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Maroc : Tous nos maux dans un bus ? [Edito]

Cantonnée dans les profondeurs de nos égouts, les déchets et odeurs pestilentielles qui remontent de plus en plus fréquemment à nos narines à la faveur des smartphones et des réseaux sociaux, indisposent de plus en plus nos concitoyens marocains. Mais que se passe-t-il au royaume du 3am zine ? Le pays semble s'être réveillé avec la gueule de bois en ce jour de fête de la Jeunesse au Maroc.

Publié
Bus à Casablanca / DR
Temps de lecture: 3'

La vidéo de l'agression sexuelle dans un bus de Casablanca de la jeune Imane par une bande de garçons à peine plus âgés qu'elle, a déclenché une vague d'indignation. Une réaction plutôt saine au royaume où la fréquence du harcèlement sexuel - voire les agressions et les viols - est insupportable, comme nous le relations sur Yabiladi il y a quelques jours. Mais reconnaissons que notre courage sur les réseaux sociaux est loin de se transformer en témérité dans la rue lorsqu'un jeune homme tabasse sa copine, ou comme dans le cas présent une agression sexuelle en réunion s'opèrant en plein jour dans un bus de la capitale économique.

Preuve du malaise profond : les réactions (virtuelles) d'adultes face au comportement abject de cette bande d'adolescents. Si certains ont réclamé que justice soit faite et qu'ils soient condamnés à la peine de mort (selon le code pénal, l'agression sexuelle en réunion même aggravé par l'âge de la victime et son état mental est passible d'une peine de prison assortie d'une amende), d'autres sont allés beaucoup plus loin. «Pendons-les en public», «il faut les brûler vif», «coupons leur les mains», «butez-les !», ai-je pu lire ce matin sur les comptes de personnes adultes, et a priori intellectuellement et socialement favorisées.

Certains lecteurs ne verront pas de problème à invoquer cette loi du talion revisitée tant ils sont pris par l'émotion et le dégoût provoqués par les images de détresse de cette jeune fille. Ils tombent pourtant en pleine contradiction intellectuelle : vomir l'acte ignominieux d'adolescents traités de «sauvages» ou de «Awbach» et revendiquer avec aplomb de leur infliger les pires des sauvageries pour leur rédemption. Ces appels à une justice populaire expéditive pourraient être ignorés s'ils ne se transformaient en lynchage pur et simple comme celui subi en 2015 par un jeune homme habillé en femme à Fès. Cette attitude violente ciblant un individu ou un groupe d'individus a été décryptée par le philosophe et anthropologue René Girard, reprenant le concept de bouc émissaire. Ce comportement social vise à évacuer le trop plein de violence intrinsèque à notre société qui ne trouve ni apaisement dans la justice, ni dans le débat qui nous fait encore cruellement défaut.

Le bus Yacoubian

Si notre système éducatif prend l'eau de toute part laissant toute une génération à la dérive, il ne serait être le seul responsable. Les adultes que nous sommes oublient à la fois l'importance et la centralité de la justice pour régler les conflits au sein de notre société, mais également notre rôle dans les comportements de NOS enfants. Combien de Abdelaziz (personnage réel) sont parmi nous ? Des hommes (mais aussi des femmes) qui expliquent - voire justifient - l'agression subie par la jeune adolescente du bus par sa tenue jugée provocante. Allons plus loin : combien de parents ont étouffé une affaire de viol commis par leur fils en soudoyant les parents de la victime, la police ou la justice ? Combien d'adultes ont soutenu le chanteur Saâd Lamjarred inculpé dans une affaire de «viol aggravé» et «violence volontaire» à Paris en rejetant la faute sur la victime sans même attendre le jugement ?

Que dire de ceux qui tentent de circonscrire le mal aux «Awbach» des milieux populaires ? Le font-ils par ignorance ou pour protéger la caste sociale à laquelle ils appartiennent ? Les agressions sexuelles et les viols transcendent les milieux sociaux. De nombreuses «petites bonnes» en savent quelque chose, avec les assauts du père de famille ou du fils en quête d'une première expérience sexuelle. Ce genre de viol commis par les plus nantis passe trop souvent sous les radars de la justice, sauf quand les victimes ont les moyens de mobiliser les médias et la justice, comme Jihane et Hiba qui ont réussi à faire condamner leurs agresseurs à 4 ans de prison pour viol en première instance en 2013.

Un verdict qui aurait pu servir d'exemple contre l'impunité des violeurs, mais les familles des deux victimes pardonneront à leur bourreaux en 2014.

Finalement, cette sordide affaire d'agression sexuelle sur mineure a fait office de synthèse d'une foultitude de comportements souvent rationnels, parfois ambigus, voire même hypocrites, face à cet enfer vécu par trop de filles/femmes au sein de notre société. Ce bus délabré de Casablanca est un peu notre Immeuble Yacoubian raconté par Alaa al-Aswani. Il n'est pas fortuit que je prenne comme exemple ce roman qui se déroule en Egypte. Un pays qui, à force de se voiler la face, a vu son espace public se transformer en zone d'insécurité pour les femmes. Une situation parfaitement décrite par le film «Les femmes du bus 678» de Mohamed Diab. A défaut de connaître le numéro du triste bus qui a servi de piège d'acier pour Imane, baptisons-le «bus 678» en hommage à toutes les femmes victimes de harcèlement ou d'agressions sexuelles.