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Maroc : Ladies club ou café non-mixte ?

Depuis quelques jours, l’ouverture d’espaces féminins proposant un service de café à Tétouan fait débat. Certains y voient un espace commercial excluant les hommes alors que d’autres considèrent qu’il s’agit de clubs féminins œuvrant à renforcer les capacités des femmes.

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Vue sur la ville de Tétouan depuis une terrasse de café / DR.
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En janvier 2020, un «Ladies club» ouvrira ses portes à Tétouan, proposant des espaces de détente, d’échange, d’activités artistiques, mais aussi de restauration pour femmes. Voulu comme un concept qui n’est pas uniquement destiné à être un café, ce sera «le lieu de rencontre de toutes les femmes désireuses de se retrouver entre elles pour assister à une table-ronde à thématique scientifique ou littéraire, dessiner, apprendre le jeu d’échecs, regarder un match de football tout en sirotant un café entre amies», nous explique Madiha Benyahia qui a conçu la structure.

Pour elle, ce concept part de l’idée que «nombre de jeunes femmes mariées à Tétouan ne peuvent pas sortir pour un café, un déjeuner ou un dîner entre copines, car beaucoup de maris s’y opposent, ne voulant pas que leur présence dans les espaces extérieurs soit perçue d’un mauvais regard par leurs amis». «Nous sommes en 2020, ces femmes-là sont instruites, autonomes, actives et elles auront beau se rencontrer dans les maisons, on ne peut pas leur interdire de sortir prendre l’air, comme les hommes se le permettent», nous explique l’entrepreneuse de 29 ans.

«Un espace de détente auquel se greffe le café»

Tenant déjà un centre de beauté, Madiha Benyahia a ainsi eu l’idée de développer une chaîne qui inclurait plusieurs espaces, notamment un concept de ladies club culturel, mais pas que. «Au lieu de mettre en place un espace qui serait perçu comme exclusif pour certains, considérant que les cafés sont des lieux mixtes, j’ai pensé à créer un concept où les femmes ne sont pas obligées de consommer», souligne-t-elle.

«Plus qu’un café, c’est un ladies club où toutes les femmes de tous les âges peuvent se retrouver, qu’elles viennent avec des enfants ou non, qu’elles soient voilées ou portent une jupe, qu’elles soient étudiantes, au chômage, salariées, sportives ou artistes peintres. Tous les talents féminins ont leur place et aucune n’est jugée pour ce qu’elle est.»

Madiha Benhyahia

Pour la tenante du projet, ce dernier «ne s’inscrit pas dans une misogynie inversée mais promeut une forme de mixité sociale, dans la mesure où femmes instruites ou non, de classe moyenne ou défavorisées, brisent les barrières existantes déjà entre elles». «Cela s’applique également au personnel et dont les travailleuses sont justement étudiantes, mères au foyer, femmes divorcées, des mamans mariées ou non, y compris l’équipe de sécurité», précise Madiha Benyahia.

Et d’ajouter que «toutes les personnes qui ont mis sur pied le concept sont des femmes». «J’ai voulu faire un projet qui montre les compétences des Marocaines et leur capacité à faire preuve d’efficacité, de grand savoir-faire et de travail sérieux, tout en créant une dynamique de développement local à Tétouan», explique-t-elle.

Madiha Benyahia ambitionne aussi de créer des partenariats avec des associations actives au sein de la société civile, notamment pour la lutte contre le cancer. 

Une non-mixité qui fait débat

Un mois avant l’ouverture du ladies club initié par Madiha Benyahia, un café exclusivement féminin a vu le jour à Tétouan, voulu également comme un espace d’activités culturelles pour les femmes.

Sur les réseaux sociaux, l’annonce de cette ouverture a créé débat, certains utilisateurs y voyant «un café excluant les hommes». «Il est rare que les cafés affichent publiquement que l’accès serait interdit aux femmes, mais leur fréquentation masculine à plus de 90% est une exclusion de fait pour les femmes, car une fois que l’une d’elles s’y rendent, elles sont regardée par la majorité de manière très indiscrète, lorsqu’elles ne sont pas harcelées verbalement», explique Madiha Benyahia.

D’ailleurs, la question de la mixité et de la non-mixité fait toujours débat, y compris dans les milieux associatifs. Militante féministe, Souad Ettaoussi nous explique sa vision du sujet : «Si c’est le concept d’un espace culturel destiné à une cible spécifique, c’est un concept qui vise une clientèle définie. Mais si c’est un café, donc un espace commercial, je suis contre le fait qu’il soit ouvert à une clientèle et pas à une autre, qu’il se dit destiné aux hommes ou aux femmes.». «Nous défendons des espaces publics qui considèrent les femmes et les hommes des citoyens à part entière, sans différenciation aucune», ajoute-t-elle.

«Si l’on se met à faire des différentiations contre la mixité dans les espaces publics, on en viendra à relancer l’idée de transports en commun pour femmes et d’autres pour hommes, des écoles pour filles et d’autres pour les garçons… Cela ne limite pas les conflits basés sur le genre mais renforce le fait qu’on ne peut vivre en harmonie qu’en étant séparé.»

Souad Ettaoussi

Mais pour Madiha Benyahia, un ladies club «n’a pas vocation à inverser la misogynie mais à pousser les hommes à remettre en question leurs attitudes dans les espaces mixtes et à se poser des questions sur leur conception de l’espace public».