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Législatives de 2007 au Maroc: les RME mécontents

A moins d’un miracle, la participation des RME aux législatives marocaine de 2007 est compromise. Plusieurs actions de protestation sont organisées un peu partout en Europe. Pour faire face à ce mécontentement la solution proposée serait de permettre le vote dans les circonscriptions d’origine : est-ce une réelle solution ou une simple fuite en avant ?

Voteront-ils ou pas ? A l’heure où nous mettions sous presse (mercredi 28), aucun officiel au Maroc ne pouvait confirmer ou infirmer que la communauté marocaine à l’étranger serait privée d’élections, même si l’affaire semblait déjà bien compromise...

Il n’en fallait pas plus pour déclencher l’ire de nos concitoyens vivant hors du territoire. En fait, depuis la publication, le 16 juin, d’un communiqué du ministère de l’Intérieur concernant le vote de la diaspora marocaine, les MRE ne décolèrent pas. Motif ? La dépêche publiée spécifiait l’urgence d’«adopter une approche progressive pour mettre en œuvre les mécanismes et instituer les règles juridiques qui permettront aux nouvelles générations de notre communauté de s’inscrire sur les listes électorales nationales [...]». Interprétant le message comme un nouveau report de leur participation aux élections, ces derniers protestent. Réunis à Madrid le dimanche 25, les membres du bureau du Congress, l’une des plus importantes et des plus actives associations des MRE, ont appelé «unanimement au rejet d’une possible annulation. D’ailleurs, cette semaine, certains projettent d’organiser un sit-in devant l’ambassade du Maroc à Paris, d’autres ont appelé au boycott des élections du Conseil [NDLR : Haut Conseil des MRE] si les élections législatives ne sont pas maintenues», annonçait, lundi 26 juin, Mohamed Moussaoui, président du Congress. L’association n’était pas la seule à condamner la décision.

Le scénario de juin 2002, qui avait vu l’espoir du vote renaître - les MRE n’ont pas voté en 1992, ni en 1997- pour s’évanouir aussi rapidement, se répétera-t-il ? Pourtant, cette fois, les MRE avaient pour eux un argument de taille : le discours royal du 6 novembre 2005, dans lequel le Souverain avait annoncé la représentation des MRE à la Chambre des représentants, la création de circonscriptions législatives électorales à l’étranger, le droit de vote pour les descendants des MRE, et la création d’un Conseil supérieur de la communauté marocaine à l’étranger. On comprend donc que deux associations, le Conseil national des Marocains de France et le Congress, en appellent au Roi.

Des problèmes techniques et humains
L’enjeu est important, car il s’agit d’éviter une expérience aussi catastrophique que celle de 1984, avec par exemple un élu représentant les USA et l’Asie à la fois. L’organisation du vote se heurte en fait à de nombreuses difficultés techniques. Face à une communauté éparpillée irrégulièrement à travers le monde, le découpage électoral pose problème. Il reste aussi à déterminer la manière dont le vote peut être conduit : s’agira-t-il de voter par correspondance avec les risques que cela implique ? Auprès des consulats, avec le risque d’abstention massive d’électeurs trop éloignés des bureaux de vote ?

Autre problème : les résistances de certains pays d’accueil comme l’Allemagne ou la Hollande, qui renferment d’importantes communautés marocaines. En effet, ces élections impliquent la participation d’une communauté très intégrée dans les pays d’accueil et qui voterait à la fois pour son pays de résidence et pour son pays natal. Sans compter que la communauté des MRE comprend déjà de nombreux ministres, députés, et élus locaux. L’engagement politique des MRE dans deux pays peut devenir suspect, jetant le doute sur leur intégration réelle dans leurs pays de résidence. «Dans certains pays comme la Hollande, le gouvernement est en train de négocier avec le Maroc la possibilité de retirer la citoyenneté marocaine aux “double-nationaux”, imaginez la réaction de ce gouvernement si demain des partis politiques marocains viennent faire campagne auprès de citoyens hollandais !», prévient Mohamed Moussaoui.

Au-delà de l’aspect technique, il reste les questions propres au contexte marocain : manque de préparation dans la classe politique marocaine, et chez les concernés eux-mêmes, mobilisation réduite des partis... La situation est d’autant plus compliquée que cet autre acteur politique qu’est la société civile souffre à la fois de l’impact des anciens réseaux (amicales, etc. ), et des luttes intestines où les individus cherchent à se faire remarquer par les autorités marocaines.
Au-delà de ces soucis, il s’agit aussi de mobiliser assez d’électeurs pour donner une crédibilité à ces élections: «Dans un pays aussi large que le Canada, avec une communauté de 80 000 à 100 000 individus et seulement 32 000 personnes enregistrées au consulat, même si la plupart des Marocains résident au Québec, arriver à convaincre 10% de ces gens, c’est déjà beaucoup. On ne peut pas élire quelqu’un avec
3 000 voix pour en représenter 100 000, ce ne serait pas crédible, ni vis-à-vis des MRE du Canada, ni des autorités marocaines, ni encore de celles du pays d’accueil», ajoute Mohamed Brihmi, ex-président de l’Association marocaine de Toronto et membre du conseil d’administration du Centre arabe communautaire de Toronto.

