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Histoire : L'élevage porcin au Maroc au XIXe siècle

Avec les arrivées des Européens au Maroc au XIXe siècle, l'élevage porcin s’est tellement répandu au Maroc au point de nécessiter un accord entre les autorités du royaume chérifien et les représentants des européens. Un accord qui ne sera pas respecté à la lettre, provoquant le mécontentement des riverains et du Makhzen.

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Photo d'illustration. / DR
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Au XIXe siècle, la présence européenne au Maroc se développe tellement que les modes de vie européens commencent à se répandre de plus en plus parmi les Marocains. Les Européens y ont pratiqué de nombreuses activités alors interdites dans le royaume chérifien. Bien que la société marocaine connaisse aussi certaines de ces interdictions avant le XIXe siècle, la portée de leur diffusion était étroite avant de se répandre avec l'expansion des intérêts étrangers au Maroc.

L'élevage porcin faisait partie de ces activités interdites qui se généralisaient à l’époque. En effet, dans «Pig Breeding in 19th Century Morocco : A Study in the History of Taboos», le chercheur Yahya Basraoui s’est intéressé à la question. Son étude historique passe en revue l'impact de cet élevage sur l'économie et la société marocaines, en montrant comment les autorités marocaines ont été incapables de résister aux pressions européennes.

Le chercheur explique ainsi comment la présence croissante des Européens au Maroc au cours du XIXe siècle a contraint le Makhzen à leur permettre de mener leur vie comme d'habitude, même si certains de leurs modes de vie étaient contraires aux croyances des Marocains, comme boire de l'alcool ou encore manger du porc. Et alors que ces pratiques étaient interdites dans la religion musulmane, il fallait lors les légaliser et mettre en place des conditions garantissant le droit des Européens à une vie ordinaire tout en veillant au respect des spécificités et de la culture du pays d’accueil. «Si les étrangers et les dhimmis, par exemple, étaient autorisés à importer suffisamment de vin sans exagérer, les étrangers étaient autorisés de la même manière à élever et manger du porc selon des conditions qui garantissent leurs droits matériels et moraux et détermine leur consommation, dans le cadre d'un accord particulier entre le Maroc et les pays européens», explique-t-il.

Un élevage répandu dans des villes et des villages

Avant le règne du sultan Muhammad IV, aucune mention de la question de l'élevage porcin dans les sources ou les documents n’est faite. La multiplication du nombre d'étrangers au Maroc suite à la signature de l'accord de 1856 avec l'Angleterre, qui a encouragé les Européens à renforcer leur présence dans divers domaines, a joué un rôle majeur dans la diffusion de l'élevage porcin. Depuis cette date, ce processus a commencé arbitrairement et s'est répandu dans le pays jusqu'à ce que ses habitants commencent à se plaindre de ses dommages, ce qui a joué un rôle décisif dans la conclusion de cet accord.

L’étude situe le début de l'élevage porcin au Maroc par les Européens vers l’année 1864, en citant une lettre de Mohammad Barqash adressée au Caïd Mohammad al-Khidr al-Salawi. Compte tenu des graves dommages que les porcs ont laissés en raison de leur multiplication et de leur nombre croissant, une loi a été établie pour réglementer son élevage et limiter son nombre à une certaine limite en l'année 1868. Ainsi, une réunion a eu lieu entre les autorités du Maroc et les représentants des européens à Tanger en 1868 AH pour définir les contours dudit accord. Mohammad Barqash y prenait part, en tant que représentant du Makhzen.

Selon le chercheur, l'accord stipulait que «le cochon n'est pas autorisé dans les villes» alors qu’une famille «n’a pas le droit d’avoir plus d’un cochon». De plus, chaque famille ne respectant pas l’accord est condamnée à payer «un ryal pour chaque tête». L’accord ajoute notamment que l’animal doit rester dans un endroit «fermé» et que «toute violation de cet article est condamnable par une amende d’un ryal, qui passe à deux ryals en cas de récidive» et autorise de «tuer l’animal» si ce dernier est trouvé à l’extérieur.

«Il ressort clairement du texte de cet accord que l'élevage porcin a pris une telle ampleur et s'est répandu dans les villes et les villages, qu'il est devenu nécessaire d'en limiter la propagation, ce qui n'a été obtenu que par l'engagement des personnes concernées par les exigences de l'accord conclu entre des deux côtés. La propagation du cochon affectait les convictions des Marocains, à la tête desquelles le caractère sacré des cimetières que l’animal profanait et exhumait.»

Extrait de l’étude

Un accord non respecté

Après avoir accepté l'accord, les représentants des pays européens ont demandé que le début de la période de soixante jours mentionné soit après la levée de la quarantaine de Gibraltar et d'Espagne. Le Sultan leur a répondu favorablement et a ordonné aux administrateurs de leur permettre d'exporter les cochons afin de mettre fin au problème depuis sa propagation.

L’accord et son application n’ont toutefois pas été bien accueillis parmi les Européens. L’étude cite plusieurs messages adressés par des représentants de ceux-ci aux autorités marocaines, dénonçant que leurs animaux étaient tués malgré le paiement des amendes par exemple.

S’agissant des zones géographiques de l’élevage porcin au Maroc à l’époque, le chercheur explique que l'élevage porcin était concentré dans le nord-ouest du Maroc, principalement dans les villes qui ont connu une grande présence européenne, telles que Tanger, Larache, Casablanca et Rabat. Selon les différents documents makhzaniens, les autorités n’étaient pas non plus contentes des Européens s’agissant de cet élevage. La plupart des documents indiquent aussi la propagation des cochons était répandue dans la région occidentale, ainsi que dans les villages marocains qui lui étaient proches, au point qu’il remplaçait l’élevage des ovins et des caprins.

L’étude note que les Espagnols, les Anglais, les Français, les Italiens, et dans une moindre mesure les Portugais étaient impliqués dans cet élevage. Plusieurs textes historiques et lettres font état, malgré l’accord signé, des dommages causés par les cochons qui étaient «laissés» paître dans les champs des agriculteurs marocains.

«En résumé, l'élevage porcin, qui s'est répandu au Maroc au XIXe siècle sous l'impulsion des Européens, a dépassé la question de sa consommation pour devenir une question liée à une activité économique introduite par les Européens, et s'est accompagnée d'un ensemble de problèmes causés par les nombreux troupeaux de cet animal. Pour les riverains et les agriculteurs, puis pour le makhzen, qui a reçu des plaintes sur la gravité des dégâts qui ont été infligées à ses sujets, ce qui s'est ajouté à la série de pressions et de contraintes auxquelles le makhzen a dû faire face pendant cette», conclut l’étude.