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Belgique : Clientélisme électoral de ministres sur le dos des musulmans

A l’approche des élections législatives de 2024 en Belgique, tous les coups sont permis, notamment en jouant la carte de la réorganisation du culte musulman. En prospection, le ministre de la Justice au sein du gouvernement belge et celui du bien-être animal en région bruxelloise se sont rendus à la mosquée Koubaa, créant des remous au sein de la communauté musulmane et en dehors.

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Photo d'illustration / DR.
Temps de lecture: 4'

Depuis le week-end dernier, une vidéo circule sur les réseaux sociaux, montrant le ministre de la Justice belge, Vincent Van Quickenborne (Open VLD), puis Bernard Clerfayt (DéFI), ministre bruxellois du Bien-être animal, s’adresser à des représentants de la mosquée Koubaa à Schaerbeek ainsi qu’à des associatifs musulmans. Dans un premier extrait, largement partagé mais supprimé depuis, Vincent Van Quickenborne insiste sur ses désaccords avec l’Exécutif des musulmans de Belgique (EMB), suggérant un manque de professionnalisme de l’instance.

Ces déclarations sont intervenues quelques jours avant une nouvelle action devant la justice contre l’EMB, après que des plaignants soupçonnés de compter sur le soutien financier de l’Arabie saoudite pour appuyer leur action ont été déboutés par le tribunal de l’entreprise francophone de Bruxelles. Devant les représentants de la mosquée Koubaa ainsi que d’autres imams et associations invitées à un ftour, Vincent Van Quickenborne a pointé l’EMB. «Je suis venu parce que vous m’avez écrit une lettre. Et comme ministre de la Justice, je veux que la communauté musulmane soit représentée de manière transparente et moderne. Avec l’exécutif musulman tel qu’il existe aujourd’hui, je n’ai pas cette idée de transparence de représentation et de professionnalisme», a-t-il déclaré.

Le ministre enchaîne en jetant des fleurs à ses hôtes : «Je pense que la mosquée Koubaa (...) est une mosquée exemplaire pour la communauté musulmane de notre pays. J’espère qu’on puisse avoir, à un certain moment, une vraie rénovation de l’exécutif, tout en respectant la séparation entre l’Eglise et l’Etat. Ce n’est pas à nous de décider qui doit être dans un exécutif, c’est à vous, à votre communauté, mais avec de vraies élections, avec de vraies valeurs, avec un vrai professionnalisme. Représentation et transparence.»

«J’espère que vous avec vos confrères, les autres mosquées de Bruxelles et plus loin, du pays, en Flandre, en Wallonie, qu’on puisse prendre le cap pour un vrai exécutif, qui, ne le cachons pas, depuis sa naissance dans les années 1980, n’a jamais vraiment fonctionné. C’est un appel à vous surtout aussi aux jeunes de se présenter pour construire un nouvel exécutif.»

Vincent Van Quickenborne

Des ministres entourés de proches du mouvement Tabligh

Dans cette séquence, d’autres invités apparaissent, notamment les membres d’autres mosquées non-reconnues par l’Etat belge, soupçonnées d’accueillir des proches du mouvement Tabligh, ou perçues comme «support principal» à cette mouvance en Belgique. Apprécié par l’assistance pour son discours, le ministre de la Justice qui a qualifié Koubaa de «mosquée exemplaire» se trouvait d’ailleurs au sein du lieu qui a demandé reconnaissance à l’Etat dès 2001, mais qui a reçu un avis négatif de la Sûreté de l’Etat pour raison d’extrémisme. Dans le temps, la structure aurait été considérée comme «centre ou siège du mouvement Tabligh».

Depuis, les gérants de la mosquée Koubaa n’ont plus fait de demande, selon des informations recueillies par Yabiladi, jusqu’en 2019. Cette nouvelle requête a encore eu un avis négatif de la Sûreté de l’Etat, en raison de la «collecte de dons financiers pour des associations en liens avec le Mouvement Hamas». La visite aurait été une occasion pour les gérants de demander directement l’aide du ministre pour obtenir enfin une reconnaissance.

Accompagné d’échevins, le bourgmestre de Schaerbeek et ministre du Bien-être animal en région bruxelloise apparaît dans une autre vidéo face à une salle de prières à Koubaa. Son message qui est lu est plus expresse que celui de Vincent Van Quickenborne et recommande à l’EMB de «prendre exemple sur la mosquée Koubaa» (sic). La vidéo finit avec l’intervention de l’échevin Michel De Herde. «Ayons des pensées mais aussi essayons de faire si c’est possible une sadaka pour [les morts] d’Al-Qods et de toute la Palestine. Ils en ont besoin, ils sont dans nos cœurs», a-t-il déclaré, avant de souhaiter «Ramadan karim» à l’assistance.

Contactées par Yabiladi, des sources associatives ont estimé que le contexte de cette visite ne saurait être dissocié des préparatifs aux élections législatives de 2024, surtout que le parti francophone DéFI «n’est présent qu’à Bruxelles» et «compte peu d’électorat». Par cette démarche, Bernard Clerfayt se joint ainsi au ministre belge de la justice pour aborder les questions de gestion de l’islam de Belgique, sachant que son passage à la mosquée Koubaa a été critiqué par les membres de la communauté musulmane dans le pays.

Parmi les associatifs à s’être exprimés cette fois-ci sur les réseaux sociaux, Hafida Hammouti, représentante de la Coordination des enseignants et enseignantes de religion islamique, a questionné Clerfayt sur le port du voile chez les enseignantes à Schaerbeek, sa position sur la fin des cours de religion dans les écoles et son avis contre l’abattage rituel. La démarche des deux ministres a fait réagir également des conseillers communaux dans les médias belges, où ils ont décrit une initiative «électoraliste de bas étage».

Georges Verzin, conseiller communal ex-MR (opposition) à Schaerbeek, s’est interrogé auprès de la RTBF. «Depuis que l’Etat belge est l’Etat belge, l’un des grands principes sur lequel cet Etat est fondé, c’est la séparation de l’Église et de l’Etat avec la non-immixtion du politique dans le religieux et inversement. Ici, clairement, on est à l’exact opposé de ce qui est notre pratique depuis l’indépendance», a-t-il déclaré.