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Monde arabe: espoirs et doutes
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5 janvier 2005 23:31
Monde arabe: espoirs et doutes


L’année qui s’achève, 2004, aura été marquée par d’importants évènements chargés de signes de changement. Ici et là, dans le Monde arabe, l’aspiration pour les uns à jouir des libertés les plus primordiales et les attentes pour les autres à voir se consolider et s’étendre les acquis de la démocratie, en demeurent les préoccupations majeures des peuples de la région. Même là où sévit l’occupation, en Palestine et en Irak, quelques espoirs semblent inégalement être portés sur les élections comme devant respectivement faire partie de la solution rêvée ou attendue.

Epreuve du changement et de l’Unité palestinienne

La disparition de Yasser Arafat en novembre dernier, père incontesté du Mouvement de Libération de Palestine, est d’autant plus une réelle perte que ce soit à cause du caractère mystérieux de son décès ou en raison de son rôle éminemment unificateur des composantes de son peuple. En cette qualité, il se fera pour longtemps rappeler à la mémoire de tous d’autant que le vieux conflit de la région est en passe de faire l’objet d’un réel ballet diplomatique visant la relance du dialogue israélo-palestinien non sans écho aux déboires de l’occupant en Irak. L’érection sur 640 km du Mur de la Honte, comme préfèrent le désigner les Palestiniens, a fait l’objet d’une décision de condamnation par la Haute Cour Internationale de Justice de La Haie et suscité partout, y compris en Israël, l’indignation des démocrates et épris de justice. Sharon, lui, ne répond toujours aux attaques des radicaux palestiniens que par davantage d’encerclements des camps et villes par des chars, de tirs des missiles tuant les leaders de Hamas et des cadres d’El-Jihad et des Brigades d’El-Qods. Peu importe pour lui si par cette politique il ne laissera pas de chance à la paix et lorsqu’il annonce qu’Israël se retirera unilatéralement de la Bande de Gaza, il ne daigne nullement en discuter directement avec les premiers concernés, les Palestiniens. Si les Egyptiens s’activent en jouant les intermédiaires et peut-être aussi un futur rôle sécuritaire d’interposition, il n’en demeure pas moins vrai que Sharon fait de ce retrait un champ de mines pour les Palestiniens comme d’ailleurs pour les extrémistes religieux juifs et même au sein du Likoud, son propre camp. Il s’est fait attraper par son propre jeu «plus extrémiste que moi tu meurs», et l’alliance qu’il s’apprête maintenant à sceller avec les Travaillistes pourrait, en dépit de son incidence positive sur le retrait de Gaza, être en fin de compte un marché de dupes. En ce sens, Sharon donne indéniablement des signes de changement lors de sa dernière sortie où il annonce que Bush et lui sont tombés d’accord sur les deux fameux points sur lesquels ont déjà buté les négociations de fin 2000, à savoir le Droit au Retour et la restitution des territoires occupés en 1967, y compris évidemment Jérusalem-est.
Si les Palestiniens s’apprêtent pour le moment à élire leur futur président en remplacement de Arafat et viennent d’entamer la première phase du renouvellement par élection aussi des Conseils municipaux (la dernière élection remonte à 1976), ils multiplient les signes de leur bonne volonté de satisfaire à ce qui est en vérité une exigence interne de la réforme et de la bonne gouvernance. La prochaine Direction palestinienne aura à tenir bon sur le front de la sauvegarde de l’unité et du dialogue national ainsi que sur le plan diplomatique son attachement à la mise en œuvre de la Feuille de Route. Il sera de plus en plus question de démilitariser l’Intifada, celle dite d’El-Qods, qui remonte à 2000. La proposition anglaise de tenir au mois de mars prochain une Conférence internationale à Londres sur le conflit israélo-palestinien semble être accueillie mi-figue, mi-raisin par les deux parties concernées quoique Sharon ait fait semblant devant Tony Blair, qualifié d’ami par lui, d’en admettre favorablement l’idée qu’il n’avait de cesse de repousser pour éviter l’internationalisation du conflit. Si cette conférence porte, comme on l’a laissé entendre, sur l’exigence de plus de garanties sécuritaires du côté palestinien, le renforcement de la capacité de négociations, etc.... elle ne pourra réellement contribuer à avancer sur la voie de la reprise des négociations de paix. Dès lors, ladite conférence ne sera pas plus qu’une opération de new-look de la part de Blair avant d’affronter les élections législatives prévues au printemps prochain.

