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HCP : Une gestion migratoire plus humaine contribuera au développement national

Dans son dernier Rapport national sur la population et le développement, le Haut-Commissariat au Plan consacre un chapitre à l’immigration au Maroc. D’après ses constats, une profonde réforme s’impose pour permettre aux migrants un large accès aux services publics, afin de les intégrer aux dynamiques économiques du pays.

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Photo d'illustration / Ph. DR.
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D’abord pays d’émigration avec 4,6 millions de ses ressortissants estimés comme vivant à l’étranger, le Maroc est devenu un pays de transit puis de destination de différentes nationalités, surtout celles d’Afrique subsaharienne, selon le HCP. Présenté mercredi à Rabat, son Rapport national sur la population et le développement consacre une partie importante à la question migratoire.

Publié 25 ans après le lancement du Plan d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement au Caire, ce document indique que si le royaume devient désormais une destination, le nombre de sa population étrangère reste faible, proportionnellement au chiffre global des habitants.

Sur 33,8 millions recensés en 2014, le nombre d’étrangers résidant au Maroc est de 84 001, soit 0,25% de l’ensemble de la population nationale, indique le HCP. «En comparaison avec le Recensement de 2004, l’effectif de la population étrangère au Maroc a enregistré un accroissement absolu de 32 566 étrangers», soit une hausse de 63,3%, ajoute-t-il.

Le rapport met en perspective historique et politique cette évolution, expliquant que depuis le Protectorat (1912 – 1956), «l’effectif des résidents étrangers qui culminait à 539 000 en 1952 est passé à 396 000 en 1960, accusant en l’espace de huit ans seulement une réduction de 27%». Cette tendance s’est accéléré après l’indépendance «pour atteindre en rythme de 72% entre 1960 et 1971, puis 45% entre 1971 et 1982» et enfin un rythme plus faible de «19% entre 1982 et 1994».

Un pays de plus en plus prisé par les étrangers

Mais depuis la moitié des années 1990, les chiffres ont été revus à la hausse, avec un nombre d’étrangers passé «de 50 mille à 51 435 en 2004 pour atteindre 84 001 en 2014». Inédite en son genre, cette analyse du HCP détaille la répartition géographique des populations migrantes à l’échelle nationale, où cinq régions restent «les plus attractives» en regroupant 84,8% (soit 71 220) de ressortissants.

Le Grand Casablanca-Settat vient en tête (36,5%, 30 683), suivi de Rabat-Salé-Kenitra (23,0%, 19 314), de Marrakech-Safi (10,2%, 8 555), de Tanger-Tétouan-Al Hoceima (8,5%, 7 144) et de Fès-Meknès (6,6%, 5 524). S’ensuit Souss-Massa (5,8%, 4 882), l’Oriental (4,6%, 3 897), Béni Mellal-Khénifra (1,5%, 1 250), Dakhla-Oued Ed Dahab (1%, 875), Laâroune-Sakia El Hamra (0,9%,775) Darâa-Tafilalet (0,9%, 757) et enfin Guelmim-Oued Noun (0,4%, 345).

Quant aux nationalités les plus représentées selon les régions, «le Grand Casablanca-Settat attire les Français, les Italiens, les Sénégalais, les Ivoiriens ainsi que les Syriens». Rabat-Salé-Kenitra, elle, «attire les Guinéens et les Libyens». «Les algériens quant à eux sont installés en majorité dans la région de l’Oriental. Et enfin les Espagnols sont installés dans la région de Tanger-Tétouan-Al Hoceïma».

Contrairement aux préjugés, ces chiffres et leur répartition géographique déconstruisent l’idée selon laquelle les régions du Nord seraient prisées en grande partie par les populations subsahariennes présentes au Maroc, qui seraient tentées par traverser vers l’Europe depuis Tanger, Nador, Al Hoceïma ou encore Tétouan.

Plus encore, «les ressortissants français sont majoritaires et représentent environ 25,4% (21 344)» des étrangers vivants au Maroc, affirme le HCP. Les sénégalais suivent, avec un pourcentage de 7,2% (6 066), devant les Algériens (6,8%, 5 710), les Syriens (6,2%, 5 225), les Espagnols (4,8%, 3 990), les Guinéens (2,9%, 2 424), les Ivoiriens (2,7%, 2 271), les Libyens (2,4%, 2013), les Italiens (2,3%, 1 970).

Par ailleurs, le nombre de réfugiés et demandeurs d’asile au Maroc a atteint près de 7 138 personnes jusqu’en 2017, «répartis sur 53 villes marocaines, et composés de 58,5% d’hommes contre 41,5% de femmes», indique le HCP en croisant des données du ministère des Affaires étrangères et de la coopération international, ainsi que ceux du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR).

