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Scandale Servaty : Interview de Fatiha Saïdi, députée bruxelloise

Scandale à Agadir. Un pervers sexuel a défrayé la chronique en Belgique et au Maroc avec une sordide affaire de photos pornographiques prises à l’insu de jeunes femmes marocaines. Philippe Servaty a réussi à provoquer un cataclysme en diffusant ces clichés sur internet. Très vite, les évènements s’emballent. Des divX sont vendus au Maroc avec les photos, les médias s’emparent de l’affaire, Philippe Servaty est poussé à la démission par son journal qui est scandalisé par ses actes, les femmes impliquées sont identifiées par les enquêteurs marocains, elles sont emprisonnées, et jugées coupables. Après quelques atermoiements, une enquête judiciaire est enfin ouverte contre le belge Servaty par la justice de son pays. Vous l’aurez compris cette affaire est un véritable coup de tonnerre au Maroc comme en Belgique mais surtout au sein des familles des victimes.
Fatiha Saïdi, une belgo marocaine députée régionale bruxelloise (PS), déjà très engagée dans la lutte contre toutes les formes de discriminations en Belgique, s’empare de se dossier qui touche la dignité de familles marocaines. Elle a entrepris un voyage au Maroc et suit le dossier avec un avocat sur place et le tissu associatif qui commence à s’organiser.
Avec Fatiha Saïdi, voyage au cœur d’une sordide affaire.

- Yabiladi : Quelle a été votre première réaction en tant que femme et en tant que belgo marocaine, lorsque l’affaire des photos pornographiques a été révélées dans les médias ainsi que l’identité de Philippe Servaty,?
- Fatiha Saïdi :
Dans un premier temps, je ne pouvais croire l’information qui me revenait par la presse (d’abord sur Internet). Ca me semblait trop gros. Une histoire qui touche près de 80 femmes abusées dans leur confiance, visiblement toujours selon le même modus operandi, par un seul homme, c’était vraiment caricatural et j’ai pris l’information avec énormément de réserves. Par la suite, j’ai eu des contacts avec quelques unes de mes amies militantes qui m’ont parlé de la situation mais aussi de leur grande difficulté à se mobiliser sur cette question vu la chape culturelle et sociale. J’ai été mise en contact avec l’avocat de quelques filles et avec un syndicaliste d’Agadir qui soutenait les familles des femmes incarcérées. Devant le désarroi qu’ils m’exprimaient au téléphone, j’ai décidé d’y aller et de discuter, directement et sans relais avec les personnes concernées.

- Selon vous la communauté belgo marocaine, a-t-elle ressenti une indignation, de la haine ou bien de la honte face à cette sordide affaire?
- Elle a d’abord été sous le choc face à l’ampleur de la «catastrophe». Ensuite c’est surtout l’indignation qui a prévalu. J’ai tout de même constaté que nombre de personnes ont favorablement réagi à cet événement en évitant de porter un jugement moral et en essayant de comprendre ce qui pouvait mener des femmes à aller à un tel point d’avilissement de leur personne et de leur image.

- Vous avez entrepris un voyage à Agadir avec un avocat pour en savoir plus sur cette affaire. Quels sont les éléments nouveaux qui sont en votre possession ?
- Les éléments nouveaux ce sont toutes les informations que Maître Redwan METTIOUI et moi-même avons recueillies pour instruire 4 plaintes qu’il a déposées mardi au nom des familles des femmes incarcérées.

- Avez-vous rencontrez les femmes victimes de Servaty ou même leur famille ?
- Nous n’avons malheureusement pas pu rencontrer les femmes incarcérées car notre visite s’est faite durant le week-end. Mais par contre, nous avons rencontré les familles (pères, mères, frères, sœurs) de 4 femmes emprisonnées.

- Quelle est leur situation aujourd’hui ? Et comment vive les familles, tâchées par ces photos qui ont fait le tour du Maroc pour ne pas dire plus ?
- Les familles sont dans une situation douloureuse. Pour la plupart d’entre elles, ce sont des familles modestes, qui doivent assumer de très lourdes charges financières de par l’emprisonnement de leur fille (frais de justice, frais de visite à la prison, déplacement, perte d’un salaire…).
Par ailleurs, il y a le verdict populaire qui est tous les jours pour elles, un véritable calvaire. Les familles nous ont expliqué qu’elles sont la risée, la honte du quartier. Des frères ont quitté leur maison, une femme qui figurait sur le cd-rom a disparu dans la circulation, laissant ses deux enfants à sa mère qui est aujourd’hui vouée, avec eux, à la mendicité.
C’est un véritable drame humain et un séisme dans ces familles qui ont volé en éclats. Mais heureusement, un élan de collectivité, initié par Abderrahmane El Yazidi, un syndicaliste d’Agadir leur a redonné fierté et force d’un combat collectif.
Le dépôt d’une plainte en Belgique les renforce également beaucoup car leur véritable demande était que justice leur soit rendue. Si aucun d’entre eux/elles ne remettait en question la peine de prison de leur parente, tous étaient unanimes quant à l’injustice flagrante de ne pas voir l’auteur présumé des faits poursuivis pour ses actes.

- Selon vous, la société marocaine voit-elle dans ses filles des victimes ou des coupables ?
- D’abord des coupables assurément mais l’opinion publique, grâce au travail réalisé par quelques médias est en voie de changement. Pour ma part, il ne s’agit pas d’un jugement à avoir mais d’une position de principe face à des faits (tourisme sexuel et ses causes, pauvreté, information et sensibilisation des femmes…) qu’il faut oser prendre à bras-le-corps.

