, la peine capitale a été l’un des sujets-phares traités par le Conseil des ministres de la Justice des pays arabes, qui a eu lieu en avril dernier à Marrakech. L’intervention d’El Habib Bihi, professeur de droit à l’Université Mohammed V à Rabat, a d’ailleurs suscité beaucoup de réactions parmi les participants à la rencontre. Normal: si l’on exclut Bahreïn, les législations de tous les autres pays arabes prévoient cette peine. La raison invoquée pour expliquer la persistance de cette peine, reste bien entendu la référence à la chariâ. Outre le terrorisme, le code pénal marocain prévoit la peine capitale pour certains crimes de droit commun. Il s’agit par exemple du meurtre avec préméditation, le parricide, l’infanticide ou encore l’homicide accompagné d’actes de barbarie.

Condamnés sans exécution: Le calvaire du couloir de la mort. «pire que la peine elle-même»
La «grande» présence de la peine de mort dans le code pénal peut faire peur, «mais heureusement qu’elle n’est pas souvent prononcée», tempère Bouzoubâa. Le ministre de la Jusitce estime qu’il existe trois courants. Le premier est constitué des partisans du maintien de cette peine, le deuxième militant énergiquement pour sa suppression. «Entre les deux, il y a ceux qui revendiquent un maintien de la peine capitale, tout en la réduisant à un minimum d’infractions», souligne-t-il (voir aussi encadré). Actuellement, un peu moins d’une centaine de détenus (ceux de la Salafia Jihadia inclus) sont condamnés à mort et attendent, dans le couloir de la mort, le jour de l’exécution. Une attente qualifiée de «pire que la peine elle-même» par les praticiens de droit. Bouzoubâa souligne également «l’inhumanité d’une condamnation à la peine capitale sans exécution». Officiellement, il n’y a eu que deux exécutions pendant les 25 dernières années. La première concerne les individus impliqués dans les émeutes de juin 1981. Plus médiatisée, la seconde exécution concernait le tristement célèbre commissaire Tabit en 1993.
Deux exécutions en 20 ans. Pourquoi continuer à condamner à mort si l’on n’exécute pas? La question ne cesse d’alimenter les débats. Et aucune partie n’arrive à l’emporter sur l’autre. Il faut dire que les partisans comme les détracteurs disposent d’arguments de taille.
Les premiers avancent que les grands criminels ne craignent en dernier recours que la peine capitale. «Si elle est abolie, comment ferait-on pour punir les récidivistes en prison?» En clair, comment punir un condamné à perpétuité qui tue une seconde, voire une troisième fois en prison? «La prison, il y est déjà!» rétorque ironiquement un fervent défenseur de cette peine.
Les détracteurs préfèrent, quant à eux, s’attacher aux valeurs universelles des droits de l’homme pour pointer du doigt «le barbarisme d’une justice de vendetta». Ces abolitionnistes estiment que cette peine ne répare pas le préjudice et se contente de «venger» la victime, ce qui réduit dangereusement le rôle de la justice.
Me Rachid Diouri, avocat au barreau de Casablanca, estime que la peine capitale devrait être «réservée pour les crimes particulièrement odieux et surtout inexplicables tels que les actes de terrorisme, les crimes sur les enfants et les crimes à connotation religieuse». Et d’ajouter: «la peine de mort est présentée comme une sanction acceptée par toutes les religions en application de la loi du talion. La décision de l’abolir ou pas reste avant tout politique».
Elle l’est d’autant plus que l’abolition de la peine de mort «libérerait définitivement notre droit positif du système punitif musulman», explique pour sa part le professeur Bihi. Selon lui, le droit positif et surtout le code pénal s’est beaucoup affranchi de la chariâ. Pour illustrer ses propos, Bihi cite des exemples de peines disparues de la législation actuelle telle que la lapidation pour adultère, la flagellation pour absorption d’alcool, l’amputation de la main en cas de vol… Des peines qui semblent sortir directement du Moyen-Age...Et la peine de mort alors?

Bouzoubâa pro-abolition
Selon Mohamed Bouzoubâa, ministre de la Justice, «la voie empruntée par le Maroc, qui consiste à garder la peine de mort dans la législation pénale sans procéder à l’exécution, ne constitue pas la meilleure solution».
Pour lui, la non-exécution du condamné à mort «le met dans une situation qui révèle un certain sadisme étranger à la Justice».
Lors de la conférence de Meknès tenue en décembre 2005, rappelle-t-il, «nous avons décidé que cette peine serait limitée à quelques infractions. De plus, elle ne sera prononcée qu’à l’unanimité du collège judiciaire qui traite le dossier. Tout est donc mis en œuvre pour en limiter l’usage, en attendant son abolition».

Exécution: Mode d’emploi
Régie par le Dahir du 2 juin 1959 relatif à l’exécution des condamnations à la peine de mort, l’exécution s’effectue par fusillade sur ordre du ministre de la Justice à la diligence du chef du parquet général. Toute condamnation définitive à cette peine ne peut être mise à exécution que lorsque le recours en grâce, qui est de droit, a été rejeté.
Selon l’article 3 dudit Dahir, il est procédé à l’exécution par l’autorité militaire requise à cet effet par le procureur du Roi, en présence entre autres du président de la juridiction qui a prononcé la condamnation, du juge d’instruction et du greffier du tribunal du lieu d’exécution, les défenseurs du condamné et le médecin de la prison.
L’exécution a lieu à l’intérieur de l’établissement pénitentiaire où le condamné est détenu ou dans tout autre lieu désigné par le ministre de la Justice. Elle n’est pas publique, à moins que le ministre de la Justice n’en décide autrement.
Après exécution, le corps du condamné est remis à sa famille, si elle le réclame, à charge pour elle de le faire inhumer sans publicité.

Naoufal Belghazi
Source : L'Economiste

(1)Les premiers condamnés à mort selon cette loi sont les 10 salafistes appartenant au groupe dit «de Youssef Fikri».

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