Menu

interview_2

France : «La rivalité entre l’Algérie et le Maroc impacte l’organisation de l’islam» [Interview]

L’islamologue Rachid Benzine estime qu’une rupture avec les pays d’origine ne garantira pas l’apaisement de l’islam français.

Publié
L’islamologue Rachid Benzine est notamment l’auteur de «Nour, pourquoi n’ai-je rien vu venir ?» (Le Seuil, 2016). Marc Rosereau - Maxppp
Temps de lecture: 3'

Dans une longue tribune publiée dimanche 11 janvier dans le Huffington Post, l'islamologue franco-marocain Rachid Benzine remet notamment en question l’organisation et la gestion du culte musulman en France, pris en étau entre l’islam identitaire et l’islam traditionnel.

De quels mauvais diagnostics parlez-vous ? Quels sont au contraire, d’après vous, les bons diagnostics à poser pour éviter qu’un «islam militant» prenne le dessus ?

Lorsqu’on regarde la réalité du terrain, on se rend compte qu’elle est plurielle. L’islam est aujourd’hui traversé par un certain nombre de courants. Ceux qui ont le vent en poupe dans la plupart des mosquées, c’est le mouvement des salafistes et des Frères musulmans. Parallèlement à cet islam officiel que reçoit Emmanuel Macron, il y en a tout un autre, non officiel, qui lui n’a pas besoin de l’Etat pour s’organiser. C’est pour ça que je dis qu’il faut faire attention à avoir les bons partenaires. Il faut à mon sens partir de la réalité du terrain, beaucoup plus que partir d’un schéma qui viendrait d’en haut vers le bas.

Vous soulignez une distinction «chère à toute une partie de la droite» : islam de France et islam en France. Pourquoi ?

Il y a effectivement toute une partie de la droite qui dit que nous ne voulons pas un islam en France, mais un islam de France, c’est-à-dire un islam qui épouserait les valeurs de la République, notamment la séparation du religieux et du politique, la liberté de conscience, l’égalité homme-femme, etc. C’est tout cela qu’il y a derrière l’islam de France. Aujourd’hui, le christianisme et l’islam sont deux religions qui ont une vocation universelle. Il y a ensuite des traditions historiques de ces islams-là ; si vous regardez l’islam en Angleterre, en France, cela ne donne pas la même chose.

L’islam est pluriel, aussi bien sur le front culturel, théologique et juridique. La manière de le vivre est aussi liée à une culture. Outre les cinq piliers, la façon d’être musulman dans un pays musulman, comme le Maroc par exemple, n’est absolument pas la même que celle qui prévaut en Irak, en Afghanistan, en Iran ou en France. Les sociétés produisent un certain type de religieux : même si les religions ont une vocation universelle, il n’empêche que leurs traductions, concrètes, pratiques, changent d’un pays à un autre.

Vous évoquez plus loin le conflit entre l’Algérie et le Maroc qui «paralyse depuis quarante ans la plupart des initiatives de construction d’institutions musulmanes ‘françaises’».

Je dis deux choses : la première, c’est qu’Emmanuel Macron aimerait en finir avec ce qu’on appelle l’islam consulaire. Pendant une quarantaine d’années, les institutions musulmanes en France n’ont pas pu travailler à cause des rivalités entre le Maroc et l’Algérie. Derrière ça, il y a bien sûr la question du leadership religieux. Les conflits entre les deux pays se retrouvent dans les institutions musulmanes en France.

La deuxième chose que je dis, c’est que ce n’est pas parce que nous nous serons déconnectés, que nous aurons coupé les ponts avec les pays d’origine que l’islam français sera un islam apaisé. Ce n’est pas du tout la réalité ; l’islam militant qu’on retrouve dans beaucoup de mosquées est très identitaire, très ostentatoire. La rupture avec les pays d’origine n’est pas un gage que l’islam français sera apaisé. Au contraire, il sera beaucoup plus identitaire, parfois politique. Il vaut mieux avoir un islam traditionnel, travailler avec les pays d’origine et proposer des formations à travers une collaboration très étroite pour que les imams répondent aux exigences des musulmans de la société française. Un imam doit à la fois avoir le savoir traditionnel, qui est encore dans les pays d’origine, et pouvoir ajouter à cela tout l’apport universitaire académique que nous avons dans les universités françaises.

Quelles sont justement les exigences des musulmans de la société française ?

Si certaines institutions n’ont pas fonctionné, c’est parce qu’il n’y a pas de figure charismatique qui fasse l’unanimité. De plus, la plupart des musulmans de France ne souhaitent pas avoir d’institutions qui les représenteraient. Il faut distinguer deux choses : l’islam des associations militantes, des mosquées, et la grande partie des musulmans, qui eux se rendent rarement à la mosquée. La première chose qu’ils veulent, c’est rentrer chez eux une fois que la prière est terminée. Il ne faut pas lire le prisme de la pratique musulmane à l’aune des mosquées et des associations. Ce sont deux choses distinctes.