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Ali Salem Tamek - L’indépendance, mais quoi encore ?

Les sorties médiatiques de Ali Salem Tamek se suivent. Il se déclare de plus en plus ouvertement pour l'indépendance du Sahara. Mais au fond, il suffit de le pousser dans ses retranchements...

Ali Salem Tamek aurait pu rester éternellement anonyme. Jeune sympathisant Sahraoui du Polisario, parmi tant d'autres, il a été à trois reprises (banalement presque) emprisonné pour ses tentatives répétées de regagner les camps de Tindouf. Il accède brusquement à la popularité en 2002, quand un tribunal d’Agadir le condamne pour "appartenance au Polisario". Il agrémente alors son séjour en prison de plusieurs grèves de la faim et des sorties médiatiques frontales. Le jeune Sahraoui gagne en visibilité. Gracié dans la foulée des 33 détenus d’opinion en 2004, il est reçu en héros dans sa petite bourgade d’Assa. L’homme a changé. Désormais, il veut militer sur place et abandonne toute envie de quitter le Maroc. Bon gré mal gré, les autorités l’ignorent. Tamek milite, affirme librement ses choix politiques, se déplace tranquillement et obtient même son passeport pour aller se soigner à l’étranger.

De retour au bercail, il se livre à un journal méconnu au bataillon pour réaffirmer son attachement à un état sahraoui indépendant. L’homme, qu’on croyait oublié parce que ignoré, revient violemment au devant de la scène, la campagne de lynchage médiatique aidant.
Mais qui est vraiment Ali Salem Tamek ? Un révolutionnaire sahraoui ou un brasseur de vent ? Est-il, comme veut le faire croire la nouvelle machine de propagande marocaine, un "militant surfait", qui a pu capitaliser sur ses courtes années de détention pour se faire une légitimité et se vendre comme un "martyr de la cause
sahraouie" ? Ou, a contrario, tient-il fermement sur ses positions et sait-il les défendre jusqu’au bout, au delà de la simple affirmation du désir d’indépendance ? Quoi qu’il en soit, il est aujourd’hui libre. De parler, de voyager, de réaliser des meetings en duplex avec Tindouf, etc. Bref, il ne peut désormais compter que sur ses idées pour se donner de la visibilité ou mourir politiquement. Nous l’avons interrogé sur l’existence réelle d’un état sahraoui, la latitude du Polisario à gouverner, les courants qui le traversent et les contradictions qui entourent le personnage lui-même. Le père de "Tawra" (sa fille) répond calmement et sans ambages.

Vous êtes l’un des rares militants sahraouis qui déclarent ouvertement leur appartenance au Polisario. Paradoxalement, vous appartenez à une tribu presque berbère, qui se trouve en dehors de la zone contestée au Sahara …
Et alors ? J’exprime une opinion politique personnelle. Je continue à croire que le référendum est le meilleur moyen démocratique qui permettra au peuple sahraoui de s’exprimer. Je fais partie de ce peuple et je n’ai pas besoin de le prouver historiquement, démographiquement ou culturellement.

Pourtant, lors des opérations d’identification, un cheikh du Polisario a refusé de vous inscrire sur les listes des votants, contestant votre appartenance sahraouie !
C’est vrai, mais ce n’est pas aussi simple. Le cheikh du Polisario a émis une réserve me concernant et mon inscription a été refusée comme des milliers d’autres inscriptions dans les camps ou au Sahara occidental. Ce sont des détails auxquels je n’accorde pas d’importance. D’un point de vue nationaliste, les considérations tribales sont un crime. Je ne crois pas en la tribu comme organisation sociale. C’est une forme obsolète et dépassée. Nous croyons en un état sahraoui, moderne et respectueux de ses citoyens.

Le droit international, auquel vous vous référez, identifie l’état comme un territoire, un peuple et une volonté de vie commune. Le Polisario fait vivre des "réfugiés" sur un sol algérien avec des aides internationales. De quel état parlez-vous dès lors ?
Le Polisario est un mouvement de libération qui s’est distingué au niveau international. Il a, en même temps et dans un contexte difficile, mené une guerre de libération et s’est attelé à la construction de l’état. Et je pense qu’il a franchi des étapes importantes dans cette construction. Pour preuve, cette intervention du diplomate américain James Baker sur une chaîne de télévision américaine, où il a salué "l’expérience aboutie du Polisario" et où il est notamment revenu sur la participation de la femme dans la gestion de la chose publique, les acquis en matière d’éducation et de santé publique. L’état sahraoui existe. Nous avons aujourd’hui un gouvernement national, un peuple et un état membre de l’OUA, que reconnaissent 70 états souverains.

