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France : L’arabe au banc des accusés [Edito]

Au pays de Descartes s’est ouvert une forme de procès des plus atypiques : celui de l’arabe. Chroniqueurs et journalistes en habits de procureurs, les plateaux de télévision en guise de tribunaux.

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«Accusée, levez-vous !» Droite comme un alif, la langue arabe se mit debout, ôtant l’hamza qui couvrait sa tête altière. Elle qui a accompagné tant d’illustres poètes, savants et artistes (Abû Nuwâs, Al Moutanabbi, Ziriab, Ibn Hazm, Oum Keltoum, Gibran Khalil Gibran), ne comprenait pas ce qu’elle faisait ici. Elle n’est qu’une langue parmi les milliers utilisées par les différents peuples de la Terre. Mais voilà, de l’arabe voleur de mobylette des années 70-80, la langue du même arabe (ou presque) et cette fois accusée de terrorisme, de grand remplacement, et donc de menace pour la France.

Bien fragile doit être l’image de cette identité française chez ces nouveaux Torquemada linguistiques, pour craindre une moitié de chanson américaine chantée en arabe, dans un télé-crochet à l’intitulé non gaulois : The Voice. Hallelujah !

On se croirait revenu un siècle auparavant avec les Hussards noirs de la République humiliant des enfants bretons ayant eu le malheur de prononcé quelques mots dans la langue de leur région. 1918, Maiwen de Quiberon, 2018, Mennel de Besançon : même violence, même hystérie contre une langue, même humiliation qui marquera des générations.

Accusée d’être raciste, Isabelle Morini-Bosc se défendra en accablant encore plus l’arabe. Quand on s’autoproclame procureure, on ne va pas se laisser accuser sans attaquer.

Un historique chargé

L’épisode de la jeune Ibtissem qui a mis le «seum» à toute la frange réac’ sévissant dans certains médias et sur les réseaux sociaux, n’est pas un cas isolé de «crime linguistique» en direct à la télé. En novembre 2015, sur le plateau d’i-télé (devenu Cnews entre-temps), Olivier Galzi s’est montré très gêné par l’intervention en arabe de Mohamed Chirani, menacé de mort par Daech.

Pourtant, le consultant en islam avait bien précisé qu’il traduirait ses propos en français juste après. Chirani avait même pris soin de s’excuser au préalable. Un acte de contrition qui ne pèsera pas lourd chez Olivier Galzi, qui l’interrompt pour un interrogatoire des plus gênant, retardant ainsi la traduction tant attendue. Malaise TV !

Il faut aussi reconnaitre qu’avant d’envahir le petit écran, la langue arabe s’était invitée dans les écoles en 2015. De quoi effrayer des parents d’élèves en Corse, qui ont refusé catégoriquement que leurs enfants chantent un couplet en arabe de la chanson Imagine de John Lennon. En revanche, pas de problème pour les quatre autres langues utilisées, le danger ne semblant venir que de la langue des Sarrazins.

Et le procureur Torquemada d’intervenir violemment dans mon édito : «Objection ! L’avocat de la langue arabe oublie de préciser le contexte. Le 7 janvier 2015, la France s’est réveillée dans l’horreur des attentats islamistes.»

Dans ce cas, rembobinons encore la cassette de l’hystérie sur la langue arabe. Que dire de cette polémique stérile sur une berceuse en arabe dans une classe de CP-CE1 d’une école du Gard ? Comment reprocher l’apprentissage d’une chanson aussi douce issue du film d’animation FRANÇAIS Azur et Asmar ?

Daech interdit la musique à l’école

De 2011 à aujourd’hui, rien a changé dans les réactions épidermiques d’une frange de la société française voyant dans la langue arabe -comme dans l’islam- un coupable idéal. La violence et le rejet sont les mêmes, mais la puissance des réseaux sociaux ont rendus ces attaques plus fréquentes.

C’est ainsi que tout récemment, le corps enseignant d’un collège niçois a subit les foudres de parents d’élèves pour avoir tenté de faire chanter les enfants en classe de 5e, Lamma bada, une complainte amoureuse arabo-andalouse. Comment peut-on être obtu à ce point pour priver ses enfants d’une si belle mélodie ? Ecoutez-donc ! Comment ne pas s’émouvoir au son vibrant de cet orchestre philarmonique ? Comment ne pas être ému par la polyphonie des 300 choristes venus d’horizons différents, chantant en arabe un chant d’amour du XIIe siècle ?

Agacé, le Torquemada du verbe, s’invitera à nouveau dans mon édito pour me couper : 

«Nous ne sommes pas des coeurs d’artichauts. Votre arsenal sentimental saupoudré de sucre frelaté ne passera pas la douane de la raison républicaine. Tel l’alchimiste vous manipulez l’alambic pour distiller votre poison. Car nous le savons tous, votre projet final est de remplacer les jupes par le voile, l’alcool par le café, et notre identité gauloise par l’arabe.»

Pris dans son ivresse identitaire, Torquemada ne se rendait pas compte qu’il venait d’utiliser des mots arabes dans chacune de ses phrases. D’alleurs, la langue française ne comporte-t-elle pas plus de mots d’origine arabe que gauloise ? 

Humour belge / DRHumour belge / DR