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Justice au Maroc : La nécessaire réforme

La justice est parmi les secteurs qui vont mal au Maroc. A chaque début de législature, une réforme est annoncée, mais jamais accomplie. Abdelouahed Radi s’annonce aussi comme réformateur. Voici les grandes lignes de sa stratégie.

La réforme de la Justice au Maroc n’a jamais reçu autant de sollicitudes. D’abord la haute sollicitude royale. Le Souverain vient d’annoncer dans une lettre adressée aux participants au colloque international sur « l’avenir de la justice au 21ème siècle », tenu pour célébrer le cinquantenaire de la Cour suprême, la mise en oeuvre très prochaine de profondes réformes dans ce secteur.

De son côté, le nouveau ministre de la justice a signé l’une des plus importantes sorties parlementaires des membres du nouvel exécutif, à l’occasion de l’examen par la Chambre des représentants du budget 2008 de ce département.

S’appuyant sur les données chiffrées issues d’un diagnostic détaillé de l’état des lieux et un listing exhaustif des besoins, Radi a affirmé que son département établit un plan d’action pour une « réforme globale à court, moyen et long termes ». Elle sera basée, promet le ministre, aussi bien sur des investissements rationalisés que sur la mobilisation des moyens existants pour améliorer les services rendus par les juridictions et les conditions de travail des effectifs du ministère.

Estimant qu’il est « inacceptable de recourir à la location pour réserver des sièges aux tribunaux, qui se retrouvent, parfois, dans une situation détériorée », le ministre de la justice a avancé que le projet de réforme porte essentiellement sur la création de quatre Cours d’appel et de 16 tribunaux de première instance, pour un coût de 800 millions DH. Pour ce faire, des crédits de 250 millions DH ont été mobilisés pour la construction de plusieurs juridictions. C’est donc du concret !

3.322 magistrats traitent 3 millions d’affaires par an !
Le renforcement des effectifs de la justice et notamment les magistrats et les fonctionnaires du greffe est la pierre angulaire du plan d’action annoncé. Ainsi, et pour se mettre au diapason des normes internationales, le secteur a besoin de recruter, pour les cinq ans à venir, 2.600 juges pour pallier le déficit actuel. Déficit qui fait que le ministère dispose de seulement 3.322 magistrats pour traiter une moyenne de 3 millions d’affaires par an. Résultat : des délais de traitement et d’exécution inadmissibles comparativement à la norme internationale. D’où cet objectif d’une extrême urgence : réduire les délais et du traitement et de l’exécution.

Du coté du département de la justice, on indique qu’une affaire est traitée pendant un an en moyenne par une seule juridiction. L’espoir est de réduire ce délai de moitié. Dans cette perspective, le personnel du greffe qui est actuellement de 12.000 sera renforcé, dans les cinq ans à venir, d’un contingent de 4.000 cadres y compris les techniciens, les chargés de programmation et de la maintenance pour renforcer le personnel du greffe.

Ce dernier reçoit les faveurs du nouvel exécutif. « Incontestablement, le personnel du greffe constitue la colonne vertébrale des tribunaux et l’un des piliers essentiels de la justice », a noté A. Radi, affirmant la volonté du gouvernement de barrer la route aux intermédiaires qui n’ont pas lieu d’être. Et c’est l’un des mots d’ordre de la réforme annoncée et dont l’une de ses mesures clé consiste à mettre en place une autorité publique relevant directement du département de la justice et qui sera chargée de la mise en exécution des jugements. Il s’agit en fait d’un projet formulé en collaboration avec le département de l’Intérieur et qui a fait, auparavant, l’objet d’une circulaire commune émanant des deux départements. Le document ne demande qu’à être actualisé.

Le ministre a, d’autre part, souligné que l’approche judiciaire et procédurale nécessite l’actualisation des textes, l’accélération de la cadence de législation et l’amélioration de l’action judiciaire à travers, entre autres, l’augmentation du nombre des fonctionnaires et des agents, la préservation de leur dignité, leur motivation, le renforcement des mécanismes d’exécution des jugements et la promotion de la formation.

