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Le Maroc est-il prêt à abolir la peine de mort ?

Lundi 12 juin 2006, tribunal de première instance de Rabat. Un homme s’introduit en pleine audience, armé de couteaux. Il tuera un policier, blessera un avocat avant d’être arrêté. Selon des collègues de ce dernier, encore sous le choc, il est plus que probable que le coupable soit condamné à mort. Après tout, à travers ses victimes, il s’est attaqué à l’appareil sécuritaire et judiciaire. Sa condamnation à la peine capitale servirait donc d’exemple. Ironie du sort, ces spéculations sur la peine capitale pour un meurtrier ont lieu à quelques jours seulement de l’assemblée générale de la Coalition mondiale contre la peine de mort. L’évènement, organisé les 17 et 18 juin à Casablanca, doit rassembler 45 ONG du monde entier, ainsi que les organisations membres de la coalition locale dont l’AMDH, l’OMDH, ou le Forum vérité et justice.

La rencontre est d’autant plus importante qu’elle doit servir de tremplin à une série d’opérations destinées à inciter de nouveaux Etats à ratifier le 2e protocole - facultatif - de l’ONU se rapportant à la peine de mort, lit-on sur le site web de la coalition. Elle doit également permettre de préparer l’édition 2006 de la Journée mondiale contre la peine de mort, le 10 octobre prochain, avec un objectif de 500 initiatives locales dans plus de 100 pays.

Le choix du Maroc comme pays d’accueil de la conférence n’était pas innocent. Plus conscient que jamais de la nécessité de réformer son code pénal, doté d’un ministre de la Justice ouvertement opposé à la peine de mort, le Maroc fait partie des 25 pays au monde qui n’ont pas appliqué cette peine depuis plus de dix ans alors que son arsenal juridique la prévoit bel et bien. En fait, les ONG le verraient bien officialiser son choix en la retirant de son code pénal, devenant ainsi le deuxième pays arabe à l’abolir après Bahreïn, dans une région restée généralement à la traîne.

En faisant un tel pas, le Maroc ne ferait que suivre la tendance mondiale qui a vu le nombre de pays abolitionnistes passer de 16, en 1977, à 86 aujourd’hui, et 11 autres réduire fortement son application. A titre de comparaison, aujourd’hui seuls 75 pays appliquent toujours cette sanction. La pression est d’autant plus forte sur le Maroc qu’elle pourrait avoir un impact politique à l’international.

Consensus sur la réduction du nombre de crimes passibles de la peine de mort
Ainsi, le Maroc, qui n’a officiellement exécuté aucun condamné depuis l’affaire Tabit en 1993, est bien vu à l’international. Pourtant, qui dit moratoire de fait, ne dit pas absence de condamnations. Ce sont ainsi quelque 127 prisonniers, dont cinq femmes, qui attendent dans le couloir de la mort. Regroupés essentiellement dans la prison de Kénitra, seule une vingtaine parmi ces derniers aura trempé dans des affaires de terrorisme. On retrouvera parmi les condamnés aussi bien les serial-killers de Taroudant et du Bouregreg que des complices des attentats du 16 mai 2003 ou des terroristes qui s’apprêtaient à passer à l’acte ou, enfin, ceux qui ont attaqué l’hôtel Atlas Asni en 1994. L’absence d’application de la peine fait que, très souvent, les condamnés voient leurs peines commuées au bout de quelques années, via des grâces royales accordées à l’occasion des fêtes religieuses ou nationales.

La peine de mort est-elle devenue aujourd’hui l’équivalent d’une simple condamnation à la prison à vie ? Quoi qu’il en soit, son existence reste fortement critiquée. Au-delà de la contradiction avec les droits de l’homme, les abolitionnistes mettent en avant les limites de la justice qui, par définition, n’est jamais à l’abri de l’erreur judiciaire, d’autant plus que ses moyens limités ne lui permettent pas toujours d’approfondir ses enquêtes de manière optimale ou de déterminer les raisons profondes des crimes commis. «La majorité des condamnés ne sont pas des serial-killers ou des terroristes. Il arrive souvent qu’ils aient commis l’irréparable sous le coup de la colère», insiste Saïd Mouhib, directeur de l’Observatoire marocain des prisons. Selon ce dernier, les condamnés ont été soit manipulés, comme c’est le cas pour certains terroristes, soit souffrent de problèmes psychiatriques qui auraient dû faire l’objet d’examens médicaux.

