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les trois premiers chapitres de mon roman
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29 mars 2004 10:56
Chapitre I : La terre de mes ancêtres

Je suis né, j’ai vécu et j’ai grandi dans un pays où il y a quatre saisons. Dans mon pays, l’automne voit les feuilles tomber des arbres et les soirées se rafraîchissent. L’hivers, il pleut dans les plaines et il neige dans la montagne. Le froid s’installe sans trop faire de dégâts. Lorsque le printemps arrive, les journées se réchauffent. Les orangers fleurissent et les parfums des fleurs de mon enfance emplissent les narines des passants : Jasmin et Mimosa distillent leurs encens. L’été, il fait chaud. Le soleil reste clément : Il dore la peau sans la brûler. C’est la période de l’année où les fruits sont sucrés et les femmes enjouées.

Les soirées d’été, la chaleur s’installe dans les maisons et l’air reste frais dehors. Les gens sortent marcher dans la rue, les hommes s’installent dans les cafés et jouent aux cartes. Les femmes se mettent dans les terrasses ou les patios des maisons et prennent l’air frais.

Dans mon pays, le pain a un goût de pain. La tomate, un goût de tomate et la pastèque fond dans la bouche en laissant un parfum sucré chatouiller les papilles gustatives.

Le peuple de ce pays est spontané et généreux. Du sud au nord, de la cote à l’intérieur, des montagnes aux plaines, les gens vous accueillent toujours avec un large sourire et un verre de thé.

Dans mon pays, les gens savent prendre le temps. On prend le temps de rendre visite à la famille. On prend le temps d’apprécier un bon repas. On prend le temps de jouer avec les enfants et on prend le temps de faire une partie de carte avec les grands-parents.

Lorsque les grands évènements arrivent, une fébrilité s’installe dans la population. A quelques semaines du mois sacré de Ramadan, les gens remplissent les marchés aux épices. Amandes, noix, farine et miel sont les denrées les plus recherchées. Les femmes prennent leur temps pour trouver le bon produit et négocient des heures durant, autant pour avoir la satisfaction de la négociation que pour obtenir un bon prix. Grands-mères, mères, tantes, sœurs et cousines bloquent les accès des cuisines. La maîtresse de maison règne sur un royaume fait de passoires, casseroles, et autres tamis. Il n’y a pas de mots pour décrire l’activité dans ce royaume strictement féminin.

Le pays était composé, dans la campagne du moins, d’une multitude de tribus. Tribus de nomades arabes ou tribus de paysans berbères. Ces petites communautés étaient disséminées un peu partout dans le pays et se réunissaient en certaines occasions bien spécifiques dans l’année.

J’ai encore dans les oreilles la voix cassée de mon grand-père qui me racontait les histoires de son époque. Il était, comme je le suis maintenant, nostalgique du temps de sa jeunesse où tout paraissait si simple. A chaque fois que quelqu’un dans la maison faisait une remarque sur un événement spécifique, il laissait échapper un léger grognement et lâchait une remarque par rapport à la différence entre ce qu’il appelait son époque, par opposition à la notre. Pour le taquiner, je lui disais ‘Qu’avait-elle de si intéressant votre génération, votre époque ?’

Le vieil homme n’était pas dupe. Je crois même qu’il se prêtait, avec un plaisir malin, à mon petit jeu de taquinerie. Il adorait raconter des histoires et aimait le son de sa propre voix. Pour ma part, j’étais une audience parfaite. Je buvais les mots qui sortaient de sa bouche et mon jeune esprit de l’époque me permettait de visualiser, avec une facilité qui me déconcerte aujourd’hui, les différents paysages et personnages qui peuplaient ses histoires.

La maison était dans notre famille depuis au mois cinq ou six générations. C’était une vielle demeure, toujours en bon état malgré son âge avancé, dans la vielle ville de Fès. La porte principale était une simple porte en bois encastrée dans un mur donnant sur une ruelle qui était souvent impraticable en hivers. Si la porte d’entrée ne payait pas de mine, beaucoup diraient qu’elle cachait un véritable joyaux. Pour accéder à la maison, il fallait traverser un petit potager dans lequel ma grand-mère faisait pousser des tomates, des oranges, du jasmin, des amandes et même de la menthe.