Le Polisario "gère" aujourd’hui les affaires de quelques 100.000 réfugiés installés sur quelques dizaines de kilomètres carrés, quadrillés par l’armée algérienne. Saura-t-il, demain, gouverner, seul et sans aide internationale, 500.000 personnes sur 266.000 Km2 avec toutes leurs complexités démographiques et tribales ?
N’oubliez pas que nous vivons aujourd’hui une situation d’instabilité politique. Si un état venait à être constitué, au cas où les Sahraouis obtiendraient leur indépendance, une pluralité politique et associative fera alors émerger une élite capable de prendre la destinée de ce peuple. N’oubliez pas que ce mouvement a pu gouverner un peuple de réfugiés en partant du néant. Aujourd’hui, il garantit à ses enfants un minimum de stabilité. Savez-vous que le taux d’analphabétisme dans les camps avoisine 0% ? Nous avons des cadres qualifiés, formés partout dans le monde, pour la gestion des affaires publiques. S’agissant des aides maintenant, je trouve cela normal que la communauté internationale soutienne des réfugiés. En ce qui concerne le "quadrillage par l’armée algérienne", c’est de la simple propagande. Vous n'avez qu'à consulter les dizaines de groupes du HCR et les journalistes qui visitent les camps chaque année.

Vous ne pensez pas que si l’option référendaire incluait le rattachement à l’Espagne, beaucoup de jeunes Sahraouis ne se poseraient même pas la question ?
C’est la première fois que j’entends une chose pareille. Le Polisario est la seule alternative qui existe. Maintenant, il y a les volontés personnelles de certaines personnes, mais ça ne peut en aucun cas être l’avis de la majorité. Les jeunes Sahraouis ne se sont pas lassés du combat, rassurez-vous !

Pourquoi avez-vous accepté d’occuper un poste étatique dans une commune relevant d’un état dont vous contestez la légitimité sur le territoire ?
C’est normal. N’importe quel état à la légitimité contestée essaie de garantir un minimum de droits à ses citoyens, pour faire diversion.

Vous n’aviez qu’à refuser la "diversion" …
J’ai accepté ce poste sans renoncer à mes principes. Et puis sachez que ça a changé. Je n’ai pas déposé de dossier auprès de l’IER, je n’ai pas demandé le retour à ma fonction ni à bénéficier de la carte d’entraide nationale.

Il ne manquerait plus que ça en effet … mais dites-moi avant. Vous revendiquez librement aujourd’hui, au beau milieu de Laâyoune, votre appartenance au Polisario. Vos cousins pourront-ils un jour afficher leur pro-marocanité à Tindouf ?
Je ne crois pas qu’il existe une liberté d’expression au Maroc. Sinon, comment expliquer la répression de mouvements d’étudiants à Rabat ou les freins mis à la liberté d’association au Sahara. Il n'y a pas de courants au sein du Polisario, pour avoir des pro-Marocains. Il peut y avoir des différences de point de vue, mais il y a unanimité sur l’objectif.

Parce que la répression militaire ne tolère pas de différences d’opinion ?
Parce que les camps sont des espaces de vie ouverts et que les Sahraouis qui y vivent se déplacent librement vers l’Algérie, la Mauritanie ou l’Espagne. Je vous invite d’ailleurs à vous rendre aux camps pour vous assurer vous-même de tout cela comme avait fait le journaliste Ali Lmrabet. 700 personnes sont venues des camps rendre visite à leurs familles au Maroc dans le cadre du programme d’échange de visites. Aucun n’y est resté, tous sont revenus.

Tous les Marocains sont revenus au Maroc également …
Je suis d’accord. Mais je dirais plutôt que les Sahraouis sont revenus au Sahara occidental. Ceux-là sont revenus parce que leurs conditions de vie ici les incitent à revenir, mais pourquoi est ce que les autres seraient revenus vers ce que les autorités marocaines appellent "l’enfer" ?

Vous n’avez pas l’impression de trop idéaliser le Polisario ? Que faites-vous du détournement de l’aide internationale, du trafic en tout genre ?
Le Polisario est un mouvement de libération géré par des êtres humains. Il est donc normal d’enregistrer des failles ou des problèmes de fonctionnement. Mais alors, il faut demander des explications aux responsables qui sauront mieux y répondre.

Qu’auriez-vous à dire au roi Mohammed VI, si vous le rencontriez un jour ?
(Long silence et beaucoup d’hésitation) Je lui demanderais de fournir les garanties nécessaires qui permettront au peuple sahraoui de décider de son sort et de construire un Maghreb arabe solide et démocratique.

Driss Bennani
Source : TelQuel

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