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Enfants d'immigrés, fils de France

Que représente l'appartenance nationale pour les enfants nés en France de parents étrangers ? La question qui sous-tend l'enquête d'Evelyne Ribert surgit à première vue sur un terrain miné : comment prendre pour objet de recherche cette fameuse "seconde génération", que les discours politiques ont constituée en "problème public" au cours des années 1980, sans contribuer à entériner "l'assignation à l'origine" que les historiens de l'immigration ont identifiée comme l'un des moteurs du racisme contemporain ? Et que dire qui n'ait été analysé par les nombreux travaux relatifs aux résistances de la nation française à assumer son multiculturalisme ?

L'apport du travail d'Evelyne Ribert, tiré d'une thèse de doctorat, résulte de son double positionnement méthodologique. D'un côté, elle refuse de prendre pour acquis l'idée d'un "affaiblissement" du sentiment national par rapport à un idéal mythiquement identifié à la IIIe République. De l'autre, plutôt que d'explorer les causes sociologiques dudit "affaiblissement", elle préfère s'intéresser au "point de vue des intéressés".

Appuyée sur des entretiens avec cinquante adolescents et jeunes adultes nés en France de parents marocains, tunisiens, espagnols, portugais et turcs, l'enquête, effectuée en 1995-1996, s'est intéressée aux personnes contraintes par la "loi Méhaignerie" d'effectuer une démarche volontaire afin de devenir français. "Occasion idéale" pour observer les représentations que ces jeunes se font de leur appartenance nationale, ce dispositif, voté en 1993 (et aboli en 1998 par le gouvernement Jospin), apparaissait également "emblématique" des débats politiques sur l'acquisition de la nationalité. En contraignant les candidats à renoncer volontairement à la nationalité de leurs parents pour devenir français, la procédure devait susciter chez eux une "prise de conscience" et lutter contre les "conflits identitaires" supposés affaiblir l'identité nationale.

"PRISE DE CONSCIENCE"

Les entretiens menés par Evelyne Ribert contredisent tous ces présupposés. Premier constat : la "prise de conscience" a rarement été au rendez-vous, pour la bonne et simple raison que les candidats se croyaient généralement déjà français, ignorant que la procédure d'acquisition automatique avait été abolie. Pour eux, la manifestation de volonté constituait la simple confirmation juridique d'une évidence vécue ; tant et si bien que l'objet de recherche de la sociologue semblait le plus souvent dénué de tout intérêt aux yeux des principaux "intéressés"...

Deuxième constat : contrairement à certains discours alarmistes, les liens affectifs que les parents gardent avec leur pays d'origine n'empêchent pas une véritable adhésion à la nation française, et ne constituent donc pas une menace pour l'identité nationale. De fait, comme l'ont montré plusieurs études antérieures menées parmi d'autres populations, quand l'intégration scolaire, professionnelle et/ou relationnelle en France est forte, le sentiment d'appartenance ne pâtit nullement d'allégeances variées, de type national, local, ou autre : "Je ne supporte pas la question : "Tu préfères la France ou le Maroc ?" ; c'est comme si je te demandais : "Tu préfères ton père ou ta mère ?"", témoigne, par exemple, une adolescente.

Enfin, et c'est sans doute la mise en perspective la plus originale de ce travail, même si elle mériterait d'être confrontée aux recherches de sciences politiques sur les nouvelles formes de nationalisme : si, chez les descendants d'immigrés, "la prééminence de l'appartenance nationale est récusée au profit de formes d'inclusion multiples, partielles et conditionnelles", cette attitude rejoint la régression du sentiment national chez l'ensemble des Français ; paradoxalement, elle témoignerait donc de leur intégration, dans un contexte de construction européenne, de mondialisation et de disparition du service militaire. Ainsi, le discours sur l'affaiblissement de l'appartenance nationale ne serait pas fondamentalement faux. Mais il se fourvoirait en se focalisant sur les enfants d'immigrés. Et surtout en confondant cette mise en cause avec la disparition de toute forme d'ancrage identitaire.

LIBERTÉ, ÉGALITÉ, CARTE D'IDENTITÉ. Les jeunes issus de l'immigration et l'appartenance nationale d'Evelyne Ribert. La Découverte, 276 p., 23 €.

Juliette Rennes
Source : Le Monde

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