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Maroc : Comment «Zéro Mika» a creusé les inégalités entre marchés formels et informels

Si la campagne «Zéro Mika» semble avoir fonctionné dans le secteur formel, elle aurait engendré une résistance sociale dans le secteur informel, aggravant les inégalités et provoquant une marginalisation de certaines catégories, selon une nouvelle étude.

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Photo d'illustration. / DR
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En 2016, le Maroc a annoncé l’entrée en vigueur de la loi n°77-15, interdisant la fabrication, l’importation, l’exportation, la commercialisation et l’utilisation des sacs en plastique. Un pas largement salué, compte tenu de son importance pour protéger l’environnement. Si le bilan de la mise en application de cette loi est positif selon les autorités, la présence des sacs en plastique dans les marchés et chez certaines épiceries persiste, à rebours du projet de bannir définitivement ces produits nocifs pour l’environnement. Une preuve d’une résistance sociale face à ce changement tant voulu pour les autorités, cinq ans après sa mise en place. 

Pour expliquer ce constat, des chercheurs de l’Université autonome du Yucatan au Mexique et de l’Université Mohammed V de Rabat ont mené une étude pour examiner l'impact des politiques environnementales sur la dynamique sociale et les dimensions des personnes directement affectées dans deux marchés populaires de Rabat. Ils ont ainsi étudié les comportements des vendeurs et des clients sur deux types de marchés (formel et informel) pour affirmer que la politique dite «Zéro Mika» a «entraîné une marginalisation socio-économique plus profonde» alors que «l'adaptabilité de cette interdiction du plastique sur les marchés informels est associée à des inégalités sociales et économiques en faveur des vendeurs et clients du secteur formel».

Les entretiens menés par Amina El Mekaoui, Youness Benmouro, Hicham Ait Mansour et Othón Baños Ramírez ont révélé que «le caractère non préparé de la politique d'interdiction a ainsi privilégié les populations aisées qui ont accès aux marchés formels». Des marchés où «les alternatives aux sacs plastiques sont à la fois de qualité et accessibles à leurs clients malgré leur coût relativement élevé». Mais de l’autre côté, «les clients moins aisés ont été abandonnés au secteur informel non réglementé où les sacs en plastique ont continué à être utilisés mais payés à des prix plus élevés par rapport à la période d'avant l'interdiction».

Une interdiction qui fonctionne dans le secteur formel mais pas dans l'informel 

Selon l’étude, près de 45% de ceux qui font leurs achats sur les marchés populaires (quotidiens et hebdomadaires) ont confié qu’ils préfèrent les sacs en plastique contre 55% qui ont opté pour les alternatives. De plus, 40 % des clients qui achètent chez des marchands ambulants préfèrent également les sacs en plastique, contre quelque 24 % des clients des supermarchés.

«L’interdiction a bien fonctionné dans le secteur formel où des alternatives coûteuses aux sacs en plastique sont disponibles, mais elle a échoué dans le secteur informel, y compris les marchés urbains et populaires où les sacs en plastique jouent un rôle important dans les transactions commerciales.»

Extrait de l’étude

Pour les quatre chercheurs, qui ont mené leur étude sur une période prolongée de 10 mois dans deux marchés populaires (Buitates et El Kamouni) à Rabat, l’interdiction du plastique «immédiatement mise en œuvre a entraîné une énorme résistance sociale». Car, pour la plupart des fournisseurs interrogés, une telle politique «n'a pas de sens». «Ses origines et ses motivations leur semblent étrangères à leurs préoccupations principales. Les sacs en plastique, de par leur expérience, sont très pratiques pour le commerce ainsi que pour le stockage de produits alimentaires et l'élimination des déchets», ajoute l’étude.

Dans ce sens, «s'ils sont conscients du caractère protecteur de la politique, ils n'ont néanmoins pas ressenti d'effet néfaste des sacs plastiques sur leur quotidien». Pire, plusieurs personnes interrogées parmi les petits vendeurs de sacs en plastique «ne pouvaient pas comprendre comment l'Etat veut protéger l'environnement mais pas eux».

Les quatre chercheurs concluent que l'efficacité de l'interdiction des sacs en plastique doit «fortement reposer sur la lutte contre les inégalités socio-économiques et la pauvreté parmi les travailleurs du secteur informel et leurs familles».