Menu

interview_2

Sanction des professeurs de médecine : «Ce sont les ministres de tutelle qui ont accentué la crise» [Interview]

Au lendemain de la notification écrite de mise à pieds de trois enseignants dans les Facultés de médecine et de pharmacie à Marrakech, Casablanca et Agadir, le ton est monté d’un cran entre corps professoral et étudiants d’un côté et ministères de tutelle de l’autre. Pr. Ahmed Belhous est l’un des enseignants visés par cette décision. Il en explique les dessous à Yabiladi.

Publié
Photo d'illustration / DR
Temps de lecture: 4'

Que pensez-vous de la récente mesure du ministre Amzazi à votre encontre ainsi que deux de vos collègues ?

Nous avons été surpris, car il s’agit pour nous d’une décision injustifiée, juridiquement et administrativement parlant. Le ministre de l’Education nous reproche d’avoir failli à nos obligations professionnelles, mais nous considérons que cette réaction inique est surtout une réponse à nos activités pédagogiques, scientifiques, syndicalistes et associatives. En ma qualité de membre du Conseil de la Faculté de médecine et de pharmacie de Casablanca ainsi que de l’Université Hassan II, il est de mon devoir de donner mon point de vue sur les décisions pédagogiques et tout ce qui est lié aux intérêts des étudiants me concerne.

Etant également responsable syndicaliste, je dois faire part des décisions des enseignants à l’issue des assemblée générales. L’assemblée des professeurs a précédemment décidé de ne pas participer au déroulement des examens du 10 juin, faute des conditions pédagogiques favorables pour leur tenue (ni les cours ni les travaux pratiques n’étaient terminés) et nous ne pouvions donc pas évaluer les étudiants sur des choses qu’ils n’ont pas apprises.

Malheureusement, le ministère a maintenu les dates comme pour mettre les étudiants face au fait accompli et nous n’acceptons pas cette situation au sein de la FMP à Casablanca.

Saïd Amzazi a donné des déclarations à la presse en vous accusant notamment d’inciter les étudiants à la désobéissance ou encore d’appartenir à des associations politiques comme Al Adl Wal Ihsane. Qu’en pensez-vous ?

Le ministre a échoué dans la gestion de ce dossier du début jusqu’à aujourd’hui et il tente de faire diversion en essayant de coller la responsabilité de son échec à une autre partie. Si l’ensemble de ces actions, qu’elles soient dans le secteur de la Santé et de la médecine ou de l’Education nationale (les enseignants contractuels), étaient l’œuvre de l’association que vous nommez, autant qu’elle prenne les rênes de la gestion publique.

Parmi les étudiants médecins et leurs professeurs, il y en a qui sont politisés et s’affilient à différents courants, mais d’autres ne le sont aucunement et tous prennent des décisions unifiées à l’issue d’assemblées générales et de votes publiques. Sinon si j’avais à moi seul ce superpouvoir de mobiliser 18 000 étudiants d’un coup dans tout le Maroc, depuis ma faculté à Casablanca, autant me confier le portefeuille du ministre de la Santé !

A l’origine, les étudiants médecins ont mis le doigt sur l’absence de CHU privés dont l’édification devait accompagner la mise en place des facultés de médecine payantes. Inclurez-vous parmi vos revendications la réalisation d’un audit pour définir les responsables et les raisons du retard de ce chantier ?

L’Etat soutient ouvertement l’investissement privé de la santé au détriment du service public. On ne peut pas trouver une solution à la crise si nos pouvoirs publics ne définissent pas clairement la nature des rapports entre ces deux secteurs et leur place l’un par rapport à l’autre. Les facultés de médecine payantes ont été mises en place et ont accueilli des étudiants sans aucun respect des obligations pédagogiques auxquels les établissements de formation et d’enseignement – publics ou privés – doivent se tenir.

Ces facultés ne sont munies ni de circuits de formation parallèle, ni de lieux de stages de spécialités et encore moins de compétences assez qualifiées en adéquation avec leurs fonctions. Ce sont les deux ministères de tutelle qui sont les auteurs de cette situation, alors que le service de la santé publique se détériore, à commencer par les lieux de formation.

Une médiation est-elle encore possible au vu de la situation ?

Nous avons tenté une médiation pour rapprocher les points de vue des deux parties et trouver des solutions favorables à tous. Autant nous avons eu une grande réactivité de la part des étudiants, autant nous n’avons trouvé aucun répondant de l’autre côté. Face à tous nos efforts et tentatives de bonne foi, dès que nous nous rapprochions d’une sortie de crise, un communiqué des ministères de l’Education nationale ou de la Santé hausse le ton et enlise la crise afin que les étudiants finissent par courber l’échine. C’est évidemment une chose que nous n’avons pas acceptée au sein des facultés concernées, d’où ma mise à pieds et celle de mes deux collègues, Saïd Amal à Marrakech et Ismaël Ramouz à Agadir.

Dans ce sens, les équipes parlementaires des différents partis représentés dans les deux Chambres tentent une médiation. Ces démarches seront-elles assez efficaces alors que le corps enseignant n’y est pas intégré ?

Il existe plusieurs médiations : celle des enseignants dans les FMP publiques du pays à travers leurs représentants syndicaux et les président des associations professionnelles et celle que vous évoquez. Pour notre part, toutes les médiations sont les bienvenues si elles peuvent donner lieu à une sortie de crise et sauver, chemin faisant, l’année universitaire et l’avenir des étudiants.

Pour le moment, aucune des tentatives opérées n’a porté ses fruits, en témoigne le maintien de la grève des examens par les étudiants. Pour qu’elle se solde par un succès, cette médiation doit bénéficier de garanties des deux parties, permettant aux étudiants de reprendre leurs cours tout en les rassurant sur l’avenir. Cela ne peut se faire si les deux ministres de tutelle ne fournissent pas un double effort, d’abord pour comprendre les préoccupations et les revendications des étudiants, puis s’engager à répondre à leurs demandes justes légitimes.

Non seulement ce n’est pas le cas actuellement, mais nous observons désormais des postures qui veulent pousser à la confrontation ouverte, tel qu’illustré par la mesure dont j’ai fait l’objet avec mes deux collègues. Nous n’avions pas besoin d’une crise de plus, cette fois-ci avec les enseignants. Il était pourtant possible de s’en passer pour se focaliser sur l’essentiel, à savoir le dossier revendicatif des étudiants médecins.

Jusqu’à ce que ces mesures punitives soient donc annulées, les enseignants suspendent leurs activités pédagogiques et administratives comme c'est le cas à Marrakech depuis hier. Pour renforcer la solidarité, un rassemblement est prévu demain à 17h devant le siège de l’Université Hassan II de Casablanca.