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Projet royal de Conseil supérieur de la communauté marocaine à l'étranger

Comment le Maroc compte-t-il intégrer politiquement sa diaspora ? Le projet royal de Conseil supérieur de la communauté marocaine à l'étranger ne manque pas de susciter remous et polémiques. Etat des lieux.

La diaspora marocaine ne participera pas aux élections de 2007. Trop tard. Le code et le découpage électoraux mis en place par le ministère de l'Intérieur, après un long round de négociation avec les cinq partis de la majorité, n'ont rien prévu pour nos compatriotes expatriés. Reste un espoir : la prochaine Fête du trône, le 30 juillet prochain, où le roi devrait, si l'on en croit certaines prévisions, promulguer le dahir organisant le futur Conseil supérieur de la communauté marocaine à l'étranger, une instance qui aura, entre autres tâches, celle de mettre au point le déroulement des élections pour les citoyens marocains à l'étranger (CME, une dénomination qui a remplacé dans le jargon courant la fameuse MRE). En d'autres termes, si les CME sont présents pour le compte de la prochaine législature, ce n'est pas à partir de 2007, date des élections nationales mais, dans le meilleur des cas, avec un décalage de quelques mois, le temps nécessaire pour le Conseil de régler tous les détails techniques de l'opération.

Tout avait pourtant bien commencé lorsque, le 6 novembre 2005, le roi avait prononcé son discours de la Marche verte : “Il est à noter que la communauté marocaine à l'étranger (que nous considérons comme un atout majeur pour le Maroc nouveau) jouit, sur un pied d'égalité, des droits politiques et civils que confère la loi à tous les Marocains, dont celui d'être électeurs et éligibles”. Clair et net. Le Roi invitait les CME à voter et à entrer au Parlement. Mais sur la mission du Conseil, sa composition, les modalités à suivre pour que les CME prennent effectivement part aux prochaines élections, le discours royal n'apportait aucune précision.

Un projet de décret royal
En dehors des efforts de quelques ONG et des habituelles déclarations de foi des politiques, aucun débat sérieux, technique, n'a vu le jour dans la suite du discours royal. Il a fallu attendre mars 2006 pour que le roi, encore lui, effectue un deuxième pas : la mise au point d'un avant-projet de dahir relatif à la création du conseil. “On attendait un décret, ce fut un projet de décret, comme si le roi lançait des ballons d'essai avant de se décider une fois pour toutes”, relève cet observateur qui connaît bien le dossier. Rédigé en 17 articles, le document ressemble à tous les décrets annonçant la création de nouvelles instances, dont le dernier en date est celui du CORCAS pour les affaires sahariennes. Le roi y est tout de suite en première ligne (“la présidence est assurée par Notre Majesté ou, en Notre Nom, par l'autorité gouvernementale chargée des affaires de la communauté marocaine résidant à l'étranger”, lit-on dans l'avant-projet), comme pour rappeler que le dossier des CME fait partie des nombreux domaines réservés du Palais.

La composition du Conseil sera répartie en trois catégories : les membres élus dont on ignore le nombre et les modalités d'éligibilité, les membres désignés (par le roi) qui seront choisis “parmi les personnalités connues pour leur implication remarquable dans la défense des droits des citoyens marocains immigrés et des intérêts supérieurs de la Nation”, et les membres dits “de droit”, au nombre de 22 : 12 ministres (dont le premier ministre, les ministres de l'Intérieur, des Affaires islamiques, etc), les présidents des deux chambres du Parlement, des représentants du Groupement professionnel des banques, des Fondations Hassan II et Mohammed V, de la CGEM, de 2M, etc. En plus de veiller sur les affaires des CME, le Conseil aura un rôle consultatif : il est tenu de préparer un rapport annuel au roi, dans lequel il pourra faire part de ses propositions pour la gestion des affaires de la communauté. Enfin, les mandats sont de cinq ans, renouvelables une seule fois. A noter, pour l'anecdote, que les fonctions seront “bénévoles” et que les candidats éligibles devront être âgés de 21 ans au moins et avoir accompli un séjour continu d'au moins deux années dans la circonscription électorale où ils se présentent.