Nouzha Chekrouni : «Ils pourront venir voter au Maroc»
Malgré toutes ces difficultés, beaucoup estiment qu’il reste encore assez de temps pour organiser les élections.
Certains vont d’ailleurs jusqu’à refuser les arguments techniques en bloc : «Les raisons techniques ne sont jamais suffisantes pour remettre en cause des principes ou des droits aussi fondamentaux. Lorsqu’il y a un problème technique, on essaie de le résoudre : il faut se préparer, anticiper, réfléchir. L’administration s’est-elle donné le temps de réfléchir, de se préparer, donné les outils de réalisation? Non», s’insurge Abdelkrim Belguendouz, spécialiste de la question. «Parmi les raisons essentielles invoquées en 2002, il y avait les difficultés techniques, l’inapplicabilité de la réforme, etc. Avant 2002, c’était la même chose qu’en 1997, ce qui signifie que cela fait des années que l’on réfléchit à la chose», proteste-t-il.

Dans ce contexte, si l’Intérieur n’a pas encore exprimé de position définitive (au mercredi 28), la ministre chargée des MRE, Nouzha Chekrouni, se veut rassurante : «Ils vont pouvoir voter et aussi se porter candidats dans la mesure où il est prévu d’assouplir les règles juridiques». Selon elle, une solution actuellement étudiée serait que les MRE puissent voter, mais au Maroc, dans leur circonscription d’origine. Une idée difficile à appliquer dans la mesure où cela implique un déplacement coûteux des électeurs vers le Maroc, et où les générations non nées au Maroc restent plus attachées au pays en général qu’à des régions données. Cette proposition est-elle en réalité un préalable à l’annonce de la mauvaise nouvelle ? «Tous les pays ont ouvert cette possibilité pour commencer. Les gens qui sont vraiment intéressés par le processus électoral peuvent faire le déplacement», insiste Nouzha Chekrouni. Pour les critiques de cette solution, il s’agit là simplement d’une fuite en avant.

Face à cette situation, l’instauration rapide du Conseil des MRE - actuellement en cours de constitution - apparaît comme l’une des options les plus réalistes, d’autant plus qu’il constituerait une introduction progressive pour les MRE en politique. Cette option semble avoir l’appui de partis comme le RNI ou le MP. Le plus étonnant, peut-être, est que le Congress lui-même pourrait pencher dans ce sens dans la mesure où, il y a quelques semaines seulement (cf La Vie éco du 9 juin 2006), il proposait qu’à titre exceptionnel les députés MRE de 2007 soient désignés au sein dudit Conseil. Mais, là encore, Mohamed Brihmi s’interroge : «S’il est possible pour la communauté marocaine à l’étranger d’organiser des élections pour désigner le tiers des membres du Conseil des MRE, pourquoi est-il impossible d’en faire de même pour désigner les parlementaires MRE ?».

Des législatives privées vus par Mounir Ferram (Professeur universitaire à Paris)
Entre «marhba bikom fi bladkom » et «vous ne votez pas», les MRE se résignent au constat : continuez à envoyer de l’argent, c’est tout ce que l’on vous demande. Encore un raté qui réaffirme dans l’esprit de nos concitoyens de l’étranger l’impasse d’une politique d’improvisation à leur égard. Depuis l’annonce royale d’élargir les législatives de 2007 aux MRE, l’organisation de ces élections n’a pas été appréhendée d’une manière pragmatique en vue de faire émerger une feuille de route concertée, inspirée des réalités de ces MRE. Le gouvernement marocain avance des problèmes logistiques sans explicitation aucune.
Les MRE s’étonnent de l’incapacité d’un pays à organiser des élections pour 10% de ses citoyens à l’étranger, alors qu’il postulait pour l’organisation de la Coupe du monde !
Les MRE se considèrent exclus, injustement, des instances politiques, sociales et économiques de leur pays d’origine. Ils contribuent pourtant à son développement par des transferts annuels de 3 milliards de dollars ! Seraient-ils de simples pourvoyeurs de fonds ?

Dotés d’une culture politique empreinte des démocraties occidentales, diplômés et accédant à des postes à responsabilité, ces nouveaux RME aspirent à une reconsidération des liens et des rapports avec leur pays d’origine. Ils recherchent une nouvelle forme de citoyenneté, authentique et responsable ainsi qu’un «relationnel» exprimé autrement que par des slogans conjoncturels, plus infantilisants qu’autre chose !
Enlever à la diaspora marocaine son droit d’exprimer sa citoyenneté, c’est lui ôter sa substance identitaire, qui la lie à son pays d’origine, à sa culture et à ses racines ! A quand «un nouvel imaginaire politique» pour mobiliser tous les citoyens marocains dans la passion de construire le nouveau Maroc, sans territorialisation aucune de l’Etre marocain ?

Houda Filali-Ansary
Source: La Vie Eco

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