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Réfugiés centrafricains au Maroc : Entre le marteau du chômage et l'enclume du racisme

La guerre civile fait rage en République centrafricaine depuis 2013, un conflit qui a poussé de nombreux habitants à fuir loin de cette tuerie. Certains réfugiés sont venus s’installer au Maroc pour y faire leur vie. Loin de la vie de rêve, ils essaient de survivre au jour le jour en attente de lendemains meilleurs. Reportage.

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Jesus (en haut), Ibrahim (à gauche) et Mariam accompagnée de son fils (en bas à droite). / Ph. Sarah Mokadader/ HCR
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Après avoir livré le parcours de trois Yéménites, cette fois dans notre série mensuelle consacrée à la thématique des réfugiés nous avons rencontré trois Centrafricains : Jesus, Ibrahim et Mariam. Trois personnes à fleur de peau qui ont accepté de nous relater avec pudeur leur parcours respectif fait d’embuches et de traumatismes. Au Maroc depuis quelques années, leur situation reste fragile. 

Jesus a 25 ans, à première vue rien ne laisse présager de l’histoire poignante qu’il a vécu. Doté d’une élégance et d’un talent sans pareil l’artiste dégage beaucoup de maturité pour son jeune âge. Le natif de Bangui est arrivé au Maroc pendant la période du Ramadan en 2015. En période de guerre, certains veulent sauver des objets marquants de leur vie, pour Jesus c’est ses études : «J’ai risqué ma vie pour récupérer mes diplômes dans ma maison qui brûlait en Centrafrique», se remémore-t-il.

Fuir la guerre pour se retrouver au Maroc

Il avait trouvé refuge au Bénin pendant trois ans, en même temps il recherchait sa famille dont il a été séparé pendant la guerre. Ses recherches restent vaines, il décide alors de venir au Maroc : «J’ai parcouru plusieurs pays avant d’arriver. J’ai traversé des choses que je n’ai jamais vécu, même pour manger c’était difficile», confie le natif de Bangui, avec une certaine émotion. Quatre mois ont été nécessaires pour arriver au royaume, à pied. Sa recherche de la paix et de la liberté l’ont mené à Rabat. Ses ambitions sont là, vivaces et simples : «Je veux gagner ma vie. Mon rêve ultime est de construire une maison pour les orphelins parce que j’en suis un.»

Ibrahim n’a pas fui la guerre, à la base, il est venu à Fès en 2013 pour continuer ses études en gestion des entreprises. La guerre éclate dans son pays d’origine, ses parents qui financent ses études se retrouvent ruinés. Il ne baisse pas les bras et continue ses études malgré son incapacité à payer les frais de scolarité. «L’année dernière, j’ai arrêté mes études parce que j’ai trouvé un emploi qui me permet de vivre. Puis, j’ai repris les cours dans une école à Rabat. Dorénavant, je finance mon ancienne école pour récupérer mon diplôme et mon nouvel établissement», raconte le Centrafricain de 22 ans. Malgré la difficulté d’allier travail et études, le jeune homme est doté d’une volonté à toute épreuve. «Le Maroc est un pays où j’ai toujours rêvé de vivre. J’aime la culture marocaine, le fait que ça soit un pays laïque et arabophone (sic)», confie l’étudiant en gestion des entreprises.

Mariam, pour sa part n’a pas choisi de venir au Maroc. La maman de six enfants a quitté la République centrafricaine suite au meurtre de son mari en décembre 2012. «Ma belle-famille voulait me tuer. J’ai pris mes enfants et je suis partie. La guerre n’avait pas encore éclaté comme maintenant. Pourtant, sur le chemin mes enfants ont été traumatisés par le spectacle de cadavres», se remémore la cinquantenaire. Avec sa famille, elle traverse plusieurs pays qu’elle énumère : Cameroun, Nigéria, Bénin, Burkina Faso, Mali, Algérie puis Oujda. «Le voyage a duré un mois à peu près», confie la mère de famille après s’être assurée de l’exactitude de sa réponse auprès de son fils. «Ce n’était pas notre destination, mais vu qu’on n’avait plus rien, on est restés». Arrivés à Oujda, la famille est interceptée et menée vers des Centrafricains, «il fallait payer. Du coup je leur ai donné tout ce que j’avais. Quelques jours plus tard, on nous a mis dans un train en direction de Rabat.»

Une intégration compliquée, un racisme omniprésent

Commencer une nouvelle vie dans un pays où l’on est étranger est loin d’être facile. Ça l’est encore moins pour les réfugiés qui témoignent de leur difficulté à se faire une place dans la société marocaine. Ibrahim déplore la barrière linguistique qui peut faire obstacle dans la vie quotidienne : «C’est ma première fois à l’étranger, il était difficile pour moi d’aller vers les Marocains et exprimer mes besoins», dit-il.  Depuis 2016, il s’adapte mieux au mode de vie dans le royaume.

Le plus ardu est de trouver du travail, Jesus en est très impacté. L’homme de 25 ans est un artiste, il joue de plusieurs instruments et chante mais il peine à joindre les deux bouts. «Tu peux avoir des diplômes, être en situation régulière mais malgré tout ce n’est pas facile de trouver du travail», confie le natif de Bangui. «Il m’arrive quelques fois de demander de l’argent aux gens». Selon lui, s’intégrer au Maroc, c’est très difficile, «surtout en tant qu’étranger noir et subsaharien».

Mariam vit dans une situation précaire, la plupart du temps, la cinquantenaire se contente de vivre des aides du Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Elle a travaillé un certain temps en faisant des cours de couture où elle gagnait 40 dirhams par semaine : «ça suffisait au moins pour le pain et la bouillie des enfants», confie la maman. «Mon fils fait de son mieux pour travailler au quotidien, il va tout le temps chercher du travail. Le pire c’est qu’on ne le paie pas puisqu’il n’a pas de titre de séjour. Pourtant, il travaille sur les chantiers, les routes. Il va tous les jours à Takkadoum (quartier à Rabat) pour voir si quelqu’un a besoin de ces services», s’exclame Mariam. Abattue, elle dit dans un souffle : «Ce n’est pas une vie».

En plus des conditions déplorables dans lesquels vivent ces réfugiés, ils souffrent d’un autre fléau : Le racisme. Jesus le vit très mal, il concède que le racisme est mondial «mais ici c’est trop». Selon lui, quelques fois dans la rue il peut être entrain de se promener et il se fait insulter. «Quelques fois quand je monte dans un taxi avec un Marocain. Ce dernier fait comme si j’ai de mauvaises odeurs», raconte-t-il, peiné. Les trois parcours relatés par ces Centrafricains montrent les difficultés que peuvent rencontrer les réfugiés dans un pays d’accueil. Mais ces derniers gardent deux choses en commun, un sourire rayonnant et une force indéniable face aux épreuves de la vie.