Dans le volet de l’encadrement et du suivi de l’entreprise de réforme, le ministre a mis l’accent sur le rôle que peut jouer l’Institut supérieur de la magistrature. Il a insisté sur la mise au point de critères et normes en matière de désignation de responsables compétents, à travers le même Institut, en plus de la mise sur pied d’une structure de greffier qualifiée et efficace.

Autres points inscrits dans ce programme de réforme, la révision de la carte judiciaire sur des bases nouvelles à même de répondre aux besoins grandissant des justiciables et l’amélioration des conditions de travail du personnel du département. Ce qui nécessite l’acquisition de quelque 9.000 ordinateurs pour 180 millions DH d’investissement, l’acquisition du matériel de bureau pour un million de dirhams, la généralisation des portiques et scanners pour un coût global de 30 millions de dirhams et la mise en place, pour un coût de 10 millions de dirhams, d’un nouveau système d’accueil et d’orientation recourant aux nouvelles technologies avec la mise en place d’une base de données informatisée.

La formation et la formation continue des magistrats ne sont pas en reste. Le ministère prévoit un rythme plus soutenu des sessions de formation qui passeront, dans une durée de cinq ans, à 150 sessions annuelles à raison de deux cycles par magistrats au lieu de 36 actuellement.

Les prisons : un constat affligeant
Concernant l’état des lieux dans les établissements pénitentiaires, le ministre de la justice n’a pas manqué de formuler des constats amers dont celui concernant la surpopulation. « Le problème s’aggrave de plus en plus. Le nombre des détenus augmente continuellement. Il atteint parfois des chiffres record avoisinant les 60 mille détenus au niveau national. La superficie moyenne pour chaque prisonnier ne dépasse pas 1,5 m2 alors que la norme internationale établit cet espace à 9 m2 », a révélé A. Radi. Pour faire face à cette situation, le département de la justice devra absolument faire augmenter son budget d’investissement pour construire 20 nouveaux établissements pénitentiaires. Ce qui nécessite une enveloppe de pas de deux milliards 200 millions de dirhams. Cet effort permettra d’atteindre 3,5 m2 par détenu.

« Le budget de fonctionnement de la direction des prisons et de la réinsertion n’a pas connu de réévaluation depuis sept ans », regrette le ministre en présentant un examen du budget actuel ventilé selon les besoins des détenus. Ainsi, le budget consacré à l’alimentation ne dépasse pas 5 Dh pour chaque détenu. Et pour faire relever cette maigre allocation à 10 DH, il faudra que le budget alloué soit multiplié par deux pour atteindre un peu plus de 200 millions de dirhams.

Autre chiffre affligeant, le budget alloué à la propreté et à l’assainissement. Celui-ci est de l’ordre de 3 millions 652 mille DH. Soit 0,2 DH par détenu ! Ou encore la part réservée aux médicaments qui ne dépasse guère 0,53 DH par détenu !

Tous ces constats en disent long sur les efforts à fournir pour rendre plus humains les établissements pénitentiaires et leur permettre de s’acquitter de leurs missions conformément aux conventions internationales relatives aux droits de l’homme. Dans ce sens, l’étape préliminaire qui consiste à prendre acte des insuffisances et déficits criards semble être franchie, et ce avec l’aide précieuse des acteurs de la société civile qui réclament le droit de contrôle permanent des centres de détention. On attendra alors avec impatience de voir quel cheminement prendra la réforme annoncée et qui est tant attendue. En tout cas, c’est indéniable, c’est en mettant à niveau sa justice, que le Maroc pourra donner le sens qu’il faut à l’acte de gouverner et donc à la démocratie.

Mesures disciplinaires prises en 2007
L’inspection générale relevant de la Cour suprême de la justice a reçu au cours de cette année 420 plaintes et dénonciations dont 387 cas concernent les magistrats. Les enquêtes diligentées ont donné lieu à quelque 32 rapports. Ainsi, 14 magistrats ont été différés devant la Cour suprême. 80 plaintes ont été classées alors que 70 ont été transférées aux directions concernées.

De son côté, la direction civile du ministère de la justice a pris acte des mesures disciplinaires prises contre des avocats dont 7 avertissements, 6 blâmes, 41 suspensions, 11 radiations, 46 condamnations, 22 poursuites d’ordre disciplinaire et 6 d’ordre répressif.

Hassan Laghcha
Source: Le Reporter

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