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Ahmed Sanoussi, dit Bziz : L'humour à la marocaine

C’était il y a près de trente ans. Le public découvrait un jeune comédien hirsute aux allures de hippie qui se moquait sans vergogne des puissants et des nantis. L’impertinent se faisait appeler « Bziz », ce qui signifie à la fois « garnement » et « grillon ». Autrement dit : celui qui agace mais finit toujours par faire rire. Un nom de scène, sur mesure pour le jeune Ahmed Sanoussi, qui, de chanson satirique en pastiche social, allait vite devenir l’humoriste préféré des Marocains. Et l’enfant terrible du royaume.

« J’appartiens à une génération sacrifiée, raconte-t-il. Dans les années 1970, nous étions tout à la fois confrontés aux terribles difficultés de la vie quotidienne et à une impitoyable répression policière. Les autorités avaient tendance à traiter la jeunesse en ennemie. » Il vit dans un faubourg pauvre de Casablanca, fréquente le conservatoire de théâtre municipal, puis travaille avec diverses troupes amateurs. Très vite, il choisit la satire, l’humour décapant. Un adage marocain ne dit-il pas : « quand les malheurs s’accumulent, on finit par en rire » ?

À la fin de la décennie, il fait la connaissance du comédien Houssine Biniaz, qui deviendra « Baz », onomatopée que l’on pourrait traduire par « quel culot ! » Près de dix ans durant, le duo « Bziz ou Baz » va sillonner le royaume. À chacun de ses spectacles, il déchaîne les passions. Avec une fraîcheur et une décontraction déconcertantes, les compères tournent tout en dérision. Jusqu’aux thèmes les plus graves : l’injustice, la désinformation, la corruption… En 1988, le duo finit par se séparer. Bziz poursuit seul son chemin.

Les titres de ses sketches sont tout un programme : « Les noces du chacal », « Visa, mon humour », « Le show des infos », sans oublier le célèbre « Les bourchoix », jeu de mots franco-marocain entre « bourgeois » et « bou rachoua » (corrompu)... Bien entendu, les taquineries du « garnement » ne sont pas du goût de tout le monde. Pressions et tentatives d’intimidation se multiplient. « En 1982, se souvient-il, j’ai été arrêté : on voulait m’empêcher de publier mon hebdomadaire satirique, Al Houdhoud [« La Huppe »]. Pendant la guerre du Golfe, j’ai été littéralement harcelé par les autorités. En 1996, j’ai été agressé à Rabat lors d’un sit-in organisé par les étudiants. J’en ai encore des séquelles... »

Aujourd’hui, à 48 ans, Ahmed « Bziz » Sanoussi n’en a toujours pas fini avec la censure. En dépit de sa popularité, sa dernière apparition à la télévision remonte à... 1986 ! « Après la mort de Hassan II, le nouveau régime s’est engagé à réhabiliter les victimes des années de plomb. Il s’est livré à un exorcisme en règle pour chasser les vieux démons, mais mon cas a été occulté », regrette-t-il. En janvier 2005, en désespoir de cause, il menace d’entamer une grève de la faim illimitée. Nabil Benabdellah, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, rencontre les membres de son comité de soutien, parmi lesquels beaucoup de militants des droits de l’homme, d’artistes et d’intellectuels. Il les informe que le comédien est désormais le bienvenu à la télévision comme dans les salles de spectacles. Les responsables des deux chaînes nationales jurent avoir invité Bziz à plusieurs reprises, sans obtenir de réponse. Ce que celui-ci conteste formellement.

Malgré vingt années de « silence radiotélévisé », Bziz n’a jamais rompu le lien avec son public. Et s’il ne se produit que rarement au Maroc - souvent à l’invitation d’associations étudiantes ou de syndicats -, son humour ravageur continue d’égayer ses concitoyens, par la grâce du marché parallèle et du système D. « La presse me qualifie d’“artiste le plus censuré”. J’ajoute que je suis aussi le plus piraté ! » lance-t-il dans un éclat de rire.

Paradoxe, c’est à l’étranger qu’il se produit le plus fréquemment. En Amérique du Nord, en Europe, dans certains pays arabes : partout où existent d’importantes communautés marocaines. Le 24 juin, il était à Paris, où il a présenté son spectacle Maroc Bezzaf (« Maroc, c’est trop ! »). Le 1er juillet, il sera à Bruxelles, avant de gagner les Pays-Bas et l’Espagne. Son rêve ? Que sa prochaine tournée internationale ait lieu... dans son propre pays.

YASRINE MOUAATARIF
Source : Jeune Afrique

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