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Pour une Palestine démocratique, par Mustafa Barghouthi
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14 janvier 2005 16:15
Pour une Palestine démocratique, par Mustafa Barghouthi
LE MONDE | 06.01.05 | 14h48
Depuis treize ans, le prétendu "processus de paix" se traîne dans une série de tunnels plus sombres et plus bouchés les uns que les autres. Outre la perte de temps, il a eu pour prix de lourdes pertes humaines : sur les quatre dernières années, plus de 950 Israéliens et 3 305 Palestiniens ont été tués, sans compter les 53 000 Palestiniens et les 4 500 Israéliens blessés. L'économie de la Palestine et celle d'Israël ont également payé un lourd tribut : le PIB palestinien a été réduit de moitié, tombant à moins de 1 000 dollars par habitant et condamnant plus de 60 % de la population à vivre sous un seuil de pauvreté de 2 dollars par jour, comme l'a reconnu la Banque mondiale.

Désormais, le temps presse. Pendant que les médias du monde entier décortiquent les plans unilatéraux d'Ariel Sharon, son armée, son mur et le développement des colonies anéantissent la possibilité matérielle d'une paix fondée sur la coexistence entre deux Etats.

Personne ne s'est privé de désigner des coupables mais l'on n'a guère fait d'efforts pour comprendre pourquoi toute solution pacifique est systématiquement contrecarrée. Il faut s'interroger sur la pertinence même de la vision actuelle, une vision déterminée, depuis les accords d'Oslo, par le concept israélien de sécurité. Une sécurité fondée sur la puissance militaire israélienne avec la collaboration d'une forte police palestinienne. Cette manière de voir simpliste a toujours sous-entendu que les Palestiniens ne pouvaient être contrôlés que par la force, dans un Etat policier.

Cette approche résulte des faiblesses fondamentales des accords d'Oslo, et plus particulièrement de l'abandon des critères de la conférence de Madrid - le respect de la légalité internationale et des résolutions des Nations unies -, ce qui a laissé la porte ouverte à une occupation militaire israélienne interminable. (...) Le résultat a été catastrophique. Plus la force militaire israélienne faisait pencher l'équilibre en faveur d'Israël, moins les différents gouvernements de droite avaient de raisons de céder sur les concessions minimes prévues par les accords d'Oslo. Au contraire, voyant que sa supériorité militaire lui permettait d'annexer 58 % de la Cisjordanie, Israël a choisi de s'emparer de tout ce qu'il pouvait plutôt que de se contenter des bribes qu'Oslo lui allouait.

Mais l'ambition israélienne d'assurer la stabilité et la sécurité par la force a échoué. La police palestinienne cooptée par Israël pour servir à sa sécurité s'est effondrée, en partie sous les coups portés par l'armée israélienne au cours de la seconde Intifada, mais aussi en raison des charges financières imposées par cet appareil sécuritaire surdimensionné et complexe, qui employait 39 % des fonctionnaires de l'Autorité palestinienne et absorbait 34 % de son budget (contre 9 % pour le système de santé publique).

Malgré son échec patent, cet arrangement reste le seul système que s'obstine à proposer Ariel Sharon et que reprend désormais à son compte le "Quartet" à travers sa fameuse "feuille de route". Alors que tout au long de leur histoire l'Europe et l'Occident ont bâti la paix sur des fondements diamétralement différents, comment se fait-il qu'ils prônent aujourd'hui un modèle qui va à l'inverse du respect démocratique des principes d'égalité et de justice ?

Dès 1994, j'ai mis en garde contre les risques qu'il y aurait à négliger les ambitions démocratiques de la toute jeune entité palestinienne. Or, au lieu de favoriser cette démocratie, Israël et l'Occident ont toléré - sinon cultivé - le développement de l'anarchie, de la corruption et d'un régime policier, en s'abritant derrière la rhétorique pour le moins spécieuse des "impératifs sécuritaires".