Défis et menaces sur l’Unité nationale en Irak

Autre élection, celle prévue fin janvier en Irak, est déjà considérée du moins par ceux qui l’organisent, c’est-à-dire les forces soutenues par les Américains, et les factions du Chi’isme espérant être majoritaires de par la démographie, comme devant être la passerelle à un nouvel Irak. Gageure qui risque fort de ne pas être tenue compte tenu tout à la fois des affrontements sanglants qui se poursuivent toujours, de l’absence de dialogue national entre communautés, forces politiques et tribales. Si la plupart des acteurs souhaitent hâter le départ de l’occupant, la ligne de démarcation semble aujourd’hui établie entre, d’une part, les forces préférant le jeu politique, lesquelles se recrutent massivement chez les Chi’ites et, de l’autre, celles ayant opté pour la résistance contre les Américains. Ceux-ci, après qu’ils ont sous-estimé la réalité du terrain avant la guerre avec toutes les conséquences qui s’en suivent jusqu’à présent, ne peuvent aucunement prétendre disposer d’une visibilité de ce que sera l’après élection. Et ce, dans l’hypothèse où il n’y aurait pas de faibles taux de participation là où la population sunnite, à Fallouja, Ramadi, etc.... a subi les pires affres des hostilités et se voit encore depuis près de deux mois éloignée de ses maisons. A priori, dans les conditions prévalant pour le moment dans ce pays, il serait bien difficile de concevoir une autre alternative aux élections. Seulement, celles-ci souffrent d’ores et déjà du sérieux handicap de n’avoir pas été précédée du dialogue national nécessaire.

Leçons d’un bourbier

L’année finissant aura été pour les Américains en Irak pleine de leçons et d’épreuves. D’abord, les humiliantes violations des droits de l’Homme à la fameuse prison d’Abou Ghrib et aux villes opposant résistance à l’occupant sont telles que la première puissance de la planète tente par divers moyens, selon un collectif de sociologues arabes, de ne pas se voir citer dans le rapport annuel, attendu sous peu, et qui fait le point de la situation des droits de l’Homme dans le Monde arabe. Quant aux pertes civiles, comptabilisées comme collatérales d’après la terminologie militaire américaine consacrée, elles s’élèvent au plus bas mot à plus de cent mille individus dont un nombre appréciable de personnes âgées et d’enfants. “La démocratie” que promet l’Administration Bush ne serait-elle pas en définitive cette mort faucheuse de victimes et pas du tout ces brassées de lauriers qui, aux dires d’un Rumsfeld, devaient orner les têtes des soldats qui se prenaient prématurément pour des victorieux.”
Ailleurs dans le Monde arabe, mis à part quelques bien rares havres où existent une vie politique et des libertés démocratiques bien entendu toujours à parfaire, l’impératif du changement est devenu un sujet incantatoire. Le Forum sur l’Avenir que Rabat vient depuis peu d’accueillir en a été exclusivement consacré sans toutefois parvenir à aplanir les divergences entre participants tant au sujet du rejet des réformes imposées de l’extérieur que de leur étendue. Nul doute que l’allégation de la spécificité autorisant aux yeux de certains la méfiance vis-à-vis des réformes démocratiques comme n’étant jamais exprimées de l’intérieur, est en fait prétexte à leur report sine die. Sinon, dans quelles limites faudrait-il fixer le cursus de la spécificité en matière des droits et libertés démocratiques ? Chose paradoxale, c’est que les voeux de changement exprimés par les citoyens que traduisent presque systématiquement quelques chaînes t.v satellitaires arabes se focalisent davantage sur la stigmatisation des régimes en place et désignent rarement les réformes démocratiques à initier ou les mécanismes devant y conduire. La condamnation révélant une profonde amertume prédomine toute démarche d’analyse trationnelle, ce qui contraste et de loin avec les mouvements aspirant au changement d’il y a seulement quinze ans! Ainsi, plus le besoin au changement est immense, moins claire et opérante est la vision des réformes.