- Le droit marocain est assez sévère avec les relations hors mariage et actes pornographiques. Pensez-vous que ces filles doivent être acquittées et que la loi marocaine sur ce point, doit être modifiée ?
- D’après ce que m’ont expliqué les hommes de loi marocains, aucun acquittement n’est possible, au regard de la législation qui a été appliquée (code pénal et code de la presse). Sur la question de la réforme de la loi, il ne m’appartient pas, en tant que députée belge, de vouloir la réformer. Mais néanmoins, je sais que de nombreuses réformes judiciaires sont en voie de discussion, aujourd’hui. Les lois sont faites pour être appliquées et aussi modifiées lorsqu’elles ne correspondent plus aux réalités sociétales. Alors si l’opinion publique et la société civile marocaines estiment que c’est le cas, la balle est dans leur camp. Elles peuvent compter sur le soutien de tous les progressistes à l’étranger pour les soutenir. Cette solidarité s’est toujours exprimée et ne sera pas une première.

- Comment expliquez-vous la différence dans la rapidité de traitement entre l’incarcération des 12 filles à la prison d’Innezgane, et la lenteur au niveau de la justice belge pour Philippe Servaty ?
- Les cas de figure ne sont absolument pas les mêmes et le droit n’est pas aussi simple. Pour la Belgique, aucune démarche ne pouvait être entreprise à l’égard de l’auteur présumé des faits puisque les actes ont été commis à l’étranger. Seule une plainte formulée à son encontre pouvait faire embrayer la justice belge.

- Les journaux belges avec notamment La Dernière Heure et le Soir (journal auquel appartenait P. Servaty) ont réagit avec force contre ce journaliste-pornographe. Que vous inspire cette solidarité de la presse belge pour la dignité humaine, notamment celle des marocaines et marocains ?
- J’ai éprouvé beaucoup d’admiration pour notre presse qui est réellement libre et qui n’a pas adopté un repli frileux ou une solidarité négative de corporation. Le Journal «Le Soir» a envoyé Bénédicte Vaes, une de ses journalistes, pendant près d’une semaine sur place pour faire un reportage sur les femmes et surtout sur la situation de leurs familles.
Par ailleurs, je ne manquerai pas de souligner le courage incommensurable, vu les tabous et les préjugés liés à cette question, de certains média marocains, qui ont été les premiers à en faire état (Tel Quel) ou qui ont signé des articles, en posant la problématique dans une dimension plus large et plus sociétale (ex : L’Economiste du 24 juin). Ce sont de tels actes courageux portés par des acteurs qui rament parfois à contre-courant qui sont les véritables moteurs du changement. Ils méritent tout notre soutien…


- Pensez-vous que les autorités marocaines ont été assez rapides et convaincantes dans la transmission du dossier aux autorités belges, ou bien laissent-elles faire de peur d’alimenter le scandale qui est négatif pour l’image du tourisme marocain ?
- Je ne peux répondre de manière objective et honnête à cette question car, comme je n’ai rencontré aucun acteur du monde politique ou judiciaire marocain, tout ce que je vous dirais relèverait plus du procès d’intention que d’une information. Ceci étant dit, des contacts ont tout de même été pris entre les autorités judiciaires belges et marocaines, quelques jours après la médiatisation de cette affaire. On peut y voir un signe de ne pas vouloir enterrer ou étouffer les faits.

- Quelle est votre appréciation de l’image de votre pays d’origine qui devient de plus en plus salie par les différentes affaires de pornographies voire même de pédophilies ?
- L’image du Maroc, n’est nullement atteinte, à mes yeux. Ces faits sont des faits de société et tous les pays les connaissent, chacun à un degré différent. Prétendre que le Maroc, pour une raison ou une autre, est à l’abri des phénomènes tels que la prostitution, l’inceste, la pédophilie, le tourisme sexuel, l’homosexualité… est non seulement irréaliste mais dangereux. Les débats doivent s’ouvrir sur toutes les facettes de la vie, même celles que l’on n’a pas nécessairement envie d’appréhender car ces problématiques existent bel et bien. Tant la politique de la chaise vide que celle de l’autruche sont des politiques stériles et contre-productives à moyen terme. Alors il faut sortir la tête du sable, s’asseoir autour d’une table et débattre en toute sérénité pour tenter de trouver des solutions. Je ne m’érige ici ni en donneuse de leçon ni en moraliste mais comme l’avenir du Maroc m’intéresse au plus haut point -car il est comme vous le dites très bien mon pays d’origine-, je ne manque jamais de m’investir dans ces débats avec les milieux associatifs et acteurs du terrain amis qui partagent avec moi un idéal démocratique et pleinement citoyen.

- En tant que femme politique, ne pensez-vous pas que cette affaire finalement fait le jeu des conservateurs religieux au Maroc qui trouvent ainsi un exemple « parfait » (passez moi le terme) de la décadence des mœurs dans le pays ?
- Je crains effectivement un retour de manivelle en terme d’acquis de l’égalité. Cette «affaire» tombe après environ 1 an et demi après la réforme de la moudouwana et confirmera les propos de certains qui disaient que les femmes marocaines ne sont pas encore prêtes pour ce type de législation. Il ne faut surtout pas se laisser emporter par ces flots.


Historique de l'affaire sur Yabiladi :
02/07/2005 - Scandale porno d'Agadir : Les confessions de Servaty
27/06/2005 - Scandale pornographique d’Agadir : La coopération judiciaire s’active
24/06/2005 - L'affaire d'Agadir rebondit en Belgique
18/06/2005 - Le parquet de Bruxelles se charge de l'affaire Servaty
06/06/2005 - Agadir : La piste Servaty se précise dans l'affaire des photos pornographiques

Mohamed - Yabiladi.com

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