Après avoir traversé le potager, on arrivait dans la maison en soi qui n’avait, pour ainsi dire, pas de porte. Il y en avait bien une, mais je ne me rappelle pas l’avoir déjà vue fermée. En fait, cette entrée donnait sur un petit couloir qui ne dépassait pas les deux mètres de longueur. Ce vestibule donnait sur le patio de la maison au milieu duquel trônait une fontaine entourée d’arbres plusieurs fois centenaires. Autour de ce patio, il y avait des pièces de dimensions égales qui étaient un peu l’espace de vivre. L’une de ces pièces faisait office de grenier et se trouvait en dessous de la cuisine qui se trouvait à l’étage. Une particularité étrange de ces deux pièces, le grenier et la cuisine, était l’espèce de trou circulaire au milieu. En fait, en dessous du grenier, l’un de mes aïeux avait creusé un puis qui sert encore aujourd’hui à ma famille pour arroser le potager, laver le parterre et autres tâches domestiques dans ce genre. Mes cousins et moi serions en train de jouer dans le patio et nous entendrions ma grand-mère appeler l’un de nous. Le système était ingénieux pour l’époque : la personne dans la cuisine appelle quelqu’un à l’étage inférieur et lui demandera d’aller dans le grenier et mettre quelque chose dans le sceau : de l’huile, de la farine ou quelque chose dans le genre. Au plafond de la cuisine, juste au dessus du trou, il y avait une espèce de poulie qui permettait à l’aide d’une corde et d’un sceau de remonter de l’eau du puis ou des denrées de la cuisine.

Les autres pièces autour du patio, à l’exception de la salle des eaux et de la mosquée, étaient des espèces de salons où on écoutait la radio, où on mangeait ou qu’importe. Durant les mois chauds de l’été, la température dépassait aisément les 40 degrés. On dormait tous, soit dans le patio, soit dans ces grandes chambres où un courant d’air venait rafraîchir nos nuits. Les chambres du haut étaient celles qu’on utilisait le moins. Il y avait bien une salle de bains à l’étage qui était bien plus spacieuse que celle du bas, mais je dois dire que pour une raison qui m’est inconnue, elle était souvent boudée. Deux des pièces du haut étaient la chasse gardée du maître des lieux, mon grand-père. L’une d’elle contenait un vieux secrétaire et les murs de la pièce étaient tapissés de livres. Il y avait aussi une radio qui était constamment branchée sur la radio du caire. Les après-midi d’été, avant la prière du Maghreb, mon grand-père aimait se retirer dans cette pièce et y écoutait la diva égyptienne Oum Keltoum. La seconde pièce était adjacente à la première et était en fait la chambre à coucher de mon aïeul.

C’est avec une réelle nostalgie que je regarde aujourd’hui cette maison dans laquelle les moments de bonheur paraissaient interminables. C’était l’époque de l’innocence, de l’enfance où il nous suffisait d’un rien pour être heureux.
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29 mars 2004 10:57
Chapitre II : La Chambre Maudite

Il y avait une chambre à l’étage qui nous terrifiait. Nous étions bagarreurs, insolents et très agités comme enfants, mais il suffisait que mon grand-père mentionne cette chambre pour que nous calmions nos ardeurs immédiatement. L’un de mes cousins, que je détestais à l’époque, était le gardien de cette chambre. Il était le plus âgé d’entre nous et avait décroché, à la veille de cet été là, sa ‘chahada’ qui était en fait le Certificat d’Etudes Primaires. Mon grand-père lui avait donné pour mission de garder toujours prêt un stock de branches d’olivier. Mon cousin Ali allait donc tous les matins dans le potager pour couper quelques branches des oliviers de ma grand-mère. Il était très minutieux dans son travail. Il choisissait ses branches en fonction de leur longueur, mais aussi de leur souplesse. Il lui fallait trouver des branches qui étaient à la fois souples et robustes. Il fallait qu’elles durent aussi longtemps que possible.

Une fois par semaine, Ali, qui était avec mon grand-père le seul à avoir les clés de la chambre, entreposait son chargement dans la chambre et la nettoyait un peu. Lorsque l’un de nous faisait une bêtise, il ne fallait surtout pas que ça arrive aux oreilles du vieil homme. Dans sa jeunesse, il a été bûcheron à un moment et pour son âge il avait une musculature impressionnante.

Une fois, je m’étais fait prendre par Ali en train de voler de la confiture dans le grenier pendant l’heure de la sieste. Le petit galopin qu’il était a pris un malin plaisir à aller chuchoter dans l’oreille du Haj le vol, ô combien scandaleux, que je venais de commettre.

