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Promotion nationale : Ces «presque-fonctionnaires» marocains, sans droits et sans salaires décents

Instrument mis en place dans les années 1960 pour régler le problème du chômage, la Promotion nationale a connu ses heures glorieuses. Mais aujourd’hui, des diplômés de l’enseignement supérieur, avec les mêmes salaires variant entre 1 200 et 1 800 dirhams, sans couverture sociale ni retraite, continuent de remplir les mêmes missions que des fonctionnaires au sein des administrations publiques.

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Une banderole lors d'une manifestation des licenciés de la Promotion nationale devant le Parlement à Rabat. / DR
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Beaucoup entendent parler des employés de la Promotion nationale, croyant qu’il s’agit surtout de personnel travaillant comme agents de nettoyage, chargés de jardinage ou de conciergerie. Mais cette catégorie d’employés de l’Etat, au statut particulier, occupent même des postes dans différentes administrations publiques. Ils sont des fonctionnaires ou presque. Bien qu’ils partagent les mêmes fonctions avec eux, ils ne sont pas rémunérés de la même façon et ne bénéficient pas de droits sociaux.

Said* est l’un de ces employés d’une administration publique à Taza depuis de longues années. Détenteur d’un diplôme universitaire supérieur, son salaire, qui ne dépasse guère 1 500 dirhams, n’évolue plus. Il raconte comment environ 250 employés de la Promotion nationale à Taza, sont dans la même situation : partager les mêmes tâches que des fonctionnaires et avoir les mêmes horaires, tout en étant rémunéré entre 1 200 dirhams et 1 800 dirhams.

«Nous n’avons pas droit au salaire minimum, ni à la retraite, ni à une couverture sociale.»

Said

Des missions de fonctionnaires et un «SMAG» depuis une vingtaine d’années

C’est le cas aussi de Fatima*, travaillant au sein d’une administration territoriale à Fès. «Nous sommes diplômés bac+4 et travaillons dans des administrations. Nous avons même des postes de responsabilités sans différence aucune avec les autres fonctionnaires», nous confie-t-elle.

Cette employée souligne aussi que certains d’entre eux ont travaillé ainsi pendant plus de dix ans, «sans justice sociale ou salariale». «Nous ne sommes pas soumis au règlement de la fonction publique ni au code du travail. Nous étions bons pour palier à une pénurie de fonctionnaires mais depuis, ils n'ont cessé de nous promettre une régularisation», déplore-t-elle. Cette Marocaine affirme même que les campagnes de régularisation touchaient «certains et pas d’autres, et répondaient ainsi à du clientélisme».

Embauchée par une «note de recrutement» en 1997, elle affirme avoir reçu des formations avant de rejoindre son poste. «Depuis, plusieurs fonctionnaires ont été recrutés sans que sa situation n’évolue. En 2010, il y a eu une circulaire appelant à la régularisation de tout le personnel de la Promotion nationale travaillant au sein des administrations publiques mais nous avions été surpris qu’ils régularisent cinq personnes seulement dans chaque ville», regrette-t-elle. Pis, les personnes régularisées étaient en fait «des employés ayant récemment rejoint ces postes».

Le dossier de cette catégorie de Marocains avait refait surface lors d’une question posée par une conseillère à la Chambre haute du Parlement, en novembre 2018. «Lorsque le ministre de l’Intérieur a été interpellé concernant notre situation, il a répondu en qualifiant certains d’entre nous de saisonniers travaillant dans des chantiers et affirmant que nos contrats prennent fin avec la fin de ces chantiers», fustige Fatima. Il a même ajouté que «les autres seraient des saisonniers dépendant du secteur agricole et payés au SMAG (Salaire minimum agricole garanti, ndlr)».

«Nous avons travaillé pendant 10, 20 ou 30 ans, où est ce qu’il est ce chantier dont le ministre parle et qui dure depuis des décennies ? Comment pouvons-nous travailler au sein du ministère de l’Intérieur tout en état des saisonniers agricoles ?»

Fatima

De la «misère» et de la «précarité» pour un instrument mis en place par l’Etat

De son côté, Hafida*, qui s’occupe du service RAMED au sein d’une administration publique à Marrakech, rappelle avoir rejoint son poste il y a une vingtaine d’année. «Je militais en tant que diplomée-chômeuse avant que l’Etat nous propose une intégration dans la Promotion nationale. C’était une solution temporaire, le temps de parvenir à trouver un emploi pour nous», se remémore-t-elle. Mais depuis, «toutes les portes se sont fermées» et elle ne quittera jamais cet unique emploi. 

Relèvant du ministère de l’intérieur, elle dit avoir découvert dans ce statut de «la misère» et de la «précarité». Touchant un salaire de 1 500 dirhams par mois depuis des années, elle rappelle que «ce montant ne couvre ni les frais de logement, ni la nourriture, ni les frais médicaux». «Nous sommes dans une anomalie, car n’étant pas des employés du secteur privé ni des fonctionnaires», ajoute-t-elle.

«Nous souffrons de maladies psychiques à cause de cela, car nous voyons des générations avancer et aller de l'avant, alors que rien ne change pour nous. Cela n'est pas acceptable.»

Hafida

Ainsi, depuis des années, ces employés de la Promotion nationale revendiquent d’être «reconnus comme fonctionnaires dans leurs administrations» et que leur situation soit régularisée. «Nous voulons aussi que notre ancienneté soit comptabilisée en prenant en compte le facteur de l’âge, car certains d’entre nous ont intégré l’administration à l’âge de 21 ans et sont aujourd’hui âgés de 50 ans», rappelle Fatima. «Nous demandons aussi à ce qu’une enquête soit ouverte pour déterminer les critères ayant permis de régulariser la situation de certains d’entre nous et pas d’autres», insiste-t-elle.

En attendant de voir le bout de tunnel, le personnel de la Promotion nationale, qui ne lâche pas prise, «continue de faire la queue pour recevoir son salaire dans une enveloppe» contrairement à leurs collègues fonctionnaires, conclut-elle.

* Les prénoms ont été changés