Promesses et équivoques de réformes

Incontestablement, le changement s’opère chaque jour au niveau de la conscience de l’homme de la rue dans le Monde arabe, ne serait-ce que la liberté de s’informer que la lui permettent désormais les nouvelles technologies de la communication et de l’information. Si les élections, là où elles existent, ne donnent encore authentiquement lieu à l’adhésion et à la participation dignes de la nouvelle citoyenneté, c’est parce que le citoyen exige avant tout le respect de sa volonté. Sur ce plan, force est de reconnaître qu’entre pays arabes l’hiatus se creusent chaque jour davantage ce qui réfute par ailleurs les deux thèses contradictoires: celle prétendant à la sélectivité des réformes par égard à la spécificité et celle considérant comme antinomiques les valeurs de l’Islam et celles de la démocratie. Pour quelle raison refusons-nous toujours dans le Monde arabe d’étudier et de méditer ce que des pays islamiques ont réussi comme expériences de démocratie et de développement, en Turquie et en Malaisie par exemple ?! L’Administration Bush semble en tout cas, dans le sillage de sa guerre contre l’Irak, en faire son cheval de bataille, passant ainsi aux yeux des crédules pour annonciatrice d’une nouvelle ère des droits et des libertés dans le Monde arabe qu’un intellectuel comme Sâad Ibrahim, sociologue égyptien, lui trouve des raisons face, pense-t-il, au despotisme dont aucune force de l’intérieur n’est réellement en mesure de déboulonner.
En une initiative fort appréciée pour ses vertus à la fois de devoir de mémoire et de pédagogie en matière de citoyenneté, notre pays vient, il y a seulement quelques jours, d’assister à l’ouverture des auditions publiques sur les violations flagrantes des droits de l’Homme pendant les années de plomb. Les victimes ou ceux qui parlent au nom des disparues d’entre-elles auront à témoigner de ce qu’elles ont vécu devant leurs concitoyens et procédant par-là à une sorte de travail cathartique sur elles-mêmes, ce qui ne manquera pas d’avoir les mêmes effets pour toute la société. Les retombées de l’opération ne seront toutefois bénéfiques que si ces auditions qui vont s’étaler sur quatorze semaines, comme annoncé au début, apporteront du changement des mentalités, pratiques et comportements politiques.
D’autres défis se dressent sur le chemin de l’entente et de la coopération entre pays arabes, lesquels nécessitent entre autres la revitalisation du ou des rôle (s) de la Ligue arabe dont la sclérose qu’elle connaît depuis des décennies s’avère plus persistante, à l’image de celle des régimes et des Etats dont elle est l’émanation. Il s’agit là aussi de cette manie de sacralisation des reliques du passé qui nous empêchent d’être par nos institutions en phase avec les exigences de l’évolution en interne et autour de nous. Aussi, tant de conflits coriaces partout dans le Monde arabe auraient-ils pu être à temps maîtrisés au lieu de languir et d’entraîner de plus graves conséquences. Cette organisation régionale, dite Maison des Arabes, si elle peut devenir aussi siège de la représentativité des peuples, ne manquera pas alors de domaines prioritaires d’action: suggestions et coordination en matière d’enseignement supérieur, de formation des cadres, de l’emploi et des politiques économiques notamment en agriculture, ainsi que la prise en charge de la résolution des conflits bilatéraux à caractère juridique, etc.
En cette région, berceau de religions et de civilisations, la visibilité n’est jamais aisée ou permise de prime abord, surtout si à ses propres et vieilles tensions et conflits en sédiments s’ajoutent d’autres à visées lointaines, fomentés de l’extérieur. Mais, les élections d’un côté et, de l’autre, les questionnements et les doutes au sujet de la capacité des pouvoirs en place à réformer ou à s’auto-réformer incitent à y voir quelques signes d’une certaine tendance au changement. A moins que la leçon d’Irak n’eût convaincu les Américains d’opter finalement pour un compromis avec les élites en place. Qui pourrait, donc, nier que l’homme arabe est le Sisyphe des temps modernes ? !

Mustapha BENGADA/ Libération 05/01/2005



 
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