Menu
Connexion Yabiladies Ramadan Radio Forum News
Les expulsions d’enfants, une amputation du corps social
p
1 mai 2007 00:10
L’Humanité / Les expulsions d’enfants, une amputation du corps social

[www.humanite.fr]

Journal l’Humanité
Rubrique Société
Article paru dans l’édition du 27 avril 2007.

Société

Les expulsions d’enfants, une amputation du corps social


Une enquête de santé publique est lancée pour comprendre les effets des expulsions d’enfants sur leurs camarades, enseignants ou voisins.



Directrice de l’école Marie-Curie à Bobigny, Véronique Decker raconte le calvaire de Britto Jude Mariyathas et de ses parents. Ce petit garçon de dix ans s’est retrouvé atteint au printemps dernier d’une maladie rare, le syndrome de Lyell, qui provoque la disparition de l’ensemble de l’épiderme. Une maladie à laquelle un adulte ne survit pas. L’enfant sera plongé dans un coma artificiel pendant un mois et demi, dont il est aujourd’hui sorti mais avec de graves séquelles nécessitant des soins à vie. Cette maladie est survenue alors que ses parents s’étaient vu refuser l’asile politique, suite à la circulaire du 13 juin dernier. Le papa remplissait pourtant toutes les conditions. Catholique au Sri-Lanka, son corps porte encore les traces des tortures qu’il a subies. Depuis, la famille survit au gré des autorisations de séjour provisoires de six mois.

L’école, les parents, les enfants, tous se sont mobilisés. Une collecte a même permis au collectif de soutien de se payer un avocat. Mais depuis, rien ne bouge. Et Véronique le glisse, en creux, doucement : « ça pèse sur ma vie. On est tous atteint du syndrome du témoin du petit métèque expulsé, comme le dit Miguel Benasayag. »

Mercredi soir, salle Olympe-de-Gouges dans le 11e à Paris. Des membres du Réseau Éducation sans frontières et les psychanalystes Miguel Benasayag et Hervé Bokobza jettent les bases d’une initiative très originale : l’idée est de mener une enquête épidémiologique, à l’aide de questions établies par des professionnels de santé, auprès des parents, de leurs enfants quand il y a autorisation, des voisins, des enseignants, sur les conséquences psychopathologiques qu’ont sur eux les expulsions d’enfants sans papiers. « Nous ne voulons pas inventer des pathologies, a expliqué Hervé Bokobza, ancien directeur des états généraux de la psychiatrie, organisés en 2003. Mais imaginer que l’exclusion de l’un bénéficie à l’autre est impossible. Exclure l’un, c’est exclure une partie de soi que l’on ne veut pas voir. Et cela nous revient en boomerang. Ainsi, les enfants d’une classe subissant le départ d’un camarade vivent alors cette angoissante question : "Est-ce que je serai le prochain ? " »

C’est bien de l’état du lien social dont il est question ici. Cette enquête, s’appuyant sur la mobilisation incroyable et concrète du Réseau Éducation sans frontières, au-delà de toute idéologie et morale de la solidarité, sera peut-être un bel outil de lutte, selon les résultats du second tour de l’élection présidentielle. Un outil « de protection du corps social dans son ensemble », précisait Miguel Benasayag.

Depuis le lancement de l’enquête, les premiers témoignages commencent à arriver sur le site (www.resfmiroir.org). Comme celui de cet homme de soixante-seize ans, « pas directement concerné par la traque des enfants sans papiers, si ce n’est que cela réveille en moi des souvenirs fort perturbants ». Des souvenirs de ces années de lycée où ses camarades porteurs de l’étoile jaune disparaissaient de la classe. « Ce dont nous sommes actuellement témoins réactive en moi un sentiment d’impuissance et une culpabilité latente non digérée. Également une haine viscérale de tout autoritarisme. »


Maud Dugrand


samedi 28 avril 2007


[www.educationsansfrontieres.org]
Et la terre se transmet comme la langue (Mahmoud Darwich).
p
1 mai 2007 00:13
Miguel Benasayag : « L’idée est d’inviter les gens à témoigner de cette perte, de cette blessure »

[www.humanite.fr]

Journal l’Humanité
Rubrique Société
Article paru dans l’édition du 27 avril 2007.