Le Maroc a-t-il intérêt à abolir la peine de mort ?
Au-delà des causes de leur incarcération, c’est la situation même que vivent les condamnés qui est le plus critiquée. Isolés dans leurs cellules depuis plusieurs années pour certains, l’incertitude dans laquelle ils vivent est pire que la condamnation elle-même, au point que leurs geôliers vivent dans la crainte d’un geste désespéré. «Même quand ils sont condamnés mais pas exécutés, ils ressentent une souffrance morale telle que l’exécution vaut peut-être mieux», prévient Saïd Mouhib. Plus encore, même dans le cas de ceux qui auront vu leur peine commuée, avec la possibilité de sortir de prison après plusieurs décennies, la situation est presque aussi grave : vieillis, parfois invalides, déphasés par rapport à une société qui aura fortement changé depuis leur incarcération, certains se retrouveront à la rue. «En 2003, j’ai rencontré un condamné à mort gracié qui est resté 35 ans en prison. Quand je lui ai dit qu’il allait sortir, il m’a répondu: “Où vais-je aller ? Je ne connais même pas les routes”», confie Me Abdelatif Wahbi.

Face à une telle situation, le Maroc a-t-il intérêt à supprimer la peine de mort ? Optimistes, certains donnent au Maroc un maximum de dix ans pour le faire. Une révision des textes est nécessaire : il suffit de rappeler par exemple que sur les 583 cas de crimes sanctionnés par la peine capitale, le code pénal actuel reste truffé d’anachronismes comme ces 372 peines capitales prévues à l’encontre des incendiaires. Pourtant, il ne faut pas oublier non plus que cette sanction existe depuis la nuit des temps, au point qu’on la retrouve, dûment codifiée dans le code d’Hammourabi pourtant vieux de plusieurs milliers d’années, voire dans différentes religions, dont l’islam. Supprimer la peine de mort au Maroc reviendrait-il à contredire la charia ? A ce niveau, le débat ne se pose pas vraiment au Maroc puisque ce dernier a rompu de facto avec la loi islamique depuis l’Indépendance en calquant son code pénal sur le modèle français de l’époque, explique Habib Bihi, professeur de droit à l’université Mohammed V de Rabat. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays musulmans, ce sont les abolitionnistes qui invoquent l’héritage religieux pour justifier sa suppression.

Il reste tout de même à fournir des garanties aux victimes et à la société en général que justice leur sera faite et que des mesures seront prises pour prévenir toute atteinte à leur droit à la sécurité.
Ses partisans considèrent la peine comme un épouvantail pour les criminels potentiels, «mais il n’a jamais été prouvé que la peine de mort pouvait réduire les crimes», prévient Me Hassan Halhoul, un des défenseurs des prisonniers marocains de Guantanamo, qui explique que des pays qui l’appliquent, comme l’Arabie Saoudite, voient se répéter les crimes punis de mort. C’est encore plus flagrant dans le cas des terroristes qu’elle est loin de faire reculer.

Les facteurs politiques et économiques devront être pris en compte
Dans cette situation, «il faut donner à l’être humain une punition qui ne touche pas à sa vie et qui s’attaque aux causes de son acte, voilà ce qu’on attend de nous », insiste Me Abdelfattah Zahrach, avocat. «Par exemple, quand on voit ce qui s’est passé lundi, le crime commis pose la question de la sécurité au tribunal. N’est-ce pas un droit pour l’appareil judiciaire de bénéficier d’une sécurité complète ? », s’interroge-t-il.

Ainsi, les opposants à la peine capitale semblent avoir de nombreux arguments, même au Maroc. L’opinion publique, elle, n’est pas forcément de cet avis. «Il semble, à travers ce qui s’est passé à Taroudant, que les citoyens marocains attendaient la condamnation à mort du coupable », rappelle Me Halhoul. Ce dernier, craint, tant qu’il n’y a pas d’abolition officielle de la peine de mort au Maroc, que celui-ci fasse marche arrière en cas de crime particulièrement grave, comme cela s’est produit dans d’autres pays. Quelle que soit la décision du pays, une série de facteurs, économiques et politiques notamment, devront être pris en considération, l’opinion publique ne jouant qu’un rôle secondaire dans la décision. En attendant, le débat reste timide au Maroc, même si le consensus semble se stabiliser autour d’une forte réduction du nombre de cas où la peine doit être appliquée.

Houda Filali-Ansary
Source: La Vie Eco

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