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La prudence de Chakib Benmoussa peut-elle disrupter le modèle de développement ? [Edito]

Comment transformer les dynamiques de développement d’un pays comme le Maroc. C’est la mission (impossible ?) dévolue à Chakib Benmoussa, qui préside la commission spéciale de réforme du modèle développement.

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Chakib Benmoussa, président de la commission spéciale sur le modèle de développement / Ph. Yabiladi
Temps de lecture: 3'

Juin 2020. C’est l’échéance annoncée pour la livraison du rapport sur le nouveau modèle de développement du Maroc. L’actuel ambassadeur du Maroc à Paris, qui devra en plus endosser pour quelques mois l’habit de président de la commission spéciale, a tenu à l’annoncer devant les acteurs de la presse marocaine réunie chez lui, ce dimanche après-midi. Un exercice qui n’est pas forcément le «kiff» d’un technocrate mais auquel s’est prêté Chakib Benmoussa de manière sobre et sérieuse.

Cette grande ouverture aux médias avait comme objectif de présenter les grandes lignes de la mission de cette commission. Le livrable tout d’abord qui sera un rapport remis au souverain fin 2020, devra comporter des propositions d’action. Ce travail qui aura un horizon au-delà d’un plan quinquennal mais pas tout à fait de la prospective de long terme, se présentera sous la forme d’un référentiel économique et social, insiste le président.

L’objectif étant à la fois de tracer un nouveau cadre de développement pour les décennies à venir, mais avec des actions ou des ruptures rapides afin d’amorcer une nouvelle dynamique. Car en effet, de l’attentisme dans lequel semblent se complaire les acteurs politiques du pays, découle l’anxiété de la population qui voit s’assombrir son horizon. Si depuis plus de deux ans, le Maroc est suspendu à cette nouvelle commission qui vient tout juste de naître, elle n’aura que 7 mois pour livrer son rapport. Ce décalage risque de se retrouver dans le gap entre les attentes des citoyens et acteurs économiques, et les recommandations futures et leur mise en œuvre.

Startupper ou cheminot ?

C’est à cette mission – que beaucoup qualifieront d’impossible – que doivent s’atteler Chakib Benmoussa et les quelques dizaines de membres de la commission. Si tous sont bénévoles, ils devront – difficulté supplémentaire – travailler parfois à distance et à côté de leurs obligations professionnelles. Des Marocain-e-s d’ici mais aussi résidant à l’étranger seront choisis en fonction de leur expertise dans leur domaine afin de rassembler un éventail de compétences large et offrir un nouveau référentiel de développement propre au Maroc. Le président a insisté sur la pluralité et la présence de sang neuf au sein de la commission. L’ambition est également de s’ouvrir sur les acteurs politiques, économiques et associatifs dans un cadre participatif à travers des consultations comme cela fût le cas pour les commissions précédentes : commission sur la réforme du droit à l’avortement, commission pour la réforme de la constitution, …

Si créer un consensus large, mais pas un consensus mou insiste Chakib Benmoussa, est nécessaire, ne risque-t-il pas de jouer en défaveur des propositions de ruptures nécessaires pour transformer l’économie ? Comment dans ces conditions déverrouiller les points de blocages face au poids des lobbies, à la prépondérance de l’économie de rente, et au poids de l’informel ? Alors que la commission n’aura qu’une fonction consultative, elle devra résister aux forces d’inerties conservatrices et dépasser notre aversion collective pour le risque. 

Compte tenu de tous ces freins, celles et ceux qui s’attendent à de la disruption à l’image du rapport de la commission Attali qui a inspiré – si ce n’est mis en marche – Emmanuel Macron avec sa vision de startup nation, risquent d’être déçus dans 7 mois. Plus qu’un big bang économique et social qui plongerait le pays dans l’inconnu, surtout au vu des contraintes budgétaires actuelles, il semble plus honnête d’envisager un nouvel aiguillage de la locomotive. Le profil même de Chakib Benmoussa plaide en faveur de cette prudente direction. La question qui reste posée : le train du développement sera-t-il aiguillé vers une nouvelle route du développement à vitesse réduite pour ne pas dérailler, ou bien vers une voie de garage dans l’espoir de voir retomber l’instabilité de la région ?