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Abderrahman Youssoufi : Mémoires d’un homme d’Etat au coeur d’un passage de règne

Quinze ans après son retrait de la vie publique, l’ancien Premier ministre Abderrahmane Youssoufi sort de son silence à travers la publication de ses mémoires, documentant ainsi une partie considérable de l’histoire du Maroc.

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Abderrahmane Youssoufi / Ph. DR.
Temps de lecture: 4'

Ancien Premier ministre et figure emblématique de la résistance, de l’opposition, de la gauche marocaine puis du gouvernement d’Alternance, Abderrahmane Youssoufi livre un récit de vie inédit. C’est ainsi que ses mémoires constituent un témoignage vivant sur nombre d’épisodes historiques ayant marqué la vie politique du Maroc.

Le militant y évoque justement son passé au sein de la résistance, son engagement pour l’édification de la gauche marocaine durant les années 1950, 1960 et 1970, ainsi que sa contribution à la fondation de l’Union socialiste des forces populaires (USFP).

En filigrane, il revient sur le décès du roi Hassan II (1961 – 1999), l’allégeance à son successeur Mohammed VI, ainsi que sur sa décision de se retirer de la vie politique. Dans ce sens, l’un des chapitres revient sur la fin de l’Alternance, que Youssoufi aura menée à la tête de deux gouvernements successifs, entre 1998 et 2002. 

Le Maroc de la fin des années 1990, la fin d’un règne

Rédigées par le militant et ancien membre de l’Instance Equité et Réconciliation (IER), M’Barek Bouderka, les mémoires d’Abderrahmane Youssoufi reviennent longuement sur cette période ainsi que sur plusieurs faits politiques, ayant marqué un tournant dans l’histoire du Maroc aux XXe et XXIe siècle.

Dans un chapitre, l’ancien Premier ministre évoque l’état de santé de Hassan II peu avant son décès. Ainsi, il relate avoir été profondément surpris en apprenant son hospitalisation. «Cette nouvelle tomba brusquement, le 23 juillet 1999, au moment où j’attendais les instructions royales pour préparer le planning de la semaine», raconte-t-il dans l’ouvrage.

Après quoi, Abderrahmane Youssoufi s’est rendu au CHU Avicenne de Rabat, où il décrit une ambiance grave :

«A mon arrivée, je me dirigeais vers le bloc où était admis Feu Hassan II, mais les médecins interdisaient l’accès à la chambre. L’atmosphère était pleine d’incertitudes. Tout le monde priait pour que le roi reste en vie, même si les visages des plus proches disaient bien que la fin n’était pas loin, et que l’état de santé de Hassan II avait évolué plus rapidement que prévu. Après la prière d’Al Asr, le prince héritier Sidi Mohammed m’appela pour me préparer à la fatalité.»

Youssoufi raconte avoir reçu, plus tard, un second appel, lui annonçant le décès de Hassan II :

«Sidi Mohammed donna ses instructions pour la diffusion de psalmodies coraniques sur les chaînes et les télévisions publiques. Il préparait un discours pour s’adresser à la nation.»

Un troisième appel a informé Abderrahmane Youssoufi des préparatifs pour la cérémonie d’allégeance au roi Mohammed VI, afin de coordonner avec le ministère du Protocole pour l’accueil des invités. L’ancien Premier ministre évoque «une journée difficile à vivre», surtout avec ses «longs moments d’attente et d’incertitude, exigeant de chacun patience et ténacité pour mener à bien toutes les tâches nécessaires».

Une cérémonie d’allégeance particulière

Plus loin dans ses mémoires, Youssoufi évoque le déroulement de la cérémonie d’allégeance, indiquant avoir apprécié son ton «résolument plus moderne, lui ayant donné un véritable aspect juridique». Le militant de gauche décrit un cérémonial où il a vécu «un moment d’honneur historique», d’autant plus qu’il relate avoir eu «l’honneur d’être le premier signataire, après la famille royale, du document d’allégeance». Un geste qui constitue une fierté pour lui, ainsi que «pour [son] parti et [son] mouvement» progressiste.

«Je rencontrai le prince héritier, devenu désormais roi Mohammed VI, le jour du décès de Feu Hassan II et peu avant d’annoncer le triste évènement au peuple marocain. Ce jour-là comme le jour de la réception des condoléances ou lors de la cérémonie d’allégeance, je retrouvais à chaque fois un homme très courageux et patient malgré la douleur due à la perte de son père. Il avait conscience de la grande responsabilité qu’il devait déjà assumer. Il souhaitait me compter parmi les invités du dîner officiel ayant suivi l’allégeance, mais je rentrai à mon domicile à la fin de la cérémonie.»

Une déviation du processus démocratique

Les mémoires de Youssoufi abordent, par ailleurs, l’élection législative du 27 septembre 2002. A l’issue du scrutin, l’USFP arrive en premier, avec 50 sièges. Selon l’ancien premier secrétaire du parti, «le Maroc avait enfin réalisé des élections transparentes qui n’avaient pas été contestées».

Peu après l’annonce des résultats, Mohammed VI et Youssoufi se sont rencontrés. Ce dernier rappelle quelques points de l’entrevue :

«Je proposai au roi de présenter ma démission de la Primature, afin de lui permettre de désigner un nouveau Premier ministre. Le souverain avait connaissance de ma volonté de me retirer d’un tel poste de responsabilité, mais il a préféré retarder mon départ.»

Au sein du parti de la Rose, l’heure est à la célébration. Les camarades d’Abderrahmane Youssoufi, alors premier secrétaire de l’USFP, s’attendent à une décision de Mohammed VI de reconduire le numéro 1 du parti à la tête du gouvernement, ou le cas échéant, une autre figure issue de leur formation. Cependant, le choix du roi s’est porté sur un Premier ministre technocrate, sans appartenance politique (SAP) : Driss Jettou.

«Le 9 octobre 2002, Mohammed VI présida un Conseil des ministres à Marrakech, le dernier sous le gouvernement d’Alternance. Le roi salua mes efforts à la tête de la Primature, malgré ma situation de santé nous ayant empêché de réaliser nombre de projets, sous Feu Hassan II ou pendant le nouveau règne.» A l’issue de cette séance, la conversation entre Mohammed VI et le Premier ministre a continué :

«Le souverain m’annonça son intention de désigner Driss Jettou pour me succéder. Je le remerciai d’avoir donné suite à ma requête, tout en lui rappelant que la constitution (de 1996) lui donnait le droit de désigner à la Primature la personne qu’il souhaitait, mais que le processus démocratique préconisait de nommer un Premier ministre issu du parti classé premier dans les résultats de vote. Conformément à cette logique, un membre de l’USFP devrait être à la tête du gouvernement.»

Malgré cette divergence, Youssoufi souligne que le contact entre le roi et lui est resté chaleureux jusqu’à l’écriture de ces mémoires :

«Même lorsque j’avais présenté ma démission, décidant de me retirer définitivement du parti et de l’action politique, le souverain me transmit un courrier reconnaissant mon travail pour le pays, tout au long de mon parcours politique. Aussi il me convia aux réunions familiales dès que l’occasion le permettait. De temps en temps, il me confiait quelques missions et insistait sur le fait que je ne devais pas exprimer de réserves sur mes éventuels refus. Ce fut notamment le cas en 2003, lorsqu’il me proposa de diriger l’Instance équité et réconciliation (IER).»