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Le PJD et Israël
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18 juin 2006 20:50
Par Driss Ksikes, Tel Quel n° 229


Le mot d'ordre “non à la normalisation” n'est plus si sacré que cela. L'ijtihad religieux et le pragmatisme politique peuvent amener les dirigeants du PJD/MUR à relativiser leurs positions vis-à-vis d'Israël. Zoom sur une problématique qui fâche.


Une fatwa d'Ahmed Raïssouni pour “la paix” mal venue, une visite de Aboubakr Belkora en Israël mal appréciée. Un rapprochement avec les Turcs, islamistes et pro-israëliens, vivement critiqué : à mesure qu'approche l'échéance de 2007, l'éventuel passage du PJD aux commandes suscite des interrogations au sein de ses rangs : comment
préserver, demain, les mêmes relations avec un Hamas diabolisé ? Et comment éviter toute forme de rapprochement avec Israël, même si la raison d'Etat venait à le dicter ?

Plus pro-Hamas qu'anti-israëliens ?
Que propose Ahmed Raïssouni, le fondateur du MUR, dans sa fatwa largement diffusée sur le site d'Al Jazira ? En fondamentaliste qui se respecte, il se réfère aux actes fondateurs du prophète Mohamed, qui “avait offert aux juifs le tiers des fruits de Médine contre la levée deusiège”. Il se réfère aussi à la “sagesse” du leader du Hamas assassiné, Cheikh Ahmed Yassine, qui avait lancé une longue trêve avec Israël. Raïssouni, siégeant aujourd'hui au Majmaa Al Iftaa qui dépend de la très officielle Organisation du Congrès islamique, va même plus loin. Il pense à un accord de paix (bis) qui serait conditionné par une reconnaissance mutuelle des accords internationaux. Ce qui revient à inviter le Hamas à se mettre à la table des négociations avec un vis-à-vis qu'il a du mal encore à reconnaître ouvertement. Selon Youssef Belal, auteur d'une thèse sur les islamistes marocains, “cela prouve la propension de certains alems, au sein du MUR, à chercher le moindre mal à toute épreuve”. Cela est vrai dans les affaires internes mais dès qu'il s'est agi d'une affaire hautement sensible (la Palestine), cela n'a pas fait l'unanimité. “La suggestion de Raïssouni a énormément gêné nos frères du MUR, reconnaît un dirigeant du PJD. Vu le statut de l'auteur de la fatwa, ils se sont sentis obligés de réagir pour que ni les bases du mouvement ni le Hamas en Palestine ne croient que nous les poussons dans un sens ou dans l'autre”.

Voilà le dilemme actuel du PJD, et du MUR par extension : ne pas paraître flexible sur les questions de principe qui constituent son fonds de commerce. A vrai dire, commente l'islamologue Mohamed Darif, “le fait que le MUR ne se prononce pas sur le fond de la fatwa de Raïssouni et se contente de préciser que la proposition n'a pas été validée par son bureau exécutif, prouve qu'il pourrait très bien l'endosser, mais le contexte ne s'y prête pas”. Au sein du parti, ce jugement des intentions est mal perçu. “Chez nous, explique Abdelaziz Rebbah, le secrétaire général de la jeunesse PJD, il y a une règle. L'expression est libre mais la décision engage l'ensemble. Tant que l'avis de Raïssouni n'est pas discuté au sein des instances, il a à peine la valeur d'une opinion personnelle”. Il est vrai, reconnaît sous couvert d'anonymat ce dirigeant du parti, que depuis l'arrivée du Hamas au pouvoir, il y a une réflexion au sein des partis islamistes, appelant à réviser nos positions rigides vis-à-vis d'Israël et à ne pas être plus palestiniens que le Hamas, qui négocie via Abou Mazen. Mais pour le moment, cette tendance reste discrète et marginale. Seul apparaît, encore, un non massif et sans nuance à la normalisation. “Nous savons que les Palestiniens ne peuvent pas y arriver tout seuls et qu'on ne peut pas non plus prendre les armes. Alors, nous faisons de la résistance par le discours”, explique Lahcen Daoudi du PJD. Au fait, en s'alignant sur le Hamas, le PJD est toujours gagnant.