Société


Miguel Benasayag : « L’idée est d’inviter les gens à témoigner de cette perte, de cette blessure »


Le psychanalyste explique la genèse de l’enquête sur les conséquences des expulsions d’enfants.


Miguel Benasayag est psychanalyste et philosophe. Il est à l’initiative, avec le psychanalyste Hervé Bokobza, du lancement de l’enquête d’alerte de santé publique intitulée : « Notre société peut-elle sortir indemne de l’expulsion d’enfants sans papiers ? »


Comment est née l’idée de cette enquête ?

Miguel Benasayag. Il y a quelques mois, une professeure de Reims, ville où j’exerce dans un centre de consultation médico-psycho-pédagogique, m’a appelé pour me demander de recevoir d’urgence trois petits congolais. Toute la famille venait d’échapper à une expulsion musclée. Les voisins s’étaient interposés, le père s’était fait tabasser et le petit dernier de quatre ans s’était retrouvé menotté. J’ai proposé d’organiser un meeting public à Reims pour dénoncer l’indignité totale dont avait été victime cette famille, puis j’ai reçu les enfants. C’est à cette occasion que des professeurs et des directrices d’école m’ont raconté comment les choses se passaient au quotidien. Comment ils s’y prenaient pour faire sortir les mômes de l’école en les cachant... C’est là que je réalise que quelques milliers de mômes, que l’on dit « français de souche avec papiers », vivent en permanence dans un stess incroyable. Comment peuvent-ils comprendre que leur directrice ou leur prof incarnant l’autorité, cachent des enfants à la police, une autre autorité, censée les protéger ?

Vous évoquez un « effet miroir ». Qu’est-ce que cela signifie ?

Miguel Benasayag. L’effet miroir, c’est le miroir tendu au Français « Blanc et normaux », comme dirait Coluche. Ceux qui ne sont pas directement touchés par les expulsions. Nous souhaitons les interpeller : Pensez-vous que le corps social puisse être amputé impunément ? Pensez-vous qu’il est possible de voir partir sans conséquence pour vous, des enfants et leurs familles ? L’hypothèse de base de notre démarche, c’est de montrer que le lien qui nous lie aux autres n’est pas quelque chose d’optionnel. Ni de spirituel et surtout pas moral. Cette morale qui « narcissise » tellement la personne qui est solidaire de la pauvre victime ! Le lien n’a pas un seul bout, la victime. Le lien a au mois deux bouts. Si vous acceptez qu’une partie de celui qui est lié s’en aille, vous n’en sortirez pas indemne d’un point de vue de la santé.

Cette enquête, réalisée en temps réel et non pas après les faits comme c’est toujours le cas, s’appuie sur le Réseau Éducation sans frontières. Une initiative qui démontre justement qu’une partie de la société n’accepte pas cette amputation...

Miguel Benasayag. Oui, nous nous appuyons sur l’action très concrète de RESF. Mais nous ne savons pas jusqu’où les gens peuvent aujourd’hui témoigner de cette perte, de cette blessure. Car la société, c’est tout le monde. Tout n’est pas symétrique. C’est un ensemble conflictuel qui ne peut pas résoudre ses problèmes par amputation d’une partie des siens. C’est pourtant ce qui se passe aujourd’hui avec les expulsions d’enfants. On essaye de nous faire croire qu’il y a une différence entre un enfant sans papiers et un enfant avec papiers. Mais en réalité, cela n’a aucun sens.


Entretien réalisé par M. D.


samedi 28 avril 2007.



[www.educationsansfrontieres.org]
Et la terre se transmet comme la langue (Mahmoud Darwich).
 
Emission spécial MRE
2m Radio + Yabiladi.com
Facebook