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Histoire : En 1980, les Etats-Unis redoutaient une attaque militaire du Maroc sur Tindouf

En juillet 1980, les Etats-Unis redoutaient que les forces militaires du Maroc ne poursuivent les milices du Polisario à l’intérieur du territoire algérien, en ciblant les bases du mouvement séparatiste à Tindouf. Selon des documents déclassifiés du département d'Etat, une guerre entre les deux pays faisait partie des scénarios possibles.

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Le roi Hassan II (1962 - 1999) et le président algérien Chadli Bendjedid (1979 - 1992)
Temps de lecture: 4'

Le début des années 1980 a été annonciateur d’une situation de plus en plus favorable au Maroc, sur le plan militaire, face au Front Polisario et son parrain algérien. Dans ce contexte, les Etats-Unis d’Amérique se sont inquiétés de la suite des évènements ; une guerre dévastatrice entre les deux pays figurait parmi les hypothèses. Le 30 juillet 1980, le Département d’Etat américain a envoyé un télégramme à son ambassade à Rabat, portant sur «la politique de poursuite marocaine au-delà des frontières internationales», selon un document déclassifié.

Ce dernier note que le Département d’Etat a fait part de ses préoccupations «face aux indicateurs actuels, selon lesquels l’augmentation de l’efficacité militaire du Maroc pourrait s’accompagner d’une tendance croissante à poursuivre les forces du Polisario, y compris à travers des violations temporaires des frontières internationales». La missive évoque notamment de «possibles» incursions dans l’espace aérien de l’Algérie et de la Mauritanie «par des avions des Forces armées royales marocaines».

«Nous avons récemment reçu une déclaration d’une source marocaine, selon laquelle les Forces armées royales sont désormais prêtes à s’en prendre au Front Polisario, quitte à forcer l’accès à l’espace aérien des pays voisins. La source a également indiqué que d’éventuelles attaques contre les bases du Polisario en Algérie et des combats aériens ne pouvaient être exclus, entre les avions du Maroc et de l’Algérie.»

Câble diplomatique du Département d’Etat américain

Le Département d'Etat a alors affirmé l’impossibilité pour lui «d’observer sereinement l’évolution claire de la doctrine tactique marocaine, qui constitue un nouveau danger majeur si le Maroc s’engage dans une confrontation militaire directe avec l’Algérie», présidée alors par Chadli Bendjedid (1979 - 1992). Dans le courrier, il est demandé à Angier Biddle Duke, ambassadeur US nommé à Rabat en 1979, de «faire part de ces préoccupations au roi Hassan II, dans les meilleurs délais, soit directement, soit à travers un intermédiaire approprié».

Washington a préconisé que l’échange avec le roi du Maroc se fasse à travers un message, dont les grandes lignes ont été données dans le câble diplomatique. L’ambassadeur a notamment été tenu de mentionner le soutien continu des Etats-Unis «pour parvenir à un consensus adéquat à toutes les parties concernées» par la question du Sahara, «en particulier le Maroc».

Un soutien à l’intégrité territoriale du Maroc

Il a été convenu que le diplomate souligne auprès du souverain «la compréhension par les Etats-Unis de la nécessité pour le Maroc de réaliser une performance militaire puissante contre le Polisario, ce qui est une préoccupation importante qui sous-tend les changements apportés à la politique [américaine] en matière d’armement, l’automne d’avant».

Le Département d’Etat américain a également souligné que la lettre devait exprimer «le soutien continu [des Etats-Unis] à l’intégrité territoriale du Maroc», tout en soulignant que Washington estimait que «cette unité ne serait pas renforcée par une quelconque expansion de la guerre, surtout si elle concerne l’Algérie». Par ailleurs, Angier Biddle Duke a été exhorté d’informer le roi Hassan II que les Etats-Unis ont fait savoir au Front Polisario «ce printemps, le dialogue ne sera pas poursuivie avec [le mouvement], tant que celui-ci opère sur le territoire marocain».

Aussi Washington s’est-elle dit préoccupée «par des informations récentes selon lesquelles, fin juin ou début juillet, des avions des Forces armées royales seraient entrés dans l’espace aérien algérien pour poursuivre les forces du Polisario» et qu’une incursion similaire «aurait eu lieu en Mauritanie également».

Dans leur message au roi, les Etats-Unis ont dit espérer que «cela ne signifie pas que désormais, les avions de chasse marocains et peut-être d’autres forces pourront continuer à pourchasser les forces du Polisario» retranchées dans le territoire algérien. Selon la même source, cette situation rendrait facilement envisageable «un scénario dans lequel cela pourrait rapidement conduire à une confrontation dangereuse entre les deux pays».

«Nous ne pensons pas qu’il soit nécessaire d’utiliser le principe de poursuites à chaud pour convaincre le Front Polisario ou les dirigeants algériens de l’importance du compromis comme condition préalable à un règlement négocié. Bien au contraire, l’extension de la guerre de cette façon pourrait affecter négativement la position du Maroc sur la scène internationale et vis-à-vis des Etats-Unis.»

Le mur des sables épargne une guerre dévastatrice à la région

Au début des années 1980, le Maroc a commencé à construire un mur de sable de plus de 2 720 kilomètres de long, s’étendant du nord du Sahara, près de la frontière avec l’Algérie, jusqu’à l’océan Atlantique au sud, en passant par la zone frontalière avec la Mauritanie. Ce projet a affaibli davantage le Polisario et sa capacité d'harcèlement des forces marocaines dans la zone sud.

En 1991, ces évolutions ont contraint le front séparatiste à signer un accord de cessez-le-feu avec le Maroc. Les Nations unies ont ensuite déployé une Mission de l’ONU pour l’organisation d’un référendum au Sahara occidental (MINURSO). Ce scrutin n’aura finalement pas lieu, après que l’instance internationale a reconnu l’impossibilité de sa tenue, en raison du différend entre le Maroc et le Front Polisario sur le recensement du collège électoral.

Sur le terrain, la situation est globalement restée ainsi, jusqu’au 13 novembre 2020. A cette date-là, une intervention militaire du Maroc a permis de libérer le passage d’El Guerguerate à proximité de la frontière mauritanienne, après que des individus venus des camps de Tindouf ont tenté d’obstruer la circulation. Le Front Polisario a annoncé la fin du cessez-le-feu avec le Maroc, ce qui décidé le royaume à prolonger le mur des sables jusqu'à la frontière mauritanienne.

Depuis, le Front prétend être en état de guerre, en visant les sites de l’armée marocaine derrière le mur. Mais avec l'utilisation des drones militaires par le Maroc, le Polisario a perdu la liberté de mouvement sur le territoire à l'est du mur des Sables, se retrouvant ainsi maintenu à distance au delà des frontières algériennes.

article_updated 18/04/2024 a las 13h22