Rumeurs et controverses
Question : quel sera le pourcentage des élus dans la composition du Conseil ? Quelles seront les circonscriptions électorales où les quelque 3 200 000 personnes (10 % de la population marocaine) qui constituent la diaspora expatriée pourront aller voter ? “Les chefs-lieux des circonscriptions électorales et le nombre de sièges à pourvoir dans le Conseil supérieur de la communauté marocaine à l'étranger sont désignés par un décret”, nous répond l'avant-projet royal. Ce qui est sûr, c'est que l'émission de cet avant-projet a donné lieu à nombre de spéculations. Sur la présidence du conseil, des bruits insistants ont fait état de la nomination de Driss Yazami, l'un des membres les plus en vue de la défunte Instance équité et réconciliation. Son nom a effectivement été proposé mais aucune décision n'a encore été prise.

Sur la nature de la mission du futur Conseil, sur l'identité de ses élus mais aussi de ses électeurs, un début de controverse est déjà né eu Europe. “On a l'impression, quand on lit l'avant-projet royal, que le Conseil sera une plate-forme pour le drainage des investissements (des CME), et rien d'autre”, s'inquiète par exemple ce Marocain expatrié, connu pour son activisme associatif. On l'aura compris, l'avant-projet est déjà une source d'inquiétude pour bien des leaders de la communauté marocaine à l'étranger, lesquels préfèrent, pour le moment, s'exprimer en off. L'un d'eux s'interroge en ces termes : “Le Conseil qui sera mis en place par le roi fait la part belle aux officiels et aux fondations quasi gouvernementales. Question : où sont les partis politiques ? Les syndicats ? Les ONG installées au Maroc ou à l'étranger ?”. Ils ne sont pour l'instant nulle part.

Une remarque de fond pour finir : ce n'est pas le gouvernement mais le roi en personne qui exercera un pouvoir de tutelle sur le futur Conseil puisque, à titre d'exemple et comme il est écrit dans l'avant-projet, “Il (le Conseil) peut être consulté sur toutes les questions qui lui sont soumises, avec l'accord de Notre Majesté, par l'autorité gouvernementale chargée des affaires de la communauté marocaine résidant à l'étranger”.

Voilà donc où en est le royaume avec ses CME. Exclus pour le moment du code électoral, nos expatriés guettent le prochain décret officialisant (et explicitant davantage) l'installation du Conseil supérieur de la communauté marocaine à l'étranger qui s'apparente déjà à un laboratoire d'idées royales. Ils devront s'armer de patience avant d'imiter l'exemple des expatriés algériens (qui votent pour les législatives de leur pays) ou tunisiens (qui votent… pour les présidentielles).

Histoire: L'échec de 1984
En 1984, Hassan II avait surpris son monde en décidant (sur une inspiration que l'on prête généralement à l'ancien premier ministre Ahmed Osman) que les MRE étaient éligibles. Une grande première, au moment où la diaspora comptait un peu moins de deux millions de personnes. “Les opérations de vote eurent lieu dans des conditions douteuses, presque en catimini, comme pour parer à toutes les surprises”, se souvient un témoin de l'époque. Quatre élus sortirent du lot au nom, respectivement, des partis de l'Istiqlal, de l'USFP, du MP et du RNI. Deux des heureux élus résidaient en France, les autres en Espagne et en Belgique. L'un d'eux était même connu pour être un syndicaliste en vue à la CGT française. La suite fut moins heureuse puisque les élus finirent par rentrer au Maroc et certains adoptèrent la tendance la plus in du moment : la transhumance, passant d'un parti à l'autre. Un total échec qui continue de provoquer, aujourd'hui encore, les réticences (à inclure les MRE dans le processus électoral) de la plupart des partis, malgré leur discours officiel rassurant. Echaudé, Hassan II ne reconduisit l'expérience des MRE ni en 1992 ni en 1997.

Karim Boukhari
Source: TelQuel

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