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Un nourrisson congolais en instance d’expulsion ; le droit marocain encore bafoué selon le Gadem

D’après l’association chargée de l’aide aux migrants, cette décision, toujours suspendue aux lèvres des autorités, fait une entorse au droit marocain et aux conventions internationales ratifiées par le Royaume. Détails.

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Un nourrisson congolais (RDC) de cinq jours est actuellement en instance d’expulsion avec sa mère. / DR
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Un nourrisson congolais (RDC) de cinq jours est actuellement en instance d’expulsion avec sa mère, indique le Groupe antiraciste d'accompagnement et de défense des étrangers et migrants (Gadem) dans un communiqué.

Le 11 mars dernier, une dénommée Mandika, enceinte de neuf mois, était en transit à l’aéroport Mohammed V de Casablanca en partance pour Berlin, lorsque la police aux frontières (PAF) a décidé de la maintenir en zone d’attente dans l’intention de la renvoyer, le jour même, dans son pays d’origine. Les autorités marocaines ont invoqué une «falsification» de son visa Schengen pour l’Allemagne.

En raison de l’imminence de son accouchement, la compagnie aérienne a refusé de la faire embarquer et a réclamé son transfert d’urgence à l’hôpital Ibn Rochd de Casablanca où elle a été placée sous surveillance policière. Elle a accouché deux jours plus tard. D’après les informations obtenues par le Gadem lundi 20 mars, la ressortissante congolaise et son bébé de cinq jours font toujours l’objet d’une décision de reconduite à la frontière. Elle n’a par ailleurs jamais reçu de notification écrite de la décision administrative d’éloignement, précise l’ONG. Yabiladi a tenté de contacter la PAF de l'aéroport Mohammed V de Casablanca pour entendre leur version, sans succès.

Une mesure qui prend le contre-pied du droit marocain…

«A l’heure actuelle, la décision des autorités est toujours suspendue. La jeune femme a seulement reçu un avis oral l’informant qu’elle allait être expulsée. Or, aucun mineur ne peut faire l’objet d’une expulsion, conformément au droit marocain et aux engagements internationaux ratifiés par le Maroc (la Convention internationale des Droits de l’Enfant et la Convention de l’ONU sur la protection des droits des travailleurs migrants et des membres de leur famille, entre autres, ndlr). Le nouveau-né ne peut être séparé de sa mère, ça relève d’une ‘logique humaine’. Par conséquent, elle ne peut pas être expulsée non plus», plaide Camille Denis, coordinatrice au Gadem et spécialiste de l’évaluation des programmes de développement, jointe par Yabiladi.

L’article 26 de la loi n°02-03 relative à l'entrée et au séjour des étrangers au Royaume du Maroc, à l’émigration et l’immigration irrégulières ne laisse pas de place au doute : «Ne peuvent faire l'objet d'une décision d'expulsion (…) la femme étrangère enceinte [et] l’étranger mineur.» De même que l’article 29 : «Aucune femme étrangère enceinte et aucun mineur étranger ne peuvent être éloignés.»

De plus, Camille Denis regrette qu’une étape fondamentale de la procédure ait été éclipsée : «L’expulsion est une décision d’ordre administratif prise par un juge, lequel doit indiquer les motifs de l’expulsion pour permettre à la personne d’avoir affaire à un avocat et, éventuellement, à un traducteur. Or dans ce cas, la jeune femme n’a pas pu émettre un recours car la procédure n’a pas été respectée.»

…face à un arsenal législatif contradictoire et désuet

Tandis que la coordinatrice du Gadem déplore la fréquence des placements de voyageurs étrangers dans la zone d’attente de l’aéroport - uniquement réservée à l’expulsion - sans respect des procédures ni protection juridique des ressortissants, Mehdi Alioua, président de l’ONG, soulève une autre problématique. Après les attentats du 16 mai 2003 à Casablanca, l’Union européenne a sommé le Maroc de mettre à jour son arsenal législatif en matière de sécurité intérieure, hérité du Protectorat français. «La loi 02.03 et la loi 03.03 relative à la lutte contre le terrorisme ont été votées en même temps (en 2003, ndlr). On a associé immigration et terrorisme dans un but répressif. La loi 02.03 pose donc un certain nombre de problèmes car elle permet à la police de faire beaucoup de choses. Dans ce sens, elle est répressive», explique à Yabiladi le responsable de l’association.

Parallèlement, ce texte comporte des éléments de protection : les expulsions sont individuelles et non collectives. De plus, aucun étranger ne peut être expulsé à destination d’un pays où «sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements inhumains, cruels ou dégradants», énonce l’article 29.

Le président du Gadem pointe toutefois le caractère «caduc» de la loi 02.03, notamment depuis le lancement de la nouvelle politique migratoire, en septembre 2013. Hormis la ratification par le Maroc de plusieurs conventions internationales pour la protection de l’enfance et des migrants, la Constitution de 2011, via l’article 30, ampute également cette loi de la légitimité qui lui était autrefois conférée : «Les ressortissants étrangers jouissent des libertés fondamentales reconnues aux citoyennes et citoyens marocains, conformément à la loi.» Un projet d’amendement est en cours.

Outre le cadre législatif, le volet administratif doit aussi être remis au goût du jour. Mehdi Alioua de préciser : «Derrière, il y a toute une administration qui doit être mieux formée pour éviter qu’elle devienne arbitraire. Les affaires qui éclatent au niveau des frontières donnent une mauvaise image du Maroc, notamment en Afrique subsaharienne. Notre rôle, en tant qu’association chargée de la protection des migrants, c’est aussi de participer à la valorisation de l’image du Maroc. La société civile doit donc être associée lors de l’examen des projets de loi. Faute d’être informés à temps, on est parfois contraints d’agir une fois que le mal est fait. On ne peut plus se le permettre.»

article_updated 2017/03/21 a las 19h26