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France-Maroc : L’accord administratif pour le renvoi de mineurs isolés suit son cours

Cet été, la France a fait appel à des agents marocains pour l’identification et l’éventuelle reconduction de plusieurs mineurs nationaux isolés à Paris. L’initiative, révélée par un compte-rendu ayant fuité de la Préfecture, crée un tollé du côté des ONG et des avocats, au moment où le projet prend forme.

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Des jeunes refusés par le Dispositif d'évaluation des mineurs isolés étrangers se retrouvent à la rue sans logement ni nourriture. Dans certains cas, riverains et militants leur assurent des déjeuners cinq jours par semaine. / Ph. Olivier Favier (RFI)
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Alors que des associations ont alerté, depuis juillet dernier, sur une coopération administrative entre Rabat et Paris prévoyant la reconduction de mineurs marocains isolés vers leur pays d’origine, les autorités des deux pays maintiennent leur projet. C’est ainsi qu’une longue enquête du site Mediapart est revenue récemment sur les dessous de cet accord décrié par les ONG autant que par des avocats. Tous mettent en garde contre les dérives d’usages susceptibles de découler des termes du document.

En effet, la France a accueilli, du 18 juin au 24 juillet dernier, six agents marocains, dont quatre policiers. Selon le Groupe d’information et de soutien des immigré.e.s (GISTI) qui a révélé les documents relatifs à cet accord, le travail des agents sur le terrain a été supervisé par leurs homologues français. Ils ont eu pour mission d’auditionner les mineurs marocains non accompagnés et de «recueillir des informations permettant de lancer des investigations en vue de leur identification et de leur retour au Maroc», selon le PV de la réunion tenue à cet effet le 11 juin dernier.

Un accord excluant justice et société civile

Rassemblant le préfet de police de Paris, Michel Delpuech et l’ambassadeur du Maroc en France, Chakib Benmoussa, cette rencontre a évoqué notamment les moyens possibles pour identifier les mineurs concernés, incluant téléphones portables et présence sur les réseaux sociaux. De son côté, Mediapart rappelle que le travail de cette équipe s’est concentré sur le 18e arrondissement de Paris, où se trouvent la majorité des cas identifiés jusque-là.

Interrogée par le média français, l’ambassade du Maroc à Paris confirme d’ailleurs que «des enquêtes administratives sont [déjà] déclenchées dans les villes d’origine», «en collaboration avec les services sociaux [marocains] compétents pour identifier les familles et les conditions d’accueil de l’enfant».

«Chez ces ados, la rumeur de l’arrivée de policiers marocains a fait l’effet d’une bombe début juillet, en ravivant la peur du Makhzen (l’appareil sécuritaire du royaume chérifien)», écrit la même source. «Personne ne les ayant rassurés en amont, ils ont tous déserté la Goutte-d’Or en quelques heures, avant d’y revenir». Dans de précédents entretiens accordés à Yabiladi, des association travaillant étroitement auprès des mineurs non accompagnés à Paris nous ont affirmé ne pas avoir été mis au courant de cette coopération administrative. C’est le cas de l’association Hors la rue, qui a travaillé notamment avec les mineurs marocains du 18e. 

Missionné par la Ville de Paris auprès de ces jeunes-là depuis décembre 2017, le Centre d’action sociale protestant (CASP), indique également à Mediapart ne pas avoir été informé de cette initiative, au moment où il «dispose d’éducateurs et d’infirmiers sur le terrain toute la journée, qu’[il] gère un abri de nuit dédié près de Bastille, et qu’[il] s’échine à réorienter ces mineurs vers les dispositifs de droit commun». A ce travail, la municipalité a alloué un budget de 700 000 euros. Mais à travers les termes de l’accord entre Rabat et Paris, le ministère français de l’Intérieur semble avoir tourné le dos à ces actions-là et à leurs auteurs.

Les acteurs concernés fustigent

Au regard d’acteurs de la société civile comme d’avocats spécialisés, les termes de cet accord sont inquiétants à plusieurs égards. D’abord et en cas de reconduction, rien ne garantit pour le moment aux concernés l’accès à une assistance juridique et à un droit de recours pour contester la mesure d’éloignement. De plus, la garantie de leur prise en charge dans les conditions adéquates, à leur retour au Maroc et conformément au principe de «l’intérêt supérieur de l’enfant», n’est pas pour autant avérée, comme le rappelle Mediapart.

Dans ce sens, le site évoque une étude de l’association Trajectoires, publiée en mai dernier, indiquant que même si ces enfants «ont une famille au sud de la Méditerranée», ce n’est pas souvent au sein de celle-ci qu’ils peuvent retrouver l’épanouissement qu’ils cherchent. «Contrairement aux impressions de départ, seuls 10% seraient des ‘enfants des rues’» selon l’étude. Le reste est constitué de 40% de cas issus de «familles rurales et néo-urbaines pauvres», 40% originaires «de familles présentant des problématiques de rejet de leur enfant lié à un remariage ou autres (violences intrafamiliales, etc.)» et 10% venant «de familles appartenant aux classes moyennes». C’est pourquoi, le CASP appelle les autorités françaises et marocaines à «interroger les raisons» du départ de ces mineurs. 

Contacté précédemment par Yabiladi, l’avocat Emmanuel Daoud a indiqué que l’opération supervisée par les ministères marocain et français de l’Intérieur «devient contraire à la loi», lorsque «sous couvert d’une évaluation administrative faite par des policiers marocains, en présence de policiers français, on interroge des enfants pour déterminer leur identité et leur souhait ou non de revenir au Maroc» sans la présence d’un représentant de l’institution judiciaire. Pour cette raison, Me Daoud considère que «la décision a été prise de façon délibérée de ne pas solliciter [les avocats et les magistrats], pour court-circuiter l’institution judiciaire, car cela ralentit soi-disant le processus de reconduction de ces mineurs».

Pendant ce temps, «la France, qui se doit d’agir ‘en conformité avec l’intérêt supérieur’ des mineurs isolés, devra démontrer que ce dernier peut se nicher dans un centre social de Rabat ou Casablanca plutôt qu’à l’Aide sociale à l’enfance (ASE)», indique Mediapart, rappelant au passage que le CASP «attend toujours de savoir si ses actions à la Goutte-d’or» pourront être pérennes jusqu’à la fin 2018.

En effet, la Ville de Paris en appelle à l’aide de l’Etat pour reconduire ces actions de terrain. Anne Hidalgo, maire de la capitale, a alerté d’ailleurs l’exécutif français, soulignant ses inquiétudes sur le devenir de ce dispositif après le mois de septembre, en l’absence de «solution de financement complémentaire».