En sortant de la pièce, après m’être rassasié de confitures, je me retrouve nez à nez avec mon grand père qui a tout de suite reconnu le coupable que j’étais dans mes yeux. Sans s’énerver, très lentement, ses yeux sont passés sur mon visage, puis ma chemise et puis vers la gauche et de plus en plus haut pour se fixer sur la porte de la chambre maudite. Je savais ce que cela signifiait et je savais aussi qu’il était absolument inutile que j’essaie de m’enfuir. Un sentiment de résignation mélangé à une colère sourde m’a pris avec une telle force que j’en ai eu mal à la tête. Comment a-t-il su ?

Je me posais la question encore lorsque je suis arrivé et que j’ai trouvé Ali sur le pas de la porte de cette maudite chambre avec un stock tout frais de branches d’olivier. Et là, du haut de mes huit ans, j’ai compris. J’ai su qu’il était impossible à Ali d’aller cueillir toutes ces branches au cours des cinq dernières minutes. Cela ne pouvait signifier qu’une chose : c’est lui qui a prévenu mon grand-père. Tout à coup, mon mal de tête a disparu et mes idées sont devenues très claires… Je n’avais plus peur, ni de mon grand-père, ni de la punition qui allait me tomber dessus aussi sur que la nuit venait relever le jour. Par contre, j’avais en moi une rage, une colère, si forte que tout me paraissait futile. La haine que j’ai ressentie à ce moment précis pour mon cousin Ali était sans limite. Le bougre avait le culot de me faire un sourire hypocrite comme pour dire ‘je suis désolé pour ce qui t’arrive’.

Docilement, je suis rentré dans la pièce sombre, je me suis allongé par terre, j’ai enlevé mes chaussures et me suis en roulé la corde autour des chevilles. J’attendais tout en ruminant ma vengeance. Au bout de quelques minutes, une large silhouette se dessinait dans la pénombre. Mon grand-père se tenait sur le pas de la porte à contre jour. Avec le soleil derrière lui, je n’étais pas en mesure de distinguer ses traits. Tout ce que je voyais c’était la forme d’un homme grand et musclé qui avait de la peine à récupérer son souffle.

Au bout de quelques secondes, il est lentement entré dans la pièce et il a refermé la porte. A ma grande surprise, au lieu de venir vers moi, il m’a tourné le dos et a été farfouiller dans un coin de la chambre pour prendre un tabouret sur lequel il s’est assis… Il a commencé a bourrer lentement sa pipe – rien que d’en parler, j’ai encore l’odeur de ce tabac parfumé qui vient me chatouiller les narines. Lentement, il a tourné la tête vers le tas de branches que Ali avait préalablement déposé dans un coin et il en a pris une. De ses deux mains, il a commencé à la plier et a la tordre. Lentement d’abord, puis avec de plus en plus de vigueur. Au bout d’un moment il s’est arrêté pour faire son constat : C’est une belle branche !
- Est ce que tu as peur ? me demanda-t-il d’une voix qui m’a surprise tellement elle était douce et dénuée de reproche
- Franchement ? Pas vraiment.
- Ah bon ! Tu sais pourtant que tu vas être sévèrement puni. Pourquoi l’as tu fais ?
- C’était plus fort que moi.
- Est-ce que ça valait la peine de prendre le risque ?
- Oui.
- J’admire ton courage, cependant il te suffisait de demander. Normalement, le tarif pour ce type de bêtise est de….
- Trois branches… je sais.

Une branche, dans le jargon de la maison, voulait dire que mon grand-père devait battre l’insolent avec la branche jusqu’à ce que celle-ci casse. Ali se faisait un point d’honneur pour choisir des branches qui mettaient tellement de temps à casser que le bras de mon grand-père fatiguait à force de frapper.

Mon grand-père me regarde avec surprise et me dit ‘tu es courageux pour un garçon de ton âge, tu sais’
- …
- Exceptionnellement, je vais réviser la punition à deux branches au lieu de trois, à condition que tu ne dises rien à personne
- D’accord.
- Va me chercher la vieille peau de mouton là bas.

