La semaine dernière, l’organisation des grands oulémas d’Arabie saoudite a déclaré les Frères musulmans en tant qu’«organisation terroriste». Dans un communiqué, l’instance a estimé que les Frères musulmans «sont un groupe terroriste qui ne représente pas l'approche de l'Islam (...), attaque les dirigeants, attise la discorde, dissimule la religion et pratique la violence et le terrorisme».
Les oulémas saoudiens ont ajouté que les Frères musulmans «ne s’intéressaient ni pour la foi islamique, ni aux sciences du Coran et de la Sunna». «Leurs but est plutôt d'atteindre le pouvoir. Des groupes terroristes ont émergé leur sein», ont-ils précisé.
هيئة كبار العلماء ??:
— الرئاسة العامة للبحوث العلمية والإفتاء (@aliftasa) November 10, 2020
جماعة الإخوان المسلمين جماعة إرهابية لا تمثل منهج الإسلام وإنما تتبع أهدافها الحزبية المخالفة لهدي ديننا الحنيف، وتتستر بالدين وتمارس ما يخالفه من الفرقة وإثارة الفتنة والعنف والإرهاب. pic.twitter.com/DFPrg7mCaq
Quelques jours plus tard, le ministre saoudien des Affaires islamiques, Abdul Latif Al Sheikh a appelé les mosquées du pays à consacrer le prêche du vendredi à ce dossier.
إخواني أصحاب الفضيلة الأئمة والخطباء في جميع أنحاء مملكتنا الحبيبة آمل منكم جميعاً يوم غد في خطبة الجمعة قراءة البيان الصادر من هيئة كبار العلماء الموقرة بشأن التحذير من جماعة الاخوان المسلمين الارهابية وحزبهم،وحذروا من هذه الجماعة المخالفة للكتاب والسنة وبينوا مخالفاتهم الشرعية.
— د.عبداللطيف آل الشيخ (@Dr_Abdullatif_a) November 12, 2020
Une avalanche de réactions
Cette déclaration a déclenché la controverse dans le monde islamique. Les Frères musulmans ont répliqué, dans un communiqué, rappelant qu’il sont «un groupe de défense réformiste et non un groupe terroriste».
De plus, d’autres pays ont tenté de surfer sur cette sortie, à l’instar d’Israël. Dimanche, sur le compte Twitter «Israël en arabe» de son ministère des Affaires étrangères, Tel Aviv a salué la déclaration des oulémas saoudiens. «Nous sommes heureux de voir cette approche contre l'exploitation de la religion à des fins d'incitation et de sédition», poursuit-on.
يسعدنا نحن في #إسرائيل?? ان نرى هذا المنهج المناهض لاستغلال الدين للتحريض والفتنة ولا شك ان جميع الديانات السماوية جاءت لزرع المحبة والألفة بين الناس. نحن بأمس الحاجة الى خطاب يدعو للتسامح والتعاون المتبادل للنهوض بالمنطقة برمتها. حياكم الله @aliftasa
— إسرائيل بالعربية (@IsraelArabic) November 15, 2020
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La sortie de l’organisation des grands oulémas d’Arabie saoudite a fait réagir le Marocain Ahmed Raissouni. Lundi, le président de l'Union internationale des oulémas musulmans (UIOM) a condamné cette fatwa, la qualifiant de «politique» et de «diffamation».
Commentant la directive du ministre saoudien, le successeur d’Al Qaradaoui à la tête de l’UIOM a estimé que les Saoudiens «ont atteint un degré sans précédent de grivoiserie et de frivolité, notamment en impliquant les mosquées dans la politique d'insultes et de calomnies». Il a ajouté que ces démarches visent à «aider la France et son président, et à les soutenir dans leur guerre et leurs campagnes contre l'activité islamique en France et en Europe».
Au Maroc, la sortie des oulémas saoudiens a fait réagir le Mouvement unicité et réforme (MUR). Dans un article publié sur son site mardi, le bras idéologique du PJD a indiqué que des instances de savants ont appelé les oulémas saoudiens «à revoir leur déclaration concernant les Frères musulmans». Un appel qui intervient «dans l’intérêt de l’unité de la nation et en évitant de politiser le discours des oulémas d’une manière qui affaiblirait leur crédibilité et porterait préjudice à leur société», poursuit l’article.
Le MUR a souligné que l'histoire de l’organisation saoudienne et son comité permanent pour la Fatwa se sont éloignés de la récupération, de la politisation et des querelles». «Les oulémas ont condamné l'élargissement du concept des Frères musulmans et du concept de terrorisme pour inclure tous ceux qui ont une opinion et des conseils», conclut le MUR.
Des salafistes marocains dénoncent une fatwa politique
Contacté par Yabiladi, le salafiste Hassan Kettani partage cet avis. «La Ligue des oulémas musulmans dont je suis membre ainsi que la Rabita des oulémas du Maghreb que je préside font partie des instances qui ont condamné cette sortie», rappelle-t-il.
«Je suis du même avis : C'est un communiqué politique qui n'a aucun fondement dans la charia. Les Frères musulmans ne sont pas un groupe armé, ils ne portent pas de bombes.»
Le salafiste rappelle que «l'Arabie saoudite recevait elle-même des représentants des Frères musulmans, et ses rois étaient parmi ceux qui sont intervenus pour arrêter l'exécution d'une partie des Frères musulmans à l'époque d'Abdel Nasser». «C’est contradictoire et sans aucun sens. Cet organe sera considéré comme porte-parole du gouvernement saoudien, et n’aura aucun respect, d’autant plus que nombreux érudits célèbres l'ont abandonné et il ne reste plus personne, sauf des noms peu connus», conclut-il.
Pour sa part, Mohamed Fizazi affirme qu’il s’agit d’une fatwa politique. «Les Frères musulmans ont grandi et se sont multipliés en Arabie saoudite et dans ses universités. Alors comment se sont-ils transformés du jour au lendemain en un groupe terroriste ?», s’interroge-t-il. Le prédicateur rappelle que «les Etats-Unis d'Amérique, qui dirigent le monde dans la lutte contre les groupes extrémistes et terroristes, ne classent pas les Frères musulmans comme groupe terroriste».
«Cela nous ramène à la case départ : quelle est la signification du terrorisme et des organisations terroristes ? Ce sont certainement des structures qui portent les armes et adoptent une mauvaise interprétation de la charia, tuent et exterminent les musulmans. Mais les Frères musulmans n’en font pas partie.»
Tout en affirmant que les Frères sont «le plus grand groupe du monde islamique», le prédicateur rappelle n’avoir aucun lien avec eux, dénonçant au passage l’«amplification» de cette information et la position accordée à l’instance des oulémas saoudiens.