Menu

angle_2

Huelva Gate : Derrière la satisfaction de Yatim, les nombreux dysfonctionnements du programme

Après le satisfecit du ministre du travil, Mohamed Yatim, les problèmes et dysfonctionnements entourant l’affaire du Huelva Gate sont pointés du doigt par les associations. Ces dernières mettent en lumière notamment les critères de sélection de l’ANAPEC, qui seraient au cœur même de la problématique.  

Publié
Mohamed Yatim, ministre de l'Emploi et de l'insertion professionnelle. / DR
Temps de lecture: 3'

«Un bilan positif». C’est l’appréciation générale du ministre du Travail et de l’insertion professionnelle, Mohamed Yatim, concernant la campagne 2018 de cueillette des fraises dans la province de Huelva, à laquelle ont participé plus de 15 000 saisonnières marocaines.

Si le ministre a longtemps minimisé les agressions présumées que les saisonnières marocaines disent avoir subies dans les champs de fraises, il semble qu’une fois de plus, les critiques et dysfonctionnements relevés sont balayés d'un revers de main par les responsables.

En atteste cette année le taux record de fugues qui a été enregistré et le calvaire vécu par des dizaines de saisonnières, abondamment relayé par la presse nationale et internationale. En effet, cette année, quelque 2 500 Marocaines parties pour la cueillette des fraises, dans le cadre de l’accord de main d’oeuvre Aenaes Cartaya, signé entre le Maroc et l’Espagne en 2001, ont finalement déserté les champs.

Les critères de sélection au cœur de la problématique

Pourtant, le principal objectif de cet accord est de réguler et de mettre en place une émigration qui puisse «aider les pays tiers à mieux gérer leurs flux migratoires». Par conséquent, une clause impose aux saisonnières leur «retour volontaire», après la finalisation de la saison de cueillette.

Avec l’entrée en vigueur de ce projet, les fugues des saisonnières ont drastiquement baissé de plus de 90% la première année. Cela a été rendu possible grâce à l’ANAPEC, comme l’expliquait en 2008 Kamal Hadif, à l’époque directeur général de l’agence :

«Pour le travail saisonnier, nous avions déjà sélectionné des femmes et des hommes. Une fois en Espagne, la majorité s’évapore dans la nature. Nous avons donc revu les critères de sélection et cela a généré un taux de retour de 95% pour l’année dernière.»

Ces critères sont les suivants : être une femme, jouir d’une bonne santé, avoir entre 18 et 40 ans, résider dans le monde rural, avoir déjà travaillé dans l’agriculture, être mariée, divorcée ou veuve, et avoir des enfants de moins de 14 ans. Par décision unilatérale, l’ANAPEC s’en expliquait ainsi en 2010 :

«Les enfants devaient avoir un âge inférieur à 14 ans parce qu’au Maroc, l’âge légal de travail c’est quinze ans. On a introduit ce critère pour des raisons techniques. C’est l’ANAPEC [qui a pris cette décision], personne ne nous a obligés. Les Espagnols n’ont jamais demandé des femmes avec des enfants… Des femmes oui, mais pas avec des enfants... Parce qu’ils ne peuvent pas. D’abord, c’est une opportunité pour la famille parce que ça implique une forte redistribution. De plus, le critère d’attache améliore le taux de retour et notre devoir en tant que service public, c’est d’améliorer le retour. On sait qu’il y a des quotas fixés dans ce genre de programme, donc on doit maximiser le taux de retour pour pouvoir trouver plus d’opportunités pour la prochaine fois.»

2018 : année de rupture

Cependant, ces critères sont contestés par de nombreuses ONGs et associations espagnoles, qui soulignent l’exclusion et la stigmatisation des mères célibataires, entres autres. Au fil des années, ces critères deviendront des exigences, donnant par la suite la priorité aux mères de familles, car comme l’affirmait un responsable espagnol : «Il semble que quand tu as deux enfants, tu rentres !» Partant de ces critères qui imposent une «pression sociale» et une certaine «vulnérabilité» chez les saisonnières, les fugues ne pouvaient que baisser. Le taux de fugue a dès lors stagné autour de 10% les années suivantes. 

Cependant, 2018 constitue une année de rupture avec un taux de non retour remontant à environ 17%. Raison invoquée par les ONGs : la dététrioriation des conditions d'accueil et de travail. En effet, le manque de formation, la méconnaissance de leurs droits fondamentaux couplée à la barrière de la langue, ces femmes sont confinées à l’isolement et propices à être sous l’emprise de leurs employeurs.  

Cette année a également été un tournant avec la plainte déposée par 10 saisonnières marocaines à Huelva. Elles accusent leur employeur d'abus et agressions sexuelles. Elles se trouveraient actuellement dans une situation «très difficile», pusique «sans aucune ressource, elles sont prises au piège en Espagne». Elles ne peuvent retourner chez elles que «la tête haute», c’est-à-dire en prouvant que toutes «leurs souffrances sont vraies et qu’elles n’ont jamais été, ni voulu être, des prostituées», avait dénoncé l'AUSAJ dans un communiqué.