Je m’exécute

- Enroule-toi dedans.
- Pourquoi ?
- Fais ce que je te dis et n’aies pas peur.
- Je n’ai pas peur
- Très bien

Après m’être enroulé dans la vieille peau de mouton, mon grand-père à commencé à me frapper avec la branche. La douleur était presque inexistante grâce à cette peau protectrice. Au bout d’une demi-heure, la deuxième branche a fini par casser.

- Très bien. Maintenant je veux que tu me promesses trois choses.
- Oui ?
- Premièrement, ce qui s’est passé ici doit rester un secret entre toi et moi.
- D’accord.
- Deuxièmement, si tu veux une friandise, viens me la demander. Si tu es sage, je ne te refuserais rien.
- Promis.
- Troisièmement, tu feras semblant d’avoir du mal à marcher et à t’asseoir correctement pendant deux jours.
- C’est tout ?
- Oui

A ce moment je pousse un sourire de soulagement.

- Pourquoi ce soupir ? Tu t’en es bien sorti espèce de petit voleur !
- J’avais peur que tu me fasses promettre de ne pas chercher à me venger

Il est parti d’un fou rire…. ‘ Tu comptais te venger de moi ?

- Non, grand-père. Tu n’as fait que ton devoir.
- De qui alors ?
- De Ali. C’est lui qui a été te rapporter ma bêtise. Il avait peut être raison, mais il avait tout de même tort.
- Mon fils, la vengeance n’est jamais une solution, mais je comprends ce que tu dis. Un homme doit savoir parfois prendre des décisions dont les conséquences peuvent être dures, mais c’est nécessaire dans la vie d’un homme. Déguerpis maintenant.

C’était pour moi la toute première fois de ma vie où j’ai eu une conversation d’égal à égal, ou presque, avec un adulte. Mon respect, mon admiration et mon amour pour le vieil homme s’étaient décuplés ce jour là. Du haut de mes huit ans, j’avais du mal à comprendre le sens caché de sa dernière remarque. Aujourd’hui, lorsque j’y repense, j’entrevois la sagesse de ses mots. Il me donnait une espèce de feu vert pour ma vengeance. J’avais admis avoir fait une faute et j’acceptais d’en subir les conséquences. Quant à mon cousin Ali, il n’avait aucun mérite. Il avait trahi la confiance de son cousin, en l’occurrence moi, et a sauté sur l’occasion pour d’une part m’écraser et d’autre part asseoir son influence sur mon grand-père qui lui n’était pas dupe.
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29 mars 2004 10:58
Chapitre III : Le Hanoute

Mon grand-père qui a été agriculteur, bûcheron, boucher et beaucoup d’autres choses dans sa jeunesse, avait installé une petite échoppe dans cette rue marchande de Fès. Comme sa santé et son âge avancé ne lui permettaient plus de passer ses journées sous le soleil et la pluie, il avait décidé d’ouvrir un petit commerce dans lequel il vendait toutes sortes de choses : Des pains de sucre, des épices, de la quincaillerie, du tissu et d’autres produits populaires pour l’époque. La boutique, le ‘hanoute’, était une espèce d’échoppe donnant sur la rue avec une arrière boutique dans laquelle il y avait le nécessaire pour faire le thé, un petit tapis de prière et une espèce de stock d’huile, de sucre et autres produits. Au fond de l’arrière boutique, il y avait une petite porte qui communiquait avec la maison et qui permettait d’aller et venir entre la maison et le hanoute sans avoir besoin de passer par la rue. Cette particularité permettait aux femmes de la maison d’aller dans l’échoppe sans avoir besoin de se couvrir ou de porter le ‘Haïk’, habit indispensable pour les femmes de l’époque. Le haïk est l’habit traditionnel de la femme urbaine au maroc. Il consiste en une djellaba, habit ample qui couvre tout le corps sans en dévoiler la forme. Au lieu de mettre un voile comme aujourd’hui, les femmes mettaient la capuche sur leurs têtes et se cachaient le visage et le nez avec un foulard, généralement de couleur sombre.

J’ai le souvenir de mes cousines et jeunes tantes qui venaient en cati mini s’installer dans l’arrière boutique du hanoute pour regarder les passants et capter un peu l’humeur de la ville et les rumeurs du quartier. Elles avaient l’avantage de pouvoir regarder à loisir sans être vues. L’avantage qu’elles avaient dans cette arrière boutique résidait dans le fait qu’elles étaient à portée de voix des passants. Si les fenêtres des chambres du haut permettaient une meilleure visibilité, elles devaient faire appel à leur imagination pour deviner les histoires de chacun des passants.

