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Les Marocains et la défiance face aux décisions gouvernementales en temps du coronavirus

De la célébration du festival «Boujloud» à Agadir à la ruée vers les routes pour voyager malgré l’interdiction des déplacements de/vers huit villes marocaines, ces derniers jours ont été marqués par l'irrespect des décisions prises par le gouvernement. Fatigue générale après de longs mois de confinement, dévalorisation d’une parole politique truffée de contradictions, point sur ce sentiment de défiance qui s'installe.

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Des jeunes à Agadir, samedi, pour célébrer le Festival «Boujloud». / DR
Des jeunes à Agadir, samedi, pour célébrer le Festival «Boujloud». / DR

Au Maroc, la hausse inquiétante des nouvelles infections au coronavirus n'a pas sucité une prise de conscience. Au contraire, le royaume se heurte à un relâchement général couplé à une défiance vis à vis des décisions prises par les autorités.

Dernière manifestation en date, la célébration d’un festival à Agadir en lien avec l’Aïd Al Adha. Alors que l’ONG organisatrice de l’événement a annoncé, il y a quelques jours, son annulation pour respecter les mesures préventives dictées par les autorités, des jeunes ont investi les rues de la capitale de Souss, samedi soir, pour fêter «Boujloud», sans masques de protection et sans respecter la distanciation physique.

Le même phénomène s’est produit la semaine dernière, lorsque plusieurs Marocains ont décidé de prendre la route et voyager, bravant la décision annoncée par les autorités marocaines d’interdire les déplacements depuis/vers 8 grandes villes marocaines.

«Nous avons l’impression qu’il y a eu un certain cafouillage au niveau du gouvernement», reconnait Dr. Chakib Guessous, médecin de formation, sociologue et anthropologue. Il rappelle à cet égard «l’annonce de l’allongement du confinement par le chef du gouvernement, suivie par la déclaration, le lendemain, du ministère des Finances autorisant les entreprises à reprendre» ou encore «la récente sortie de l’Aid Al Ahda, avec le chef du gouvernement appelant à la vigilance, puis celle des ministères de la Santé et l’Intérieur interdisant les déplacements vers/depuis 8 villes».

Une dévalorisation d’une parole politique truffée de contradictions

Pour lui, «il y a eu des discours contradictoires» et les Marocains «se sont préparés à voyager, avant qu’on leur interdise les déplacements à la dernière minute».  De plus, cette interdiction «n’a pas été suivie par un contrôle sur le terrain, comme en témoignent certains sur les réseaux sociaux».

«Aujourd’hui, la parole du gouvernement n’est pas suffisamment claire et compréhensible de la part de la population. On ne peut pas dire aux gens de rester confiner chez eux ce soir et d’aller travailler le lendemain.»

Chakib Guessous

Pour le sociologue, «le jour où les autorités ont allégé le confinement, les gens ont cru comprendre que tout revenait dans l’ordre». «La distanciation, tout comme le lavage des mains sont difficilement contrôlables, contrairement au port des masques mais l’Etat devait être intransigeant sur ce dernier éléments, car en laissant faire, les gens pensent que le risque a diminué», ajoute-t-il.

Le psycho-sociologue Mohssine Benzakour reconnaît lui aussi «plusieurs facteurs qui contribuent à ce phénomène, surtout le fait de ne plus croire aux décisions gouvernementales après l’erreur fatale de fermer 8 villes à la veille d’une fête». «Au Maroc, il y a ce qui est officiel, comme la décision de l’ONG d’annuler le festival à Agadir, mais il y a aussi l’officieux, comme ceux qui trouvent du plaisir à se déguiser dans le cadre de cette célébration», analyse-t-il.

«Les Marocains commencent à douter des décisions du gouvernement. Ils constatent qu’au début du confinement, le Maroc était cité en exemple, alors qu’aujourd’hui, nous constatons des chiffres inquiétants.»

Mohssine Benzakour

C’est ainsi qu’à «la vielle de l’Aid, les gens ont fait une course contre la montre pour voyager et ne pas se soumettre aux décisions de l’Etat», complète-t-il. Et de considérer que «cette confiance entre les peuples et les gouvernants et politiciens» redevient centrale de nos jours.

Un confinement long et des us et coutumes «contraignants»

Cette baisse de la côte du gouvernement auprès de la population, qui se traduit notamment par des illustrations ironiques, des caricatures et des blagues sur les réseaux sociaux doit aussi être prise dans son contexte.

En effet, elle intervient surtout après un confinement long, de plusieurs mois, ce qui a lourdement affecté plusieurs familles marocaines. «Nous sommes face à une maladie exceptionnelle et le confinement a été planétaire. Les gens ont été coupés de leurs habitudes et privés de leurs relations sociales», rappelle le sociologue Chakib Guessous.  

Ainsi, après «des décisions courageuses, importantes et exemplaires suivies par la population», le relâchement a été constaté dès le deuxième mois, ajoute-t-il, en expliquant que «ces Marocains avaient leurs raisons de sortir», notamment économiques, puisque «l’aide de l’Etat était importante mais pas suffisante».

«Pour une fois qu’ils pouvaient se retrouver, ils se sont lâchés. C’est ce qui s’est passé également en Europe pour la Fête de la musique. A un moment, nous avons besoin de nous divertir et de rencontrer autrui», souligne-t-il.

Mais il n’y a pas que cette fatigue qui se traduit ainsi en exaspération de la population. «Il y a aussi des us et des coutumes qui exercent une contrainte sociale au sein de la société marocaine», rappelle de son côté, le chercheur marocain en sociologie Zakaria Akdid. «Ainsi, au grand dam des décisions prises, ces us et coutumes se reconfirment et se reproduisent.»

«Depuis le début du confinement, les Marocains sont restés attachés à certaines pratiques, même si celles-ci sont en opposition frontale avec les mesures de l'état d'urgence sanitaire. Par exemple, pour les Tarawih, certains ont prié en groupe dans des maisons ou sur des toits.»

Zakaria Akdid

Pour le chercheur, «ces us et coutumes ont un sens pour le Marocain et il est difficile, à un moment donné, les lui interdire». «Même si nous parvenons à le sensibiliser au départ, à terme, il trouvera un moyen d'y revenir», conclut-il.