Plus anti-israéliens qu'anti-juifs ?
Dans les discours justement, les dirigeants du PJD s'efforcent depuis peu de faire la distinction entre antisionisme et antisémitisme. “En ce qui concerne mes visites en Israël, rien ne m’interdit d'entretenir des relations avec des juifs ou même des chrétiens. D'ailleurs, j'ai de nombreux amis de confession juive et j'en suis fier”, rétorque Aboubakr Belkora, le maire de Meknès, à ses détracteurs. Le président du groupe parlementaire, Abdellah Baha, renchérit : “Si un juif marocain veut rejoindre les rangs de notre parti, il sera le bienvenu. Pour vous dire que nous n'avons pas de problème avec les juifs, mais avec la politique poursuivie par l'Etat d'Israël”. Même au sein du dernier congrès, le slogan haineux “Khaybar Khaybar Ya Yahoud” a été remplacé par un autre vouant les maîtres d'Israël aux gémonies, “Khaybar Khaybar Ya Sahyoun”.

“Cela montre, aux yeux de Mohamed Darif, que l'opposition à Israël a cessé d'être religieuse et est devenue politique”. Ce membre éminent de la communauté juive est plutôt sceptique. Pour lui, “lorsqu'on a affaire à des individus et à la rationalité du discours, la distinction se fait clairement mais dès qu'il s'agit d'un mouvement de masse ou d'un media lié au parti (Attajdid), les frontières entre anti-judaïsme et anti-sionisme deviennent plus floues”. Fort d'une étude systématique de la littérature du parti, Youssef Belal se veut moins catégorique : “Il ne s'agit ni d'un complot médiatique ni d'une idéologie antisémite. Ce sont, au pire, des dérapages mal contrôlés”. Cela permet de laisser une marge au racisme latent au sein de la société mais, politiquement, le PJD a d'autres desseins. Il se situe à mi-chemin entre son alter ego turc, Recep Erdogan, qui n'a aucun scrupule à s'allier avec Israël, au nom du pragmatisme économique et des calculs géostratégiques, et le mouvement de résistance Hamas, aujourd'hui au pouvoir. Or, comme le dit si bien Mohamed Darif, “l'entrée en jeu du Hamas les libère”. Bienvenue à la realpolitik, version islamiste.

Du parti conquérant à l'Etat conquis ?
Si le PJD venait à gagner en 2007, comme le Hamas avant lui, que fera-t-il des engagements de l'Etat marocain qui le mettent côte à côte avec Israël, dans l'opération “Active endeavour” de l'OTAN, dans l'application des accords d'Agadir et dans toutes les opérations de tourisme parallèle qui permettent de ramener les juifs d'Israël chez eux, le temps d'un pèlerinage au moins ? Réponse inopinée de Saâdeddine Othmani, le temps d'une conférence méditerranéenne : “Vous voyez, je suis bien capable de me mettre côte à côte avec un délégué d'Israël”. Ne va-t-il pas plus vite que la musique ? Non, il s'adapte.

Au PJD, le modus operandi est déjà conçu. Si jamais le PJD se retrouvait au pouvoir, le rapport avec Israël est déjà délimité. Explication d'Abdelaziz Rebbah : “Si nous nous retrouvions dans une instance internationale officielle, engageant les Etats, nous y siègerions à leurs côtés et remplirions notre rôle de parti au pouvoir. Si, par contre, on devait siéger aux côtés des Israéliens dans une organisation regroupant les partis politiques ou les représentants de la société civile, c'est niet”. Toujours la même logique du moindre mal, de la flexibilité, du pragmatisme à tous crins.
 
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