Les chambres de l’étage qui donnaient sur la rue avaient des fenêtres larges. On avait fait installer, il y a de cela une éternité, des moucharabiehs en bois qui permettaient aux femmes de regarder la rue sans être vues. Etant enfant, je m’amusais avec mes cousins à faire toutes sortes de cris et de bruits pour attirer l’attention des passants qu’on rendait fou car ils n’arrivaient pas à nous voir.

Bien des jours après ma mémorable discussion avec mon grand-père dans la chambre maudite, je me suis retrouvé en charge d’apporter de l’eau et de la menthe fraîche au hanoute pour que El Haj puisse préparer son thé. J’ai trouvé le vieil homme en train de bourrer sa pipe. Il m’a souri lorsqu’il m’a vu arriver avec l’eau et la menthe et m’a demandé : ‘est-ce que tu sais faire le thé ?’

- Non, grand-père, pas encore.
- Eh bien laisse moi t’apprendre. Fais exactement ce que je te dis.
- Oui, grand-père.

Sans bouger de son siège, El Haj a commencé par m’expliquer ce qu’était le thé. De sa voix cassée, des mots magiques m’étourdissaient de par leur poésie. Encore aujourd’hui, je me demande, comment un homme qui a appris à lire en prison pouvait-il être poète comme cela. Il avait passé quelques temps dans les prisons des colons car il avait combattu aux coté de la résistance lors des toutes premières années du protectorat.

- Mon fils, le thé est comme le soleil. Tout le monde y a droit, et tout le monde l’apprécie. Riches et pauvres boivent du thé. Berbères et Arabes. Maîtres et Esclaves. Hommes et Femmes. Le thé nous réchauffe lorsqu’il fait froid et atténue notre soif lorsqu’il fait chaud. Mets de l’eau dans la bouilloire et pose là sur la braise.

En tout temps, il y avait un feu de braise dans l’arrière boutique du Hanoute. Elle servait à faire du thé, ou brûler de l’encens ou simplement à réchauffer l’endroit lors des saisons froides. Je m’exécutais puis j’attendais les ordres suivants.

El Haj se saisit de la touffe de menthe fraîche et m’invite à m’asseoir à ses côtés.

- La menthe, me dit-il, est l’âme du thé. Il faut qu’elle soit propre, fraîche et parfumée. Il faut aussi bien faire attention à ce qu’elle soit bien sèche. Si ta menthe porte toujours sur elle l’eau qui l’a lavée, même un ‘nesrani’ n’en voudrait pas ! (Nesrani étaient le mot qui désignait les occidentaux)

Il continuait de parler pendant que ses mains s’activaient. Il commençait à couper délicatement la menthe et s’en est fourré quelques feuilles dans la bouche.

- Mmm… c’est de la bonne menthe ! Tu vois, il faut bien faire attention à ta menthe si tu veux réussir ton thé. Garde toujours un équilibre entre la quantité des feuilles et les tiges qui les supportent. Prends cette grande tige

Je la pris. C’était comme une branche avec des petites branchettes accrochées de chaque coté. Sur ses branchettes se trouvaient les feuilles.

- Lentement et délicatement, tu vas séparer les branchettes de la branche principale.
- D’accord.
- Ne t’inquiète pas. Prends ton temps.
- Mais tu vas trop vite grand-père – il avait déjà dénudé une demi-douzaine de branche alors que j’en étais toujours à ma première.
- Je fais cette opération trois fois par jour depuis plus de soixante ans mon fils. C’est devenu mécanique pour moi. Tu y arriveras, ne t’en fais pas

Au bout de quelques minutes, nous avions un tas bien propre de menthe bien fraîche et bien découpée. La bouilloire commençait à siffler légèrement.

- Maintenant, le thé. Donne moi la boite de fer blanc et la théière. Va chercher la bouilloire et fait attention à ne pas te brûler.

Il avait une vieille boite de fer blanc par terre dans laquelle il entreposait les ‘grains’ de thé vert. Bien plus tard, je me suis rendu compte que ce que nous appelions grains – d’ailleurs je crois qu’en arabe ça s’appelle toujours ‘hboub atay’ – grains de thé, sont en fait des feuilles de thé vert séchées à la mode chinoise.