Les Palestiniens ont d'abord besoin que l'on les laisse exercer leur droit à la démocratie, et notamment qu'on les laisse participer à des élections démocratiques. Eux seuls peuvent élire démocratiquement des dirigeants pour négocier en leur nom et en toute confiance. Seule une direction ainsi élue aura la légitimité pour défendre les droits fondamentaux des Palestiniens et exiger l'égalité par la voie de la justice.

Une direction démocratiquement élue et respectueuse de l'Etat de droit devra répondre de ses décisions et ne sera pas manipulable : elle ne pourra pas accepter des arrangements manifestement contraires aux intérêts de ses mandants, qui risqueraient de déboucher sur une révolte ou une nouvelle Intifada. Des instances démocratiquement établies sont en outre la clé des réformes - des véritables réformes, sans commune mesure avec les discours des gouvernements israéliens qui veulent seulement restructurer l'Autorité pour en faire un appareil sécuritaire d'oppression du peuple.

La démocratie ne consiste pas seulement à élire une direction, elle impose aussi que les forces de sécurité ne soient pas aux mains d'une faction politique ou d'un chef de faction. Elle passe par une réforme en profondeur de ces forces de sécurité qui doivent être unifiées, apolitiques et soumises à l'autorité du gouvernement élu. En favorisant la démocratie palestinienne, on permettra à l'appareil de sécurité de devenir un corps qui fera respecter la loi

Un gouvernement démocratiquement élu aura beaucoup plus de chances d'être accepté que s'il est adopté arbitrairement et imposé par un appareil sécuritaire oppressif.

Les pessimistes qui ont peur de la démocratie, peur de la force croissante des groupes fondamentalistes devraient consulter les sondages récemment réalisés dans la société palestinienne. Ils montrent que le Hamas recueillerait 23 % des voix, ce qui est à peu près le même chiffre que celui du Fatah, le parti de l'Autorité. La décision est aux mains des 50 % restants, cette majorité silencieuse qui ne veut pas entrer dans le jeu de cette polarisation et qui, à mon avis, soutiendrait largement une opposition démocratique si elle en avait la possibilité. C'est une majorité dont la voix a été jusqu'à présent étouffée sous le fracas des obus. Une majorité qui ne pourra se faire entendre que si on lui donne l'occasion de voter. 80 % des Palestiniens des territoires occupés ont moins de 33 ans. Et ils sont prêts à participer au processus démocratique dans l'espoir d'un avenir meilleur.

Il est grand temps d'abandonner le rêve illusoire d'imposer des bantoustans palestiniens régis par la police. Le monde occidental doit dès aujourd'hui soutenir et encourager la société civile palestinienne dans son mouvement vers les acquis démocratiques. Il est temps aussi d'adhérer de façon sincère aux déclarations de la Cour internationale de justice : la violation des droits de l'homme et des droits nationaux du peuple palestinien doit cesser ; les Palestiniens ont le même droit que les Israéliens à l'autodétermination, à l'exercice de la démocratie ; ils ont le même droit à avoir leur Etat où ils pourront vivre librement et dignement, sans occupation, sans murs, sans check-points ni oppression.

Cette solution simple suppose que les Israéliens comprennent que, pour leur sécurité, il faut accepter l'idée que les Palestiniens sont des êtres humains comme eux. Je suis profondément convaincu que la seule paix durable que nous puissions espérer sera conclue entre deux démocraties régies par les principes d'égalité et de justice.

Mustafa Barghouthi est le candidat du mouvement politique Al-Mudabara (La nouvelle initiative) à la présidence de l'Autorité palestinienne

• ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 07.01.05
h
14 janvier 2005 16:29
Journal l'Humanité
Rubrique International
Article paru dans l'édition du 12 janvier 2005.





événement
Marwan Barghouti : « La paix est possible, si les Israéliens la veulent »




Vous avez présenté votre candidature à l’élection présidentielle à deux reprises avant de finalement vous retirer. Pour quelles raisons ?