Aussi ces demandeurs sont majoritairement Syriens, au nombre de 3 062. Ils sont suivis des Camerounais (701), des Guinéens (612) et des Yéménites (556). Là encore, ces populations se concentrent surtout dans les axes des grandes villes, à savoir Rabat (900 personnes, soit 18% des ressortissants), Casablanca (673) et Oujda (567), puis Kénitra (430), Témara (306), Tanger (259) et Meknès (233), mais pas dans l’extrême sud (Laâyoune) ou le Nord (Tanger-Tétouan-Al Hoceïma).

Peu de dispositifs d’accompagnement, pour peu d’étrangers

Dans ce même chapitre du rapport, le HCP décortique le degré d’accompagnement de ces populations, conformément à la Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA). Mise en œuvre depuis 2014, celle-ci priorise de «répondre aux besoins de catégories spécifiques de migrants, et notamment les migrants en situation irrégulière, les migrants régularisés, les réfugiés et les demandeurs d’asile et, plus généralement, toute personne étrangère en situation de vulnérabilité», rappelle le HCP.

Celui-ci indique encore que la SNIA se structure autour de sept programmes sectoriels : l’éducation et la culture, la jeunesse et les loisirs, la santé, le logement, l’assistance sociale et humanitaire, la formation professionnelle et l’emploi. Dans ce cadre, le Maroc a traité 27 649 demandes de régularisation entre 2014 et 2015 en répondant positivement à 23 096 d’entre elles. Une seconde phase lancée fin 2016 a permis de traiter 28 400 demandes, rapporte le HCP.

Cependant, la régularisation ne suffit pas. En effet, les sept programmes sectoriels de la SNIA ont prouvé leurs limites à assurer un accueil et une prise en charge efficace pour les migrants en situation de vulnérabilité. «Certains parents ont rencontré des difficultés quant à l’inscription de leurs enfants dans les écoles publiques marocaines en raison de la complexité et l’hétérogénéité des procédures d’inscription scolaire pour les enfants étrangers», constate le HCP.

Celui-ci souligne également «des problèmes linguistiques qui limitent parfois la communication et le contact avec les migrants». Par ailleurs, le HCP relève que nombre de migrants ne se rendent pas aux services de santé publique, par «peur d’être arrêté et reconduit aux frontières». «La langue (surtout dans le cas des migrants anglophones), et les différences culturelles posent des problèmes de communication et de compréhension des pathologies», en plus du «retard de mise en œuvre de l’assistance médicale des migrants».

En matière de logement, l’accès aux crédits de logement pour les migrants et les réfugiés n’existe pas, en plus du «nombre limité des établissements offrant un logement temporaire» et de «l’absence de structures d’accueil d’urgence pour les mineurs non-accompagnés et les victimes de la traite».

En termes d’assistance sociale et humanitaire, le HCP constate que peu d’informations remontent au sujet des plaintes déposées par les migrants et les réfugiés, ainsi que celles relatives aux bénéficiaires de l’assistance juridique, sur fond d’insuffisance de partenaires mobilisés pour les situations vulnérables urgentes.

L’urgence d’améliorer l’accès aux services de base

Afin de mieux accompagner les migrants du Maroc, conformément à la stratégie nationale en la matière, le HCP recommande principalement d’améliorer l’accès aux services public.

A cet effet, il préconise de généraliser la scolarisation des enfants migrants, via «l’amendement de la circulaire n° 13-487 afin de cibler toutes les nationalités, tous les enfants en situation régulière et irrégulière, immigrés et réfugiés, tous les cycles d’enseignement et l’éducation non-formelle, y compris l’enseignement des langues et de la culture marocaines et les programmes de soutien scolaire». L’institution appelle également à «l’intégration des immigrés et refugiés dans le programme d’aide à la scolarisation et de lutte contre la déperdition scolaire Tayssir».

Par ailleurs, «l’opérationnalisation du programme d’assistance médicale des migrants» est un impératif, rappelle le HCP, qui souligne l’importance de prendre en compte «la population migrante dans l’approvisionnement en médicaments et vaccins des structures de santé et des pharmacies situées dans des quartiers à forte concentration de la population migrante, ainsi que dans les effectifs du personnel médical».

Dans un autre registre, le HCP recommande de faire bénéficier ces populations du crédit-logement «à travers des conventions avec les banques marocaines», ou encore l’augmentation des hébergements temporaires et d’urgence, avec la participation des collectivités locales. Chemin faisant, l’institution insiste sur l’adaptation des modules de formation professionnelle aux besoins et aux contraintes des migrants.

«Des efforts considérables doivent encore être déployés pour accompagner les changements que connaît la démographie du pays et se préparer à ceux prévus dans un avenir proche», souligne encore le HCP, en mettant la question migratoire dans un cadre national global rattaché aux questions du développement de la population.