Je lui tendis la boite et la théière et cherchais du regard un bout de tissu pour pouvoir prendre la bouilloire sans me brûler. J’ai attrapé un torchon qui traînait par là et me suis exécuté. Petit comme j’étais, la bouilloire m’a parue très lourde. Pour ne pas perdre la face devant mon grand-père, je grinçais des dents en gardant les lèvres bien closes et tenais fermement la bouilloire des deux mains devant moi tout en marchant lentement vers le vieil homme. Il me regardait en souriant. De sa main gauche, il me délivre de mon fardeau et soulève l’ustensile avec une aisance qui m’a rendue jaloux.

- Tu commences d’abord par la tchlila.

Aussitôt dit, aussitôt fait. L’opération consiste à mettre une demi-cuiller à café de ‘grains’ de thé au fond de la théière et puis de verser un peu d’eau bouillante dessus. Tchlila en arabe dialectal signifie ‘rinçage’. Il a donc versé un peu d’eau chaude sur les feuilles de thé et à commencé à remuer légèrement la théière de façon circulaire de la gauche vers la droite. Il a recommencé l’opération deux ou trois fois.

- Tu vois mon fils. Le but de la tchlila et d’enlever aux ‘grains’ de thé leur amertume. Les sahraouis et les berbères ne le font pas systématiquement. Ces gens là apprécient le thé amer. Dieu crée toute sorte de choses… Vas me chercher un morceau de pain de sucre. Il y en a un d’entamé à coté de la porte.

Mon pays a toujours été producteur de sucre. Je crois, peut être que je me trompe, que nous en avons deux espèces : le sucre extrait de la betterave ainsi que le sucre de la canne à sucre. Je ne suis pas très sûr, il faudrait que je vérifie un jour. Quoi qu’il en soit, dans mon pays, nous consommons beaucoup de sucre. Traditionnellement, le sucre était vendu dans les souks, des marchés traditionnels quotidien ou hebdomadaire, mais aussi dans des échoppes comme celle de mon grand-père. Cette denrée était vendue sous forme de ‘pains’ de sucre. Le pain de sucre pouvait atteindre jusqu’à deux ou trois kilos je crois. Le sucre était présenté comme un bloc à la forme un peu conique, qui me rappelait la forme des suppositoires. D’ailleurs, le nom du pain de sucre signifie ‘suppositoire’ en arabe dialectal : Kaleb. Les kalebs étaient généralement enroulé dans du papier grossier dont la couleur était invariablement mauve. La place du sucre dans notre société était tellement importante que très souvent, les pains de sucre faisaient partie des offrandes qu’un jeune époux faisait à sa femme.

Ayant trouvé le sucre, je le ramène à mon grand-père et je me rassieds pour suivre le reste de l’opération.

- Tu prends une bonne poignée de menthe et tu la fourre dans la théière comme ça

Joignant le geste à la parole, il en pris une belle poignée qui devait être l’équivalent de dix de mes poignées. M’ayant demandé de faire de même, j’ai plongé ma main dans le tas de menthe et j’ai essayé d’en attraper autant que possible. Comme on peu s’y attendre, j’ai mis de la menthe partout entre le tas et la théière. Mon grand-père m’a souri et me traitant de petit bon-à-rien.

- Quand tu as bien bourré la menthe dans la théière, tu rajoute le sucre. Lorsque tu as des hôtes de marque, soit toujours généreux en sucre, c’est une manière d’honorer les invités.

Pendant qu’il disait ça, il avait sorti, je ne sais d’où, une espèce de petit marteau en cuivre et avait étalé le reste du pain de sucre sur son papier d’emballage mauve. Délicatement, il a commencé à taper sur le pain de sucre de manière à en faire tomber des morceaux. Lorsqu’il jugea qu’il y en avait assez, il pris les morceaux tombés et les a mis dans sur la menthe, dans la théière.

- Bien. C’est presque prêt. Donnes moi la bouilloire.

Lentement, il a commencé à verser l’eau bouillante dans la théière en faisant attention à bien mouiller le sucre pour le diluer. Lorsque la théière fut remplie à ras bord, il se leva, pris la théière à main nue, sans se soucier si elle était chaude ou pas, et alla la poser sur la braise. Au bout de quelques minutes, le thé a commencé à bouillir. Délicatement, mon grand-père se saisit de la théière et pendant que d’une main il la posait sur le comptoir, son autre main cherchait à l’aveuglette à se saisir de deux verres.

Le rituel du thé en arrivait à sa fin. On s’assit l’un en face de l’autre, et El Haj repris la parole.

- On ne remue jamais le thé. On le mélange.

En disant cela, il versa une bonne rasade de thé dans un premier verre en faisant faire à la théière un mouvement du bas vers le haut, plus du haut ver le bas. Une espèce d’écume s’est amassé sur les cotés du verre.

- Un thé sans turban n’a pas d’âme.

Il se saisit de ce verre et le renversa complètement dans la théière. Il refit la même gymnastique à deux ou trois reprises de manière à bien mélanger la potion sans avoir eu à utiliser une cuiller ou autre. Enfin, il versa un fond de thé dans un verre, il se saisit du verre et le goûta du bout de la langue. En faisant cela, il faisait avec ses lèvres et sa langue un bruit de succion bien caractéristique. En fait, pour ne pas se brûler la langue avec le breuvage chaud, on commence à aspirer l’air tout en apportant le verre aux lèvres jusqu’à en aspirer le liquide.

- Ca, c’est du bon thé !

Il remplit à moitié les deux verres en m’expliquant que l’un des choses qui distinguait les Fassis des autres, est que lorsqu’on vers le thé aux invités, on ne remplit le verre qu’à moitié de manière à toujours laisser une partie du verre libre pour que l’invité puisse s’en saisir sans se brûler.

Après ma mésaventure dans la chambre maudite et cette initiation aux secrets du thé à la menthe, ma complicité avec mon grand-père grandissait de jour en jour. Je ne sais toujours pas aujourd’hui pour quelle raison particulière le vieil homme s’est attaché ainsi au garnement que j’étais. Par ce que garnement, je l’étais certainement…

La colère que j’avais ressentie quelques semaines auparavant contre Ali était toujours bien présente et je cherchais l’occasion de me venger. Ma nouvelle complicité avec El Haj me faisait plaisir d’autant plus qu’il m’avait laissé comprendre que si je me vengeais du cousin, il ne serait pas spécialement sévère.
m
29 mars 2004 14:45
comment se procurer ton roman?!!!!

O
29 mars 2004 15:32
Il est pas fini... je suis en train de l'ecrire! J'avais envie d'avoir l'opinion des yabiladiens sur les premieres pages que j'ai ecrite...

J'aurais aussi certainement besoin de trouver un editeur ou un agent ou quelqu'un dans ke genre. si vous avez des tuyaux!
c
29 mars 2004 15:37
Tu as fait lire ça à Céline ?

O
29 mars 2004 15:47
non, je n'ai pas fait lire ca a Celine...

J'ai par contre suivi le conseil des yabliadien(ne)s et je lui ai parle franchement. Tout est rentre dans l'ordre. On va simplement etre amis car elle aime beaucoup ma compagnie mais ca s'arrette la. J'essaie donc de tourner la page
c
29 mars 2004 15:50
Mince, je suis délolée pour toi. Sincèrement. sad smileysad smileysad smileysad smiley

O
29 mars 2004 15:59
c'est pas grave, je mets mon energie dans cette histoire maintenant.... est ce que ca vous plait? est ce que ca vous donne envie de lire plus?
m
29 mars 2004 20:33
mais ouai voyons winking smiley !!!!!!!!!!!!! y'a rien a dire continues, j'aime trop .......

m
29 mars 2004 20:36
Omar.. j'ai pas tout lu.. Mais ça se présente bien... je peux dire que je suis prête a te lire... à te critiquer après si tu veux bien aussi smiling smiley
Bisous
s
29 mars 2004 21:12
c'est très beau pour peu qu'on ferme les yeux on s 'y croirait!!!
O
30 mars 2004 10:40
Mimicha, tes critiques sont les bienvenue. Je suis pour la pensee critique tant que c'est constructif. Je pense que si on veut faire quelque chose de bien, il faut savoir faire un pas en arrier et voir de quel maniere on peut ameliorer son travail.
m
30 mars 2004 16:06
Omar
Bien dit, j'ai plus rien à dire !!!
Bonne rédaction ! Et bonne créativité !
l
30 mars 2004 21:19
mimicha est une maitresse ? hi hi hi
tu me rapelle ma maitresse de ce3

"Hé ! bonjour, Monsieur du Corbeau. Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau ! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le Phénix des hôtes de ces bois."
m
30 mars 2004 23:06
le9bi7
et toi tu me rappelles un élève super indicipliné smiling smiley
 
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