Marwan Barghouti. Ces élections sont très importantes pour les Palestiniens parce qu’elles représentent un plus pour la démocratie. Après l’annonce de ma candidature j’ai reçu de nombreux messages, internes et externes, y compris de la direction du Fatah. J’ai finalement considéré qu’il était mieux pour le peuple palestinien que je ne sois pas candidat. Je voulais donner une chance à la paix avec l’élection d’Abou Mazen. Je ne voulais pas que les Israéliens fassent comme avec Arafat, disant, si j’étais élu, que c’est un terroriste qui dirige les Palestiniens.

L’Intifada transforme l’occupation en un corps sans âme. Ce qui signifie que, malgré les souffrances du peuple palestinien, l’Intifada est la principale action qui montre au monde entier que vivre ensemble, alors que l’occupation se poursuit, est impossible. Dans ce sens, l’Intifada est victorieuse. D’autre part, l’Intifada représente le droit naturel des Palestiniens à se battre contre l’occupation. C’est une lutte légale. Les prisonniers ne sont pas des terroristes mais des combattants de la liberté, et nous avons le droit de continuer notre combat pour l’indépendance. Je veux l’unité du Fatah et je veux aider Abou Mazen.

Qu’attendez-vous de Abou Mazen ?

Marwan Barghouti. La première priorité est de travailler au consensus national entre toutes les factions nationales et islamistes qui s’activent en Palestine. C’est la garantie majeure et la plus importante pour la résistance des Palestiniens face à des plans à venir qui obéreraient leurs aspirations nationales. C’est pourquoi Abou Mazen doit continuer à travailler à cette réconciliation et parvenir à une plate-forme politique. Deuxième priorité : mettre en place de véritables réformes. Je sais que c’est difficile, mais Abou Mazen doit s’y atteler et se battre contre les leaders, les ministres ou quiconque est corrompu, parce que construire un système démocratique et sain est impossible si la corruption existe. Il faut donc réhabiliter les institutions et les organes palestiniens. Troisièmement, au cas où Abou Mazen commencerait des négociations avec les Israéliens, il faut qu’il soit clair sur un point : ne pas penser à une nouvelle période intérimaire, expérimentale, parce qu’il est ainsi impossible d’arriver au but final des Palestiniens. Abou Mazen doit bien voir qu’une paix véritable ne peut émerger qu’avec la fin de l’occupation. Il ne faut donc pas aller vers un compromis intérimaire qui compliquerait la situation dans les années à venir. Si l’occupation se poursuit, la lutte contre celle-ci est un droit national pour les Palestiniens. C’est une question qui ne doit pas être discutée avec les Israéliens, c’est notre droit. Aller vers les Israéliens suppose que ces derniers stoppent toutes les agressions contre les Palestiniens. Ils démolissent les maisons, envahissent les villes, assassinent les dirigeants. Ils doivent également libérer les prisonniers palestiniens. Si ces exigences ne sont pas remplies, en allant négocier, Abou Mazen perdra sa crédibilité au sein du peuple. Nous soutenons Abou Mazen dans ce sens-là.

Un congrès du Fatah est convoqué pour le début du mois d’août. Comment vous positionnez-vous ?

Marwan Barghouti. Ce qui va se passer maintenant sera différent. Si le Hamas et Djihad participent aux élections législatives alors la règle du jeu sera changée de manière substantielle. Dans ce cadre, le Fatah doit avoir un esprit ouvert pour constituer ses listes de candidats. Le Fatah doit donc se comporter différemment que par le passé. Cela inclut bien sûr le congrès qui est convoqué. Ce congrès aura à adopter les points majeurs qui auront été atteints avant les élections, ce qui signifie un véritable agenda politique pour tenter d’arriver à un consensus national parmi toutes les factions palestiniennes ; adopter et soutenir de véritables réformes y compris au sein du Fatah et lutter contre tous les gens corrompus même s’ils sont des membres ou des dirigeants du Fatah.

Serez-vous candidat aux élections législatives et/ou à la direction du Fatah ?

Marwan Barghouti. C’est une question prématurée. Nous devons d’abord regarder ce qui se passe avec la présidence, avec le gouvernement et prendre en considération toutes les situations qui vont se présenter.

Comment considérez-vous l’attitude du Hamas ?

Marwan Barghouti. Je pense que le Hamas participera aux élections législatives, ce qui représente un grand changement par rapport à 1996. Ce qui signifie que cette organisation est prête à jouer un rôle dans le champ politique et pas seulement dans le cadre d’une lutte armée contre Israël. Si, en Israël, il y a un vrai partenaire pour accepter le droit des Palestiniens à avoir leur propre indépendance, un État libre, alors je crois que Hamas considérera d’un autre oeil l’idée de la coexistence de deux États.

Que pensez-vous du plan de désengagement unilatéral de Gaza que Sharon veut mettre en place ?

Marwan Barghouti. Si Israël peut se retirer de Gaza par une décision politique, cela signifie que la fin de l’occupation n’est pas une chose si difficile. Cela signifie qu’elle dépend seulement de décisions politiques qui peuvent être prises par les deux parties ou par une. Le retrait de Gaza montrera au monde entier, si c’est un véritable retrait sans aucune présence israélienne, que la vie est complètement différente de celle qui existe aujourd’hui. Cela montrera au monde entier que le véritable problème pour la paix est l’occupation. Tout le monde verra alors que les Palestiniens l’acceptent positivement.

Que doit-il maintenant se passer pour parvenir à une solution ?

Marwan Barghouti. Après avoir essayé les accords d’Oslo et la période qu’ils ont ouverte, je suis de plus en plus convaincu que, si on ne définit pas la fin du processus, on se dirige vers un échec. On peut définir les buts principaux. Cela signifie la fin de l’occupation et la mise en place de deux États comme solution pas comme problème. S’il n’y a pas d’indications ou de déclarations de foi sur ces deux principes, toute période intérimaire ou une nouvelle période de ce type ne permettra pas d’aboutir. C’est pourquoi je pense qu’il faut aller aux négociations mais en définissant ces deux principes. Si cela est accepté, toutes les autres questions seront discutées d’une façon positive et fructueuse, particulièrement avec la présence d’une troisième ou d’une quatrième partie.

Quel rôle la communauté internationale peut-elle jouer pour arriver à la paix ?

Marwan Barghouti. Si nous ne sommes pas encore arrivés à la paix, ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de partenaires palestiniens. Au contraire. Les Palestiniens ont donné assez de preuves, y compris sous la direction de Yasser Arafat. Et l’élection de Abou Mazen comme président est un message pour le monde entier selon lequel les Palestiniens ne soutiennent pas seulement la paix mais recherchent la paix de toutes leurs forces. Le problème est qu’en Israël il n’y a pas de vrais partenaires. Dans leur mentalité, les autorités israéliennes ne sont pas prêtes à accepter de payer le prix de la paix. Les Palestiniens ont déjà payé ce prix et sont prêts à poursuivre dans ce sens. Nous, Palestiniens, savons où sont les frontières des Israéliens et les Israéliens savent où sont nos frontières. S’ils veulent vraiment la paix, on peut y arriver en quelques mois.

Mais ça ne peut pas arriver tout seul, surtout en considérant l’ensemble des problèmes historiques. C’est pourquoi il y a besoin d’une troisième partie. Ce ne peut pas être les États-Unis parce que cette troisième partie doit être neutre, doit réellement aider. Les États-Unis se sont rangés du côté d’Israël et ne peuvent donc pas jouer ce rôle de médiateur ou d’observateur. L’Union européenne doit jouer un rôle plus important pour deux raisons : elle a la confiance des Palestiniens et a de bonnes relations avec le gouvernement israélien. Si besoin est, l’UE peut envoyer des forces de paix ou des observateurs, entre les Palestiniens et les Israéliens, pour sécuriser la région au cas où certains auraient peur de l’avenir.

Questions posées par Pierre Barbancey








Page imprimée sur [www.humanite.fr]
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