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«La situation sur l’avortement avance lentement, car le discours sur la liberté du corps ne passe pas» [Interview]

Sept ans après le communiqué du cabinet royal sur les cas où le recours à l’avortement peut être autorisé, le projet de loi à cet effet est toujours dans les tirroirs. Gynécologue obstétrique et fondateur de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC), Pr. Chafik Chraïbi revient sur ce projet, qui semble tué dans l’œuf.

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Chafik Chraïbi, gynécologue obstétrique et fondateur de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC)
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Cela va bientôt faire sept ans. Le 15 mai 2015, un communiqué royal avait tranché. Le recours à l’avortement devrait être autorisé lors de «grossesses résultant d’un viol ou de l’inceste», ou encore de «graves malformations et maladies incurables que le fœtus pourrait contracter». Le projet de loi 10.16 modifiant et complétant le Code pénal, portant sur la légalisation de l’avortement, a ensuite été adopté en Conseil de gouvernement, en janvier 2016, avant d’être bloqué à ce jour.

Le professeur Chafik Chraïbi, gynécologue obstétrique, fondateur de l’Association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC), a fait de ce combat son cheval de bataille depuis plusieurs années. Mais depuis des mois, il constate l’ampleur de la démobilisation autour du droit à l’IVG.

Ces futurs avortements légaux remplaceront quelle part des avortements clandestins ?

Le projet de loi en cours adopté par le gouvernement, mais bloqué au Parlement, ne couvrira que 15% des situations que vivent les femmes. Ce projet de loi autorise l’avortement en cas de viol, inceste, malformation fœtale ou de femme en situation de handicap moteur. Seulement, ces situations ne représentent qu’une infime partie des avortements clandestins. Les femmes qui ne veulent pas d’enfant, ou ayant eu un accident de contraception, sont les plus touchées par l’avortement.

La situation sur l’avortement avance lentement, car le discours sur la liberté du corps ne passe pas. La femme ne peut pas faire ce qu’elle veut de son corps. Elle ne peut pas avoir les relations sexuelles qu’elle veut, ni avorter si elle le souhaite.

Si de nombreux cas d’avortements sont liés à des grossesses non-désirées, n’y a-t-il pas un problème d’accès ou de sensibilisation quant à la contraception au Maroc ?

Je ne pense pas qu’il y ait un retard en termes de contraception. À titre d’exemple, la pilule est accessible sans ordonnance et peut être remboursée. Le problème est que les jeunes filles continuent d’avoir peur et honte que l’on découvre qu’elles prennent une contraception. Cette honte, due au tabou de la sexualité, pousse certaines femmes à ne pas se protéger ou prendre la pilule du lendemain à chaque rapport.

Il y existe des moyens de contourner cette honte. Je dis régulièrement, lors des consultations, que prendre la pilule ne signifie pas forcément avoir des relations sexuelles. En effet, la pilule a d’autres vertus. Elle peut être prise si une femme a des kystes, des cycles menstruels irréguliers, douleurs de règles.

Comment faire accepter l’avortement comme solution à la fois réaliste et humaine ?

Pour ne pas heurter, je préconise de passer par l’article 453 du Code pénal, qui autorise l’avortement lorsqu’il constitue une mesure nécessaire pour la sauvegarde de la santé de la femme. Et, la définition de la santé selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), c’est un état de bien-être physique, mental et social et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité. Dans tous les cas, une grossesse non-désirée met nécessairement en danger la santé psychologique et la